Je suis presque en vacances, je peux prendre un peu de temps...
Oui, la dégustation à l'aveugle est un moyen d'augmenter l'objectivité de son avis sur un vin, mais ce n'est pas suffisant.
J'ai participé, puis mené un panel pro pendant près de 13 ans, c'était pas du vin, mais de la bière, on pourra revenir sur les différences, mais le principe est le même;
Premièrement les conditions de dégustation, je vais enfoncer quelques portes ouvertes, ça ne fait pas de tort.
- Pas d'étiquette, c'est bien, un verre noir c'est mieux, l'influence de la couleur (une robe sombre, une robe claire, va biaiser nombre de dégustateurs)
- le nombre d'échantillons, surtout pour un vin tannique, dépasser 6 vins c'est de l'utopie, vos muqueuses ne sont plus dans le même état, et votre appréciation est altérée. Quand il y avait de grande série à tester, cela arrive par exemple lorsque vous devez libérer les tanks de garde vers la mise en bouteille, parfois une quinzaine à déguster, on fait ce que l'on appelle du line-up, du screening, on recherche simplement sil n'y a pas de gros défauts, on ne part pas dans une description exhaustive. C'est ce que j'applique dans un salon, je repère les vins intéressants (pour moi;-) et puis je redéguste à l'aise chez moi.
- les conditions de dégustation, nous dégustions dans des boxes séparés, en silence. Quand je vois les conditions de dégustation "à l'aveugle" d'amateurs auxquelles je participe volontiers, c'est plutôt le chambard, et celui qui a la plus grosse voix (et souvent une barbe) ;-), influence quand même fort d'autres dégustateurs. Mettre ensuite des cotes avec une décimale peut faire sourire.
Une petite anecdote à ce sujet, dans une brasserie bien connue du sud de la Belgique, le patron venait déguster régulièrement avec le panel (c'est bien;-). Sa bière comparée à la concurrence était toujours placée à gauche et les cotes n'étaient mises qu'après débriefing, le jambon qui accompagnait la dégustation était paraît il très bon... est-ce bien sérieux?
Ce débriefing était aussi organisé dans le panel auquel je participais, il a été supprimé, car certains changeaient un peu trop facilement d'avis, non seulement en raison de différence de personnalité (évoquées plus haut) mais également à cause du biais hiérarchique (le chef a toujours raison).
- On en arrive au point crucial, la cote. Outre le fait que j'ai du mal à comprendre que des amateurs se plient à cet exercice, c'est à mon humble avis, le point le plus sensible, et celui qui enlève une grande part de l'objectivité recherchée. En effet, si les conditions ci-dessus sont de mise, chacun, avec son organe préféré pourra tenter décrire les caractéristiques organoleptiques du vin ou la bière avec un maximum d'objectivité. Une formation est évidemment nécessaire, une connaissance de son panel indispensable afin qu'il soit équilibré (on a pas tous les mêmes sensibilités) pour connaître les limites du résultat, l'objectivité passe aussi par là. S'il s'agit de décrire le fruité par exemple, en intensité et en qualité, c'est possible après un bon entraînement. idem pour les épices, la longueur, l'amertume, ...
Mais s'il faut mettre une cote, entrent alors en jeu des critères qui sont tout sauf objectifs, basés sur notre vécu, nos influences, nos formations. C'est quoi un défaut, c'est quoi une qualité, plus c'est long plus c'est bon, plus c'est complexe mieux c'est, un fruité noble, un fruité vulgaire, un défaut, pas un défaut, à quelle intensité, ... Non seulement le choix des critères peut-être différent, mais leur hiérarchie (le nez ou la bouche?) change encore plus la cote finale.
Je vais vous relater une autre anecdote. Quand ma brasserie chérie a racheté un des fleurons de la bière allemande, nous avons eu droit à une beau clash entre panels, ceux-ci remettant des cotes tout à fait différentes pour la même bière.
Cette bière allemande (qui est au passage une des plus vendues au monde) s'est faite déclassée par le panel de Leuven, 3/10, à chaque fois, la honte. Pourquoi? Note dominante d'acetaldehyde (éthanal). On a été plus loin que l'incident diplomatique, je vous l'assure chacun étant certain de son "objectivité". On aurait pu croire les deux panels foncièrement différents, et bien non, la seule différence résidait dans la cotation globale. Les deux panels reconnaissant dans la description la présence d'acétaldéhyde. Le quel des deux était le panel objectif, sachant que l'acétaldéhyde est un défaut reconnu par les scientifiques, mais que la bière en question est très prisée des consommateurs.
La solution a été de ne plus mettre de cotation globale, et d'instaurer de manière un peu plus incisive le TTT, ou True To Type. On décrit la bière, et on compare son profil avec un profil standard. Dans ce cas, c'est l'absence d'acetaldehyde, caractéristique reconnue et voulue de cette bière là, qui sera pénalisée; ça change tout non?
J'ai rencontré le même problème avec le panel canadien, pourquoi? Nos formations étaient différentes, nos critères aussi. Avec Ambev c'était plus facile, ils se tapaient un peu de la dégustation (c'est la seule brasserie que j'ai visitée, et j'en ai quelques unes à mon palmares, sans avoir de dégustation en fin de visite).
Une autre anecdote ? Milieu des années 90, j’avais organisé comme "incentive" pour le panel, une dégustation de vin, dans les conditions classiques rigoureuses appliquées à la bière. Résultats des courses, des cotes moyennes très moyennes, peu d’amateurs de vin parmi le panel sans doute. Et pourtant, en regardant les résultats, vous pouviez sans problème voir que les profils déterminés tenaient la route (gewurz, chardonnay, riesling, ...), seule la cotation globale était sujette à grande variation...
A mes heures perdues, je fais aussi dans la critique rock. On rencontre les mêmes conflits entre, par exemple amateurs de musique progressive, et musique extrême (death, black, ...). Mais sur ce site (Music Waves) il ne viendrait jamais à l’idée à un chroniqueur de prog de faire la chronique d’un album de black métal, et vice-versa (sauf quand il y a des amateurs des deux genres, cela existe ;-).
Où est l’intérêt pour l’amateur de vins boisés d’avoir l’avis de réfractaires à cette caractéristique ; ou est l’intérêt pour l’amateur de vins naturels d’avoir l’avis de BLG ou de Bettane sur leurs breuvages préférés. Il n’y en a pas. Sur Musciwaves, une chronique est donc tout d’abord faite par quelqu’un, susceptible d’apprécier le style, et les chroniques relativement longues doivent permettre au lecteur de modérer la note inévitablement subjective. Ce n’est pas parfait, mais on évite les querelles stériles de clocher.
Le dégustateur pro devrait à mon avis se contenter de décrire au mieux le vin, d’en cerner le style, afin de permettre au vigneron de réajuster au besoin des pratiques (avoir un avis avec du recul est toujours intéressant) et permettre au consommateur de faire son choix dans les vins qu’il apprécie. Pas pour leur dicter la Voie.
Qui suis-je pour aller dire à Neil Young que ses notes de guitare sont trop saturées...
Il me semble que la RVF intègre depuis peu ces éléments, on y retrouve en tout cas dans leurs classements, des vignerons « nature » que l’on ne voit pas en face (donc probablement des biocons;-) comme Barral , Riffault, Bain, ... avec la description d’usage permettant au consommateur d'y allerr ou d’éviter, selon ses propres goûts...
désolé d'avoir été si long
bonnes dégustations objectives