DIX PRINCIPES POUR LES VINS D’EXPRESSION
DE TERROIR « ALSACE GRAND CRU »
Les vins de l’AOC « Alsace Grand cru » sont des vins d’expression de terroir.
Ce document est un outil destiné à servir de base aux réflexions collectives sur l’adaptation du cahier des charges aux particularités de chaque lieu-dit Grand cru.
Il comprend dix grands principes, basées sur une démarche de recherche des critères de l’expression de chaque terroir. Ces principes ont pour but d’ancrer l’AOC « Alsace Grand cru » dans les AOP. Seule une démarche exigeante et ouverte sera constructive et pourra atteindre son but.
Ces dix principes sont :
1. Premier principe:
« Respect dû au terroir d’AOC Alsace Grand cru »
Ce principe suppose que les vins ainsi que le nom « AOC Alsace Grand cru suivi d’un nom de lieu-dit » soit identifiés clairement. Cette identification correspond à l’expression originale du caractère produit par le terroir. Aussi, chaque terroir délimité doit être mis en valeur par tous les moyens de production et d’élaboration des vins permettant leur expression la plus authentique. Ces vins appartiennent à une famille identifiée collectivement par leurs producteurs. Cette identification passe également par une présentation claire faite au consommateur.
2. Deuxième principe :
« Originalité d’expression du terroir »
Les pratiques collectives que représentent la culture et la tradition sont des éléments non transposables à l’échelle mondiale. Ces pratiques, unanimement respectées confèrent l’originalité au vin d’appellation.
Le concept d’AOC tel que l’a construit l’histoire et la législation, demain la reconnaissance en AOP, n’est pas de servir de cadre à la production d’un vin industriel et standardisé, adapté artificiellement au goût du consommateur mondial. Ce concept existe pour reconnaître et protéger l’originalité, le trait dominant dénommé « lien au terroir », en quelque sorte la différence a la norme dans lequel se reconnaissent les producteurs et qui constitue le véhicule de leur identité et par conséquence de leur communication.
La typicité liée au terroir supporte une dispersion tout en respectant l’air de famille. Cette dispersion exclue la standardisation d’un process industriel.
Le respect de ces différences individuelles ne doit toutefois pas ouvrir la porte à des vins présentant un défaut de vinification. Les producteurs définiront donc ce qu’ils nomment défauts .
Cet état de fait conduit les producteurs à servir leur terroir. Ils en acceptent la topographie (pas d’aménagement majeur), sa nature géologique et pédologique (pas de modifications structurelles fondamentales des sols et sous-sols), ses caractéristiques physico-chimiques (pas d’amendement potassiques, phosphoriques et azotés trop importants, des chaulages modérés, les fumures de fond maîtrisées, des compostages raisonnables, pas de concassage des roches). Enfin, les modifications du microclimat de la plante (paillage, bâchages) sont à exclure. Le respect dû au terroir suppose aussi une délimitation rigoureuse et homogène, en rapport avec sa position hiérarchique.
3. Troisième principe :
« L’originalité de l’expression du terroir d’AOC Alsace Grand cru ne peut être atteinte que par un enracinement profond contraignant la plante à un rapport intime et stabilisé avec le terroir. »
Cet enracinement, lié à des densités de plantation élevées et adaptées au terroir, conduit :
- à une expression végétative limitée,
- à une plante moins sensible aux variations des conditions climatiques,
- à une plante réalisant son arrêt de croissance tôt et de façon définitive.
A contrario, une jeune parcelle, à l’enracinement peu profond, ne peut exprimer la subtilité du terroir et ne doit donc pas avoir sa place en AOC « Alsace Grand cru », mais en Appellation régionale.
Il convient, pour préserver la stabilité de l’expression du terroir, de déterminer pour chaque terroir à partir de quelle densité apparaît le décrochement de cette stabilité?
Il convient également d’arriver progressivement à ne revendiquer que des vignes dont l’enracinement est suffisamment ancré dans le sous-sol pour garantir une expression pleine et stable du terroir.
4. Quatrième principe :
« Le cépage s’efface devant l’identité du terroir pour n’être qu’un vecteur de son expression »
La clé de voûte du système des AOP est que le caractère qui exprime et identifie le terroir n’appartient pas au registre variétal. Tout au contraire, l’apparition du lien au terroir, ce caractère original venu du seul terroir et des pratiques collectives qui le servent est dominant au(x)cépage(s) utilisé(s), parfois même contradictoire à l’expression simple de ceux-ci. Ainsi est justifié de ne pas mettre en avant le cépage en AOC GRAND CRU, car il y est secondaire; en tout état de cause il n’est pas l’élément central du projet d’un vin de terroir. D’ailleurs il faut redire avec clarté que le ou les cépages utilisés ne sont pas les vecteurs d’identité de producteurs (la liste des cépages d’un terroir a évolué avec le temps et évoluera sans doute encore ; souvent l’évolution moderne de l’encépagement due à des orientations commerciales ou législatives n’est pas forcément adapté au lieu-dit).
De ce fait les réflexions concernant l’encépagement historique, la restauration de la diversité variétale et génétique sont essentiels pour assurer l’expression pleine du terroir.
Il convient de lister les cépages qui permettent l’expression de l’originalité du lien au terroir et d’identifier si tous les cépages sont capables d’exprimer cette originalité.
La mise en place d’un plan d’encépagement spécifique à chaque terroir doit permettre de préciser les cépages à planter dans le terroir. Ces cépages seront organisés en trois groupes :
- cépages principaux adaptés au terroir et favorisant son expression, cépages par essence majoritaires .
- cépages secondaires participant à l’expression du terroir mais par essence minoritaires.
- Enfin les cépages accessoires, peu présents et hélas presque toujours voués à disparaître, qui doivent être protégés et pourraient représenter entre 5 et 10% de l’encépagement total.
Ce plan dira aussi si ces cépages sont plantés seuls ou en mélange. Enfin seront nommés les cépages n’exprimant pas ou mal le lien au terroir, dont la plantation ne doit plus être tolérée.
5. Cinquième principe :
« Le rendement du vignoble, la notion de maturité et les conditions d’enrichissement »
L’expression pleine du terroir n’est accessible que par la production d’un fruit physiologiquement mûr et de pépins aptes à assurer leur rôle de reproduction. L’état des peaux, des pépins, la qualité des structures acides, le niveau de sucre et la maturité phénolique sont des notions spécifiques et à caractériser pour chaque terroir. Cet ensemble exprime l’état de maturité physiologique de la plante et de la vendange. Il doit conditionner la date de cueillette .
Le rendement de base de chaque terroir est celui qui permet d’atteindre cette maturité physiologique quoiqu’il arrive. Le rendement n’a donc pas à être adapté au marché mais doit correspondre aux exigences propres à chaque terroir. Il ne peut connaître de fluctuation que de manière marginale, lors de conditions climatiques annuelles exceptionnelles. Cette variation se situe dans une fourchette de 10% autour du rendement de base.
Le rendement est donc l’élément qui permet d’atteindre la maturité physiologique. Il en découle que la règle de non enrichissement doit logiquement devenir la norme.
Les conditions trop défavorables à l’expression du terroir rendant obligatoire le recours à l’enrichissement ou à des modifications artificielles de la structure acide, s’accompagneront d’un repli dans l’AOC régionale.
En tout état de cause, les millésimes particuliers ne doivent pas servir de référence dans l’étude de ce principe. Ils seront gérés au cas par cas.
Le rendement sera rigoureusement contrôlé. Les techniques telles que l’ébourgeonnage manuel, le dédoublement, l’éclaircissage et la vendange verte ne sont que correctives et seront utilisées si nécessaire. Leur usage reflète souvent un excès de vigueur qu’il convient de réduire en priorité, parfois aussi des caractéristiques inadaptées du matériel végétal.
Enfin, la disposition des rangs de vigne, celle du feuillage, l’emplacement des raisins sur la souche et leur position par rapport au sol, la densité du feuillage et l’absence d’auto-ombrage des rangs sont de puissants leviers pour obtenir une maturité physiologique optimale.
6. Sixième principe :
« le respect de l’environnement »
Compte tenu de l’évolution sociétale, il n’est plus possible d’ignorer ce principe.
Il va de plus en plus s’imposer à toute la viticulture d’appellation, et la viticulture d’AOC « Alsace Grand cru » se soit d’être particulièrement à la pointe en ce domaine, pour des raisons tant éthiques, techniques, que d’image.
Il sera un élément fondamental de la qualité perçue des AOC Alsace Grand cru.
Le rapport INRA-CEMAGREF de décembre 2005 sur le thème : « pesticides, agriculture, environnement » conclut que la gestion des questions phytosanitaires est à ré-envisager plutôt sous l’angle de la "santé des systèmes de culture" que du point de vue de la "lutte contre les ennemis des cultures".
La récente étude sur les résidus de pesticides dans les vins européens (dont certains présents au-delà des normes tolérées pour l’eau potable) démontre l’urgence d’une réaction collective vigoureuse de la profession viticole .
Par conséquence,
- le désherbage utilisant des herbicides chimiques et plus particulièrement en prélevée, doit être proscrit partout où des solutions alternatives (fauchage, labour, enherbement maîtrisé) peuvent être mise en œuvre,
-L’utilisation de molécules phytosanitaires de synthèses systémiques (fongicides, insecticides et anti botrytis) ne doit être tolérée que dans des conditions climatiques exceptionnelles ayant conduit à une explosion de la pression des ravageurs que d’autres mesures n’ont pas suffit maîtriser.
Dans tous les cas, la priorité doit être le recours à des mesures prophylactiques préventives (aération du plan de palissage, maîtrise de la vigueur, etc…). Les traitements avec des produits simples (Cu/S) utilisés avec parcimonie sont à privilégier tout en s’assurant de protéger la vie des sols.
Dans tous les cas, les conditions d’application des produits phytosanitaires doivent être soumis à des conditions strictes d’utilisations et de durabilité .
7. Septième principe :
« le respect du raisin »
Le raisin mûr, porteur des caractères distinctifs du terroir, doit être protégé de toute altération lors de sa cueillette, de son transport, de la mise dans le pressoir et du pressurage, pour éviter absolument la production de caractères herbacés communs masquant le lien au terroir (terpènes). Durant toutes ces phases et jusqu’au pressurage l’intégrité des grains doit donc être préservée. Pour cela on vendangera manuellement, on utilisera des contenants respectueux de l’intégrité de la vendange, le transport sera rapide et les phases de transfert seront limitées en évitant les phénomènes de foulage et de trituration. Enfin, les techniques de pressurage seront douces et soucieuses de produire le minimum de bourbes.
Le tri à la vigne, voir au chai d’une même parcelle sera envisagé uniquement si l’état sanitaire de la vendange n’est pas celui souhaité et non pas pour multiplier les cuvées. Un grand vin ne peut-être constitué que de l’ensemble de la production d’une parcelle (même surface).
8. Huitième principe :
« le respect du vin »
Le respect de ce principe ne peut ce concevoir qu’après l’application des 7 principes précédents.
Il est un élément déterminant de l’expression de l’originalité des vins de terroir. Comme les autres principes, il constitue une orientation à donner aux entreprises pour atteindre l’objectif fixé :
« Les vins de l’AOC « Alsace Grand cru » sont des vins d’expression de terroir »
La vinification d’un vin d’AOC « Alsace Grand cru » repose sur le principe du respect des caractères distinctifs du raisin. Toute modification substantielle de ceux-ci va perturber l’expression du terroir et donc la lisibilité de celui ci.
Ainsi le recours aux mesures correctrices telles que la chaptalisation, l’acidification, la désacidification, la désalcoolisation, l’osmose, l’édulcoration et d’une manière générale toutes les pratiques susceptibles d’influer sur les caractéristiques fondamentales de la vendange n’est que la conséquence d’anomalies dans la conduite du vignoble qu’il convient de faire cesser par la mise en place d’un plan d’amélioration.
Le recours aux intrants de vinification (levures sèches actives ,bactéries lactiques, enzymes techniques, azote assimilable, tanins etc…) devrait être limité aux seules impasses de vinification. Leur utilisation doit avoir comme co-objectif de ne pas perturber l’expression du terroir.
L’application de ce principe doit s’inscrire dans le temps, afin de permettre l’adaptation de l’outil de travail au respect de l’ensemble des principes précédents.
9. Neuvième principe :
« Le respect du consommateur »
Le consommateur de vins d’AOC « Alsace Grand cru » recherche bien au delà d’un « bon » vin, un vin qui témoigne fidèlement de son terroir d’origine. La qualité perçue, lorsqu’il décide d’acheter un vin de terroir, doit lui permettre de reconnaître les efforts du viticulteur pour le produire. Dans ces conditions, le respect des principes fondateurs énoncés plus haut est incontournable pour instaurer ou restaurer la confiance.
La recherche de l’expression originale d’un terroir passe donc par la reconnaissance de son individualité. Cette reconnaissance de l’identité collective des vins d’AOC « Alsace Grand cru », souhaitée par le consommateur et la profession, se fera grâce au recours collectif au code de communication propre aux Grands Vins. Ce code utilise un type de bouteille, des bouchons et des mentions d’étiquetage spécifiques pour communiquer visuellement les principaux éléments de cette identité.
10. Dernier principe :
« Le respect du vigneron »
Le deuxième principe explicite que la typicité des vins liée au terroir supporte une dispersion tout en respectant l’air de famille.
Ainsi le vigneron tout en s’identifiant à cet air de famille lui apporte son interprétation, sa propre personnalité, sa sensibilité et sa complexité. Ce principe affine le droit du producteur à la variabilité à l’intérieur de l’air de famille qui lui permet de se réaliser pleinement et individuellement au sein du collectif, dans le plus grand intérêt d’un grand vin de terroir.Ce principe doit être un garde fou contre toute tentative de normalisation du lien au terroir .On veillera a ce que sa description soit efficace mais ouverte ,respectueuse des différences individuelles dès lors que sont respectés les neufs principes précédents .