Bonsoir,
je vois que la netiquette est un peu mieux respectée si on met les pieds dans le plat. Mais bon, nous ne sommes toujours pas loin d'un débat malsain, puisque Monsieur l'agitateur voit de la mauvaise fois, après la connerie, dans mes propos...
Mais on peut discuter un peu plus sereinement tout de même. Mes désaccords avec ce Monsieur sont profonds, je pense.
Il y a à la base le problème de ce par qui et pour quoi ont été fondées les AOC, ce qu'elles sont devenues. Il y a eu une émission de radio géniale, sur France Inter,le 16 novembre, à 13h30, « au fil de l’histoire ». Sous forme d’une pièce radiophonique, au millimètre l’histoire de la création des AOC y était racontée, autour du baron Leroy, de Chateauneuf. J’ai écrit un topo là-dessus, qui met plutôt en avant le rôle de J Capus, et qui sous-estime celui des vignerons de l’époque. Mais ce que leurs descendants, de plusieurs grandes maisons de Bourgogne, m’ont raconté, le confirme : désolé, je vais être très « politiquement incorrect » mais la création des AOC est née du besoin de vignerons de protéger leurs vins d’élite de la concurrence déloyale des vins de volume. L’AOC, qui est la référence de vos forums, est avant tout un concept élitiste. Ce n’est pas moi qui l’ai écrit : lisons Capus, tout simplement :
"l'appellation ne garantissait plus rien" parce que les vins ordinaires s'en étaient emparés, "en donnant aux produits médiocres le droit à l'appellation la législation de 1919 permettait l'exercice d'une concurrence déloyale à l'encontre des véritables possesseurs de la marque". « la grande préoccupation était alors de faire disparaître les fausses appellations d’origine».
" Je disais dans l'exposé des motifs de la loi de 1935 :...Permettre au consommateur de distinguer facilement les appellations qui recouvrent des vins de qualité de celles qui ne s'appliquent qu'à des vins ordinaires"..
«Fallait-il permettre que les producteurs de vins fins…vissent leur production compromise par la concurrence déloyale des producteurs de vins ordinaires, sans originalité, sans supériorité, qui n’avaient cherché dans l’Appellation d’Origine qu’un moyen d’échapper aux lourdes charges du statut viticole pesant sur les vins ordinaires ?
Allait-on refuser toute protection aussi bien au consommateur qu’au producteur loyal ? »
Et continuons avec Roger Dion :
« §IV Antagonisme de la viticulture aristocratique et de la viticulture populaire : ..aussi loin qu’on remonte dans le passé, on voit s’opposer comme d’irréconciliables ennemies la viticulture de qualité, pratiquée par des maîtres aristocratiques ou opulents, et la viticulture simplifiée, dont se contentent les petites gens….La première, celle qui aspire à la qualité, donne sa préférence aux sols pauvres…La culture simplifiée à laquelle les petites gens sont contraints…recherche les sols meubles des plaines, où des labours plus aisés procurent des récoltes plus abondantes…. Après la reconstitution (post phylloxérique) des plantations, la viticulture de qualité, reprit, auprès du gouvernement, ses instances séculaires, et obtint d’être protégée contre sa rivale par une arme d’un style nouveau, que lui a donnée depuis peu la législation sur les appellations d’origine des vins. » (Roger Dion, Le paysage et la vigne, Payot).
Votre comparaison avec les montres est fausse à mon avis. Mais révélatrice de votre point de vue…libéral, je pense : « la main invisible du marché ? », dont on aperçoit en ce moment les limites…pour l’intérêt commun. L’aoc est au départ une indication distinctive voulue par une minorité de vignerons, devenue une régulation étatique de par la volonté acharnée (30 ans de bataille) d’un sénateur, et comprise comme telle aujourd’hui par les consommateurs…. Qui ne comptent sur aucune indication réglementaire semblable pour faire la différence entre un mécanisme à complications et le quartz
Il y a bien tromperie du consommateur, et c’est sur l’aoc aujourd’hui, globalement. Capus s’insurgeait déjà en 1934 sur le fait que « les abus avaient fait monter le chiffre des Appellations d’origine à …20% de la récolte totale » ! Et N Olszak, un de nos principaux spécialiste du droit des marques et des appellations, d’expliquer : « « Quand on a créé les AOC, on pensait couvrir 10% de la production. On en est à la moitié… ».
Un des critères de l’AOC, pour Capus, était : ,
" le degré alcoolique minimum du vin, tel qu’il doit résulter de la vinification naturelle et sans aucun enrichissement ».
Vous pouvez tout à fait trouver le principe de l’AOC mauvais, ringard, dépassé, et le remettre en cause. Mais faites le franchement, assumez, et ne prétendez pas que l'AOC c'est tout et n'importe quoi. Et dire comme vous le faites, dans un système d’AOC aujourd’hui complètement mensonger, « la vérité est dans le verre du client », c’est bien de la démagogie..Il y aurait aussi, en relation, une discussion à avoir, effectivement, sur le goût : qui aime quoi, et pourquoi ? Il faut réfléchir à ce que dit Mc Leod, par exemple, c’est très dérangeant…
Je n’ai pas dit dans mon mail hier que je voulais l’interdiction de la chaptalisation, c’est du procès d’intention. Ce que je dis, c’est que permettre dans l’aoc, en particulier des liquoreux, que coexistent des vins chaptalisés et non chaptalisés, c’est tromper le consommateur et mettre les producteurs de liquoreux concentrés naturellement en difficulté.
Je modifierais certainement, si je le réécrivais, l’article sur mon site, qui date d’il y a huit ans, pour qu’il soit plus clair sur ce point.
Quelle est la responsabilité de la chaptalisation des AOC dans les difficultés du marché des liquoreux ? C’est effectivement complexe, plus que je ne le pensais il y a dix ans. Il a aussi des effets de mode. Une détestation culturelle du sucre dans certaines couches de la population, qui a les moyens de consommer des liquoreux chers, mais assimile leurs sucres à ceux de l’alimentation à bas prix qui fabrique des personnes obèses. Mais je pense toujours que la chapta joue un rôle important, elle brouille complètement l’image : sans chapta des liquoreux d’AOC, la production dans ce segment de l’offre chuterait considérablement, et ils seraient visibles pour ce qu’ils sont, des vins rares, au lieu de véhiculer un discours de fou, « des merveilles rares à des prix dérisoires ».
Je ne prône pas le mépris des produits à bas prix et de ceux qui les consomment. Mais un liquoreux concentré, et de terroir, à petit prix, économiquement, soit c’est une arnaque, soit le producteur perd de l’argent dessus. C’est incontournable. Je ne roule pas en Ferrari. Mais je sais que ce n’est pas le même coût de production qu’une Clio, et sur la Clio je ne pose pas un cheval cabré autocollant....
Les méthodes additives et physiques : prenez moi pour un imbécile, ou un malhonnête, allez-y..Je ne mélange rien. Le point commun pour les liquoreux, c’est qu’avec ces techniques, on a une concentration de sucre qui n’a rien à voir ni avec le passerillage, ni avec le botrytis, ni au goût, ni en amont, dans le travail de la vigne. Et j’affirme que certains combinent chapta, cryo, etc..pour faire du plus 5 au minimum, en AOC…Vous devez le savoir, à mon avis.
Moi aussi sur le SO2 et le sucre je persiste, la différence avec vous, c’est que je signe. La fabrication des Layon à grand renfort de S02, comme le faisait mon arrière grand’mère, n’était pas forcément du laxisme ou du désintérêt : quel mépris d’un seul coup pour les vignerons ?! Mais les moyens de refroidissement (à part ouvrir les portes des caves), le « flash », la levure sélectionnée…c’est quand même assez récent, non ? Et pour l’arrêter, et pour éviter que « ça reparte » , sur des petits équilibres, avec peu de botrytis, pas d’autre moyen qu’une bonne dose de S02. Lisez donc la thèse de JBoivin sur la question, ESA d’Angers 1924, on en reparlera sur des bases sérieuses. Aujourd’hui les spécialistes de l’œnologie corrective, dont vous êtes sans doute, savent bien sûr mieux faire.. Non, ma trie à 13+90 ne demande pas plus de soufre parce qu’elle est botrytisée, je suis persuadé qu’elle en demande moins que si il n’y en avait pas du tout. La botryticine, vous connaissez ? Effectivement, même sur un équilibre fragile comme ceux que j’ai décrit, on peut mettre moins de soufre, mais c’est assez récent. Oui je travaille avec un tangentiel, mais cela n’infirme pas la dialectique –potentiel fermentaire-chaptalisation-botrytis.
Je « vends » de la « puissance »…j’ai déjà eu ce débat, en d’autres temps, avec d’autres. C’est un débat de mauvaise foi, qui fait fi de notre vrai parcours pour revenir aux liquoreux concentrés naturellement, qui a beaucoup servi à défendre la soi-disant « finesse » basée sur des raisins à peine mûrs et bien remontés…Ce n’est pas très intéressant, pour moi en tous cas. Ce qui me rassure, c’est quand, plus de 10 après, j’ouvre une de ces bouteilles : rassurez-vous, cela a très bien évolué, vers la finesse, et en général, tout le monde est très content. Alors…
Le vrai chemin que j’ai parcouru depuis dix ans, c’est la compréhension de ce qu’étaient les AOC au départ, et effectivement aussi la compréhension que ni la production ni le marché des « vins de terroir » ne devraient représenter plus de 10 à 15%. Et qu’il ne devrait pas y avoir antagonisme, mais complémentarité, entre ces vins et les vins de « fruit », de « volume ». Ca je le dois en partie à René Renou, avec lequel j'ai pas mal travaillé, avant son décès brutal. Quasiment n’importe quelle entreprise a besoin d’une gamme, donc d’un début de gamme. Que je ne méprise absolument pas, ça peut être délicieux. A condition que cela soit honnête, de qualité, et que sa place dans les signes de qualité soit claire, et que chacun s’y retrouve. C’est l’enjeu de la réforme européenne, de l’AOP et des IGP. Tiens d’ailleurs, vous qui êtes du métier, votre avis là-dessus ? Vous savez, c’est pour bientôt…Il faudrait arrêter cette guerre stupide entre des segments complémentaires. Abonnez vous au blog de Berthomeau, lui aussi m'a fait comprendre des choses.
PS : pour alimenter le débat, on peut télécharger mon petit topo sur l’histoire des AOC (Hold Up aux AOC) sur
www.vigneronsdeseve...., ou sur
www.seve-vignerons.f...
Bonne nuit à tous..PB