Luc,
Personne ne demande d'acheter un vin en 2010 pour le boire en 2050.
Mais qu'est-ce qui empêche d'acheter un Yquem des années 70 qui est moins cher que les Yquem du 21ème siècle ?
Par ailleurs, je l'ai déjà écrit, je ne prétends en aucun cas qu'Yquem serait le meilleur sur tous les millésimes. Quand j'ai bu Yquem 29 et Climens 29 ensemble, j'ai préféré Climens. Mais Climens avait son bouchon d'origine.
Ce qui compte, c'est que globalement, tous millésimes confondus, la performance d'Yquem est très élevée. Ce qui fait que la probabilité en ouvrant un Yquem d'avoir un bon vin est très grande.
Gaultier,
Tu es un amoureux des liquoreux.
Si tu es amoureux des liquoreux, quand tu ouvres Yquem 1917 ou 1927 dont tu n'as pas des wagons, tu les bois avec l'intérêt de la découverte. Et si tu ouvres un "petit" sauternes de 1924, tu le bois avec un infini bonheur, mais ça ne rabaisse pas Yquem. C'est une addition de plaisirs.
C'est d'ailleurs une question de philosophie. Il y a des gens qui ouvrent Yquem pour le faire écraser par un vin moins coté. Et il y a ceux qui apprécient les deux.
Si l'on intègre la question financière, c'est vrai qu'il faut aller vers les "petits" sauternes. Si l'on peut explorer Yquem, il faut aimer tous les liquoreux.
Quelques sensations hors Yquem, puisque tu évoques l'année 1924 :
Comme le Pavillon Blanc, le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 s’afficha à un niveau quasi irréaliste pour son appellation. C’est un grand liquoreux, à la trame frêle (on n’est pas en sauternais) mais qui expose une palette d’arômes de la plus belle diversité. Et l’orange lui a donné des aspects sublimes. Grand vin. Le Rayne Vigneau 1924, largement plus ambré, place la barre beaucoup plus haut, mais ne fait en rien pâlir Loubens qui n’est pas relégué en deuxième division. Le Loubens a la subtilité qui convient, et le Rayne Vigneau a un sourire, un chant ensoleillé et une séduction qui déshabille la Suzette de la crêpe dans une danse lascive.
La vraie star de ce dîner fut Château Coutet 1924. Comme chaque fois, mais vous le savez déjà, les Sauternes des années 20 se révèlent des vins merveilleux. Couleur ambrée, et cette senteur si imprégnante. Ces vins peuvent se sentir pendant des heures. Classique arôme d’agrumes, de fruits exotiques. Un grand Sauternes, doté d’une longueur exceptionnelle. Un grand vin.
La couleur de mangue ou de pèche jaune de l’Anjou Caves Prunier 1928 fait plaisir à voir. L’ambre du Clos du Pape Fargues Sauternes 1924 est sombre mais joyeux. Le Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1964 fait clair et jeune par rapport à ses aînés. Le nez de l’Anjou est très curieux, multiforme, avec des feuilles vertes qui se mêlent au citron. Une forte impression de litchi envahit la narine. Le Clos du Pape a le nez brillant d’un sauternes épanoui où se déclinent le pamplemousse et la mangue. Le Lafaurie a un nez discret de vin puissant. En bouche, c’est pour moi le Clos du Pape qui survole de loin. L’Anjou 1928 est moins brillant que l’Anjou Rablay 1928, lui aussi des caves Prunier que j’avais ouvert il y a une semaine chez Pierre Gagnaire. Je pense même qu’il y a une légère déstructuration dans ce vin. Le Clos du Pape a perdu l’initiale évocation de caramel pour être plus mangue et l’association avec les coings est absolument divine. La carapace croustillante aurait dû se marier à ce 1924, mais c’est le coing qui est captivant. La présence du Lafaurie-Peyraguey 1964 à côté du 1924 vérifie le théorème que je lance toujours comme une boutade, mais qui est une vérité immuable : « toute personne qui n’a jamais bu de sauternes d’avant 1935 n’a jamais rien bu ». Car le Lafaurie généreux, goûteux, puissant, serait joli tout seul. Mais il est infantile à côté du 1924 et trop simple par rapport au flamboiement langoureux d’un vin de 83 ans.
Le Château Filhot 1924 avait à l’ouverture un parfum inoubliable. D’un bel or serein il inonde les narines d’une odeur sensuelle. On voudrait s’en faire un bain. En bouche, c’est le plaisir le plus pur, chaud, profond. Le sucre est discret et l’on note des esquisses de thé. Les agrumes sont caressants. C’est surtout l’impression d’accomplissement et la perfection d’assemblage qui dominent dans nos esprits. A noter que le dessert qui me faisait peur dans son intitulé fut d’une précision horlogère pour se marier au vin.
Le Monbazillac Theulet-Marsallet 1924 du truculent René Monbouché que j’avais apporté, au nez d’agrumes et à l’empreinte gustative d’une immense durée subjugue cette sportive assemblée. Mon hôte s’émerveilla tant il savourait le plaisir de jouir de ces vins antiques aux sensations inimitables.
Les pommes ont un goût délicieux, un peu acide, qui est exactement dans la ligne de ce que demande le Château Climens Barsac 1924. Boire Climens des années vingt est toujours émouvant. Ce vin à la couleur d’ambre légèrement brun a un nez raffiné et subtil. En bouche, on s’aperçoit qu’il a mangé une partie de son sucre, ce qui le rend un peu plus sec. Et ses notes subtiles apparaissent davantage. Je suis beaucoup plus à l’aise pour apprécier ce type de vin que mes partenaires de table. Ce Climens n’est pas un des plus tonitruants, il joue sur la délicatesse, avec une longueur extrême.
Et pour montrer que ça ne marche pas toujours :
Le Stilton de Nicole Barthélémy est le plus beau Stilton du monde. Hélas, trois fois hélas, la magnifique bouteille de Château Climens 1924 est frappée d’un petit goût de bouchon. Alors, même si le vin est bon, car il combine de discrets agrumes et un charmant caramel, on ne voit ‘que’ le bouchon comme l’on ne voit ‘que’ la feuille de salade qui est collée aux dents du plus beau des sourires. Yann est triste car à l’ouverture son vin avait un merveilleux nez d’agrumes. Que s’est-il passé ? Je comprends sa tristesse car Climens est l’un des plus sublimes sauternes. Les deux tartes de Philippe Conticini, la tarte Tatin et la tarte douce à l'orange sont d’une magnifique délicatesse qui comme deux infirmières nursent le Climens.