Cher Monsieur,
Je prends connaissance de votre lettre du 16 janvier, adressée à mon regretté père, Michel Delon, malheureusement récemment décédé, ce que bien sûr vous ne pouviez pas savoir.
Je vous remercie, ainsi que vos amis, en son nom, de votre aimable invitation. Je suis personnellement et familialement touché par l'attachement passionnel qui vous lie avec vos amis au Grand Vin de LEOVILLE du Marquis de LAS CASES et vous félicite d'avoir réuni une aussi belle verticale de ce vin.
Les millésimes 1934 et 1947 ont été vinifiés par mon arrière grand-père, André Delon; il faudra cependant vérifier si il ne s'agit pas de mises faites par des négociants ou s'il s'agit de mises du château. Les millésimes de 1961 à 1973 inclus ont été vinifiés par on grand -père Paul Delon. Les millésimes 1982 à 1993 inclus ont été vinifiés par mon père, Michel Delon. Deux de 1994 à 1999 ont été vinifiés en concertation entre mon père et moi-même; enfin le millésime 2000 l'a été sous ma responsabilité.
Au niveau des millésimes qu'il serait souhaitable que vous obteniez, si cela est possible, je ne parlerai pas bien sûr de tout ce qui est antérieur à 1970 à raison des difficultés à les trouver, mais tout en restant à votre disposition si vous vouliez mes recommandations personnelles, pour autant que j'ai pu les goûter récemment.
Dans les années 1970, il serait souhaitable que vous vous procuriez le 1975 qui est probablement le vin du millésime à Bordeaux à l'heure actuelle, les 1978 et 1979 qui sont de beaux vins, éventuellement le 1976, mais de préférence en Magnum.
Enfin, dans les années 1990, le 1992 est surprenant pour ce millésime; bien sûr en Magnum il sera probablement plus impressionnant. Ces observations ne sont que des observations et, en aucun cas, des conseils car ce que vous avez réuni est déjà magnifique.
En ce qui concerne le service, dans le cadre d'une dégustation, non pas d'un repas, l'ordre bordelais veut que l'on commence par le vin le plus jeune, pour aller millésime par millésime vers le plus âgé, sans en décanter aucun. Cette dégustation a l'inconvénient de faire se côtoyer les petits et grands millésimes qui ne se mettent pas en valeur réciproquement suivant les périodes et au vieillissement suivant les bouteilles. Il existe une autre dégustation beaucoup plus complexe à mettre en place, qui consiste à commencer par le vin que l'on estime le plus bas en qualité au moment de la dégustation pour monter graduellement en passant par les millésimes intermédiaires bas, intermédiaires moyens, intermédiaires supérieurs, pour aller vers les plus grands. Cela demande de connaître les millésimes, ensuite les vins eux-mêmes et, enfin, au dernier moment de vérifier les vouteilles car, plus elles prennent de l'âge, plus on est à la merci d'un bouchon, d'une conservation et le vin peut se présenter mieux ou moins bien que ce que l'on sait et mal s'inscrire dans la montée graduelle de la dégustation.
Si vous le souhaitez, je peux vous donner ce que j'estime être une progression constante, mais il faudra quand même vérifier au dernier moment ces bouteilles et si je ne me suis pas trompé.
En dernier lieu, concernant la décantation, s'il s'agit d'une dégustation, je vous coneille de ne rien décanter car c'est trop compliqué et, surtout, si chaque personne a un verre par millésime, ceux qui auraient besoin d'être décantés monteront forcément à l'aération. Par contre, si vous consommez ces vins à table, la décantation peut être envisagée, mais pour le personnel ce n'est pas très simple.
A priori, les vins âgés c'est-à -dire de 1934 à 1973 inclus, à l'exception du 1961, doivent être servis en panier ou alors carafés au dernier moment avant de les servir, uniquement pour trier les dépôts; surtout bouchez les carafes: moins ils ont de contact avec l'air, plus ils conserveront leurs arômes et goûts et l'oxydation ne les améliorera pas.
Pour les années 1980, 1987 a besoin de peu d'aération; tous les autres à des degrés divers, gagneront à l'aération;
pour les années 1990, tous gagnent en principe à l'aération, qui comme pour les années 1980, plus le millésime est grand, plus elle peut être importante (par exemple, bouteille en carafe Magnum, durée de l'aération).
Tout cela est évidemment très compliqué à mettre en place, mais passionnant sachant que chacun peut avoir des idées qui lui sont propres sur le sujet et, évidemment des goûts personnels qui peuvent entraîner beaucoup de discussion.
Je reste à votre disposition pour tout autre renseignement qui vous paraîtrait nécessaire. Enfin, en dernier lieu, si un compte rendu de la dégustation était dressé, je serais heureux, si cela n'est pas compliqué, d'en recevoir un exemplaire.
Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
L'administrateur,
Jean-Hubert DELON