Les vins natures de Ganevat
Les vins natures, ce n’est pas mon truc. Je sais, je suis à contre-courant mais mes goûts sont ainsi faits. Beaucoup de mes amis œnophiles, pour ne pas dire quasiment tous, sont sur la même longueur d’onde. Logique : ne dit-on pas que « qui se ressemble s’assemble » ?
Mais bon, on ne veut pas non plus rester sur des dogmes et se remettre en question ne fait jamais de tort. On goûte donc bien, ici et là, quelques vins natures lors de salons ou de dégustations. On n’y a jamais trouvé de grandes choses vraiment convaincantes.
Cette fois, la chance a mis sur notre chemin un lot de vins de Ganevat, la star des vins natures du Jura et probablement une des références du monde des vins natures car il fût un précurseur (et convaincre son papa n’a pas été une mince affaire). Il demeure encore, à l’heure actuelle, un maître du genre.
Je parle de chance car les vins de Ganevat sont fort recherchés. La demande est cinquante fois supérieure à l’offre. Qui plus est, quand on trouve un caviste disposé à en revendre, il imposera souvent de devoir acheter une quantité certaine de vin du négoce en échange de quelques bouteilles du domaine. Sur le marché secondaire, les prix s’envolent, comme toujours, selon les lois de l’offre et de la demande.
Les vins de négoce peuvent être bons, je ne dis pas. Mais pour se faire vraiment une idée d’un domaine, ce n’est pas sur les vins de négoce qu’on peut le faire. Encore moins dans le cas du domaine Ganevat où le vigneron déclare lui-même que le vin se fait à 95% à la vigne. Avec ses vins de négoce (où les raisins sont donc achetés par définition), la logique mathématique nous amène à un vin fait à 5% par celui qui appose son nom sur l’étiquette. Mais bon, ce fût chez Ganevat, une question de survie. En 2012, la nature l’a touché et les rendements sont descendus à 20 hectolitres par hectare. L’année suivante, dame nature a encore été plus méchante en faisant baisser les rendements à 10 hectolitres/ha. Acheter du (bon) raisin et vendre du négoce était une question de vie ou de mort.
Le domaine
Les Ganevat font du vin de père en fils depuis 1650 (14 générations se sont succédées). Le domaine propose une centaine de cuvées soit un nombre incroyablement élevé pour un domaine de 13 hectares (plus le négoce). Point de vue personnel, le domaine emploie 15 personnes. C’est un nombre élevé mais, faire du vin nature, requiert cet investissement. Quand on n’utilise pas les tracteurs pour pulvériser des produits chimiques, il faut des mains pour faire le travail. L’artisanat, au sens noble du terme, m’a toujours séduit. L’approche me ravit.
Les vins de Ganevat sont des vins friands d’une grande buvabilité. Il n’est pas rare d’avoir un taux d’alcool très bas, dans les 10°. Le vigneron recherche de la finesse, du fruit et de la fraîcheur. On aura, régulièrement, de l’acidité voir, parfois, de l’amer. Comme le dit Ganevat, ce sont des vins que l’ « on a du mal à recracher….ça fait glou-glou »
Avant et après 2006
Il faut savoir que Ganevat a arrêté de soufrer ses vins à partir de 2006. Il y a donc un avant et un après. Lui-même n’aime plus goûter ses vins d’avant. Il les trouve éteints et morts. Il a d’ailleurs fait des essais avec des cuvées sulfitées et non sulfitées. Pour lui il n’y a pas photo : les vins sulfités sont lourds et éteints avec des arômes qu’il ne veut pas : champignons, beurre, truffe,…Il faut donc, pour cerner le domaine, goûter des vins des deux périodes.
Les vins blancs
* Rien que du fruit 2007. Le vin présente un très faible niveau d’alcool, beaucoup d’acidité et une belle tension en bouche. C’est le premier vin dégusté et là, on a déjà compris : il va y avoir du lourd, du très lourd !
* Chamois du Paradis 2004. Le nez est un peu crayeux et la bouche est ronde. Les arômes sont peu déviants avec cette note surprenante de fromage bleu. C’est court et peu tendu. Un vin d’avant 2006 et soufré.
* Oregane 2007 et 2009. Le 2007 a un nez de chardonnay, ce qui est logique. On pourrait même penser à un beau bourgogne. Il est dense, long mais la finale est marquée par des amers et c’est un peu dérangeant. Le 2009 est une merveille absolue ! Un tout grand vin « de toute beauté *». Par rapport à 2007, il propose plus de fruits, est plus tendu et est plus précis. Le fruité est étincelant, la matière est bien présente mais on a en plus de la gourmandise et du peps….grandissime !
* Schiste 2004 : un beau savagnin qui démontre que l’on peut faire des savagnins d’une grande pureté. Comme toujours, avec Ganevat, des fruits et de la tension.
Les vins rouges
* Enfants terribles 2005 et 2009 (à base de Poulsards). Le 2005 est dense mais un peu compoté. Au nez, de la volatile se ressent et c’est un peu dérangeant. Le vin est bon mais un peu austère. Il aurait du être bu plus tôt et peut-être que Ganevat a raison quand il dit que le soufre a éteint le vin. Le 2009 est perlant. Comme cela arrive parfois en vin nature, le vin a refermenté en bouteille (l’ajout de SO2 tue les levures lors de la mise en bouteille et empêche la refermentation. Les vins natures n’utilisant pas le S02 et donc une refermentation arrive de temps en temps). On décide alors de le carafer et de bien le secouer. Mais, le pétillant se perçoit toujours en bouche et c’est gênant. Le nez est aussi très « nature », un peu renfermé. Bref, les enfants terribles ne séduisent pas.
* Julien Ganevat Pinot Noir 2004, 2008, 2009, 2010. Le 2004 développe un nez un peu poussiérieux avec, une pointe de bouchon en finale. C’est quand même bon en bouche (le bouchon ne se ressent pas) mais sans plus. On a sans doute attendu un peu trop longtemps et peut-être que Ganevat a encore raison quand il dit que le S02 a éteint le vin. 2008 est fruité, frais et gouleyant. On récupère, par rapport au 2004, du fruit et de la tension. La couleur est plus trouble et le vin présente de la matière en suspension. Le 2009 est clair et limpide. Le fruit est plus précis. Ce vin est excellent. Le 2010, c’est le sommet. Un vin incroyable, grandiose. Le nez est dingue, excitant. La bouche présente des arômes de fraises écrasées. On dirait presque une bouche de Rayas…je dis presque car c’est plus enivrant et plus passionnant encore que Rayas (et là je sais que je ne vais pas me faire des amis avec un tel pavé dans la mare). Quelle finesse, quelle précision ! Une bombe !!!
* Trousseau plein sud 2005, 2008 et 2009. Le 2005 se montre un peu fatigué et alcooleux. Il est un peu éteint avec ses arômes de cerises un peu compotées. Le 2008 a un nez « à la nature » : un nez de réduction qui ne m’excite vraiment pas. En bouche, c’est grillé et solaire. Ce n’est pas mauvais mais on a déjà goûté mieux. Le 2009 est une tuerie à la Ganevat : fraîcheur, fruits rouges écrasés, tension…et belle longueur en bouche. C’est tout bonnement magnifique, magique et d’un équilibre rare.
Le reste
La dégustation s’est poursuivie et terminée avec des vins de voiles, le macvin et un vieux marc. Sur ces vins/alcools, pas grand chose de spécifique à dire. Ce sont des vins et alcools aux arômes classiques sans vraiment de particularités « à la Gavenat » ressenties.
Conclusions
De manière générale, on a reçu de fameuses claques sur cette dégustation : Oregane 2009, Julien Ganevat Pinot Noir 2010 et Trousseau 2009. Trois « bombes » sur une soirée, on frise le record. Il y a, chez Ganevant, une réelle explosivité de fraîcheur et de fruits avec de la matière, de la longueur et une vraie belle trame. Natures ou pas, là n’est pas la question : Ganevat peut faire des vins extra-ordinaires. Il y a eu aussi, certes, quelques déchets mais c’est cohérent : la nature ne donne pas toujours le meilleur d’elle-même.
Il est aussi évident que les vins natures peuvent vieillir. Même sur le blanc, on garde du fruit après plus de dix ans. C’est impressionnant. Ganevat déclare que le S02 ajouté à la mise éteint les vins et nous le rejoignons sur cette constatation. Tous ses vins d’après 2006 sont largement supérieurs. Maintenant, il sera intéressant de les goûter dans quelques années pour être sûr que c’est bien l’arrêt du soufre (et pas le temps) qui permet de garder les vins « en vie ».
Par contre, même si nous sommes convaincus que les vins natures de Ganevat peuvent vieillir, notre courte dégustation semble donner les vins à leur sommet dans les 7-8 ans.
Une autre constatation : plus les robes des vins sont claires et dépouillées et plus le vin se montre grand. C’est amusant car on aurait pu penser que cela serait l’inverse.
Bref, Ganevat est peut-être une loterie mais les probabilités de toucher le jackpot sont hautes. Et quand on le touche, « mes petits lapins* », c’est « de toute beauté* », de la bombe !!!
* : expressions souvent utilisées par Ganevat dans le petit film qui lui est dédié