Soirée très intéressante ce lundi, puisque grâce à Éric Boschman, nous avons eu l'occasion de déguster 10 millésimes de Mouton-Rothschild ce qui, il faut bien l'avouer, ne m'arrive pas tous les jours. Certes, il manquait les millésimes les plus spéculatifs (comme 2000 et 2005), mais ne dit-on pas que c'est dans les années plus difficiles qu'on reconnait les meilleurs ?
Tous les vins sont servis en même temps, dans un premier temps du plus vieux au plus jeune, ce qui permet de suivre l'évolution dans les verres et de revenir plusieurs fois sur chacun d'entre eux. Ils n'ont pas été carafés.
Voici donc mes commentaires de dégustation.
Château Mouton-Rothschild 1990 - **(*)
La robe est de relativement faible intensité, aux reflets grenats. Le premier nez est assez élégant, fondu et évolué, mais évolue rapidement en délivrant de légères notes végétales, de girofle, de goudron et de cuir, qui deviendra de plus en plus insistant, faisant perdre toute l'élégance initiale. La bouche est souple, manque singulièrement de tonus, le vin semble ne pas posséder de colonne vertébrale, avec un équilibre instable qui se prolonge dans une finale un peu chaude et fort courte. A mon sens, le vin est cuit, mais pour l'avoir déjà dégusté bien plus jeune, il n'a jamais été digne de son statut et de son millésime. Un ratage aussi attendu qu'incompréhensible.
Château Mouton-Rothschild 1993 - **
Robe d'intensité moyenne aux reflets rubis à grenat. Au nez, les notes végétales sont très nettes, le poivron domine largement, accompagné d'un petit côté métallique et d'une pointe de carton mouillé qui ne sont pas du plus bel effet. La bouche confirme l'impression assez désastreuse du nez, avec une attaque marquée par la fraîcheur, un manque évident de matière et de maturité, qui nous offre le spectacle désolant d'un vin déséquilibré et heureusement très court. Certes, on me dira qu'il s'agit d'un 1993 mais j'ai, il y a quelques jours, pris davantage de plaisir avec un Château Phélan-Ségur du même millésime, qui doit coûter au moins dix fois moins cher. Voilà donc un vin dont le seul intérêt réside dans l'étiquette, interdite aux États-Unis pour cause d'évidente incitation à la pédopornographie...
Château Mouton-Rothschild 1994 - ***(*)
La robe est légèrement plus intense, aux reflets rubis à grenat. Le nez est assez flatteur et d'une belle finesse, même si encore légèrement dominé par l'élevage, et délivre un beau fruité bien frais. En bouche, l'attaque est fraîche, le volume est moyen, les tannins sont encore assez raides, manquant de soyeux, et la longueur est correcte, sans plus. Cependant, cette bouche va s'améliorer considérablement à l'aération, justifiant une petite majoration de la note initialement attribuée (***). C'est un bon vin, qui ne me semble pas transcender son millésime, mais qui peut faire un très bon compagnon de table.
Château Mouton-Rothschild 1995 - ***(*)
La robe est de belle intensité aux reflets rubis. Le nez est beaucoup plus mûr, sur les fruits noirs, avec un côté légèrement animal, accompagné de notes de graphite. Belle attaque en bouche,un peu stricte mais bien équilibrée. La finale est sur le fruit, avec des tannins encore un peu raides, et une belle longueur. Une belle impression d'ensemble, légèrement ternie par l'aération prolongée, qui rend paradoxalement les tannins un peu secs, ce qui m'incite à baisser légèrement la note initialement attribuée (****).
Château Mouton-Rothschild 1997 - ***(*)
La robe est similaire à celle du millésime précédent, peut-être un rien plus évoluée. Le premier nez est dominé par un boisé caramélisé un peu écœurant, puis s'ouvre sur un beau fruité bien mûr, qui doit ensuite céder la place à des notes de torréfaction qui s'accentuent à l'aération et au réchauffement. En bouche, il ne s'en sort pas si mal que cela, avec un bel équilibre, qui aurait été parfait avec un poil de tonus supplémentaire, et une finale d'une belle longueur sur une touche légèrement saline. La fenêtre n'est certes pas très large pour obtenir le meilleur du nez, mais la bouche ne manque pas de charme en l'état.
Château Mouton-Rothschild 1998 - ***
Robe de belle intensité, aux reflets rubis. Les nez est sur la banane séchée, les fruits noirs et le graphite, assez peu expressif à ce stade. En bouche, l'attaque est fraîche, mais est rapidement marquée par des tannins très rudes, à la limite de la sécheresse, qui me gâchent le plaisir en dégustation pure, et au sujet desquels j'émets quelques doutes quant à leur future évolution favorable. Il devrait cependant bien mieux se comporter à table sur un plat plutôt gras.
Château Mouton-Rothschild 1999 - ***(*)
La robe est d'intensité moyenne, aux reflets rubis à grenat. Le nez est flatteur (peut-être même un peu trop), sur un boisé torréfié, du café, de la banane séchée, avec un fruité à l'arrière-plan. En bouche, le vin se montre souple, étonnamment facile à boire, bien équilibré et long, mais me semble manquer de fond pour affronter une longue garde. Une fille facile, de celles qui peuvent nous apporter bien du plaisir pour un soir, mais pas de celles avec qui on s'engage à long terme.
Château Mouton-Rothschild 2001 - ****(*)
Robe de belle intensité aux reflets rubis. Le premier nez n'est pas très expressif mais se dévoile tout en finesse, moins boisé de prime abord, s'ouvrant sur les fruits noirs et les épices, les notes de torréfaction faisant finalement leur apparition au réchauffement. En bouche, l'attaque est fraîche, l'équilibre est superbe, les tannins bien présents mais d'une belle finesse. Grande longueur minérale (saline). Bon, je sais, j'aime bien ce millésime en général et mon avis n'est peut-être pas d'une grande objectivité, mais ceux entendus de la bouche des autres participants allaient dans le même sens.
Château Mouton-Rothschild 2004 - ****
La robe est plus intense, avec des reflets violets à rubis. Le nez est très parfumé, élégant, épicé, avec un beau fruit qui semble à maturité correcte, et un peu de réglisse. Belle attaque en bouche, équilibre remarquable, tannins présents mais bien mûrs, jolie structure, longueur qui ne l'est pas moins. Une belle bouteille, quasiment au niveau du 2001, c'est dire...
Château Mouton-Rothschild 2006 - ****(*)
Robe de belle intensité, aux reflets violets. Le nez est marqué par un boisé torréfié, mais celui-ci ne domine pas le très beau fruité bien mûr. Épices et graphite complètent ce bien joli tableau. La bouche est superbe, souple, d'une grande ampleur, tout en conservant une très belle acidité. Équilibre parfait, grande longueur, voilà incontestablement une très belle bouteille devant qui s'ouvre un avenir radieux. A noter une étiquette dont la beauté formelle m'échappe quelque peu...
En guise de conclusion, je dirais que si la décennie 1990 nous a apporté son lot de déceptions, la suivante semble marquer un net regain de forme avec trois très beaux vins pour finir la dégustation. A titre de comparaison, j'avais été bien plus impressionné par la qualité de Haut-Brion lors d'une autre verticale organisée par le même Éric Boschman.
Il est cependant difficile, dans ce type de soirée, de ne pas évoquer l'aspect financier des choses. Les dix bouteilles, achetées spécialement pour l'occasion dans un lieu qui n'est certes pas réputé pour la douceur des prix pratiqués, ont généré une dépense qui dépasse très largement les 3.000 € ! Plus de 600 €, si ma mémoire est bonne rien que pour le 2006 qui, même s'il se révèle comme une très belle réussite, ne me semble pas intrinsèquement supérieur à un vin comme Pontet Canet 2006, dont ont peut obtenir une caisse de 12 bouteilles pour le même prix. Ce n'est donc pas cette dégustation qui me convaincra de casser ma tirelire pour me procurer quelques bouteilles de ce cru classé en 1973...
D'autant que toutes ces bouteilles ont proprement été balayées par une bouteille de Bourgogne Grand Ordinaire 2007, pas si ordinaire que cela, qu'Eric a eu la bonté de nous faire découvrir...
CR à suivre dans la rubrique idoine.
Luc