Le débat est fort intéressant, mais je crains qu’il sera toujours impossible de comparer un 1928 ou un 1865 avec un 1990 ou un 1959 ou encore un 2005. Les vins ne sont plus élaborés par les mêmes hommes ni avec les mêmes techniques et les consommateurs ne recherchent pas le même plaisir…
Ce que l’on sait aujourd’hui c’est que les vins sont en général bien meilleurs. S’il n’est pas sûr qu’on produise davantage de millésimes exceptionnels, les vins de grande qualité sont bien plus nombreux.
Il y a un siècle, environ 1 millésime sur 20 était excellent à exceptionnel, 3 à 4 bons à très bons et le reste de qualité moyenne à médiocre, le tout pour des rendements 2 à 3 fois moindre.
A l’heure actuelle, on peut considérer que 6 millésimes sur 10 sont bons à très bons dont 1 ou 2 excellents.
(Ces chiffres proviennent de statistiques recoupées à partir d’anciens ouvrages)
Certes, tout cela est relatif et nous n’avons plus les mêmes critères de jugement, alors la comparaison est sans doute inutile !
Croire qu’autrefois les aînés étaient d’une sagesse avérée est un peu rapide voire même quelque peu naïf.
Dans l’Art du Faire le Vin, M. Maupin se livrait à quelques réflexions intéressantes concernant « la nécessité et les avantages de la bonification des vins » : « Pour comprendre le ravage que font les mauvais vins, il faudrait, pour ainsi dire, en avoir éprouvé soi-même les mauvais effets : car rarement se fait-on une juste idée des peines qu’on n’a jamais ressenties : il faudrait se mettre à la place de ce voyageur, de cet infirme, de ce malade, ou plutôt de tous les citoyens qui en font leur boisson. Il faudrait connaître par l’usage même le dégoût et le préjudice que causent tous les vins froids, les vins verts, les vins durs et épais : il faudrait savoir le dommage que fait l’usage des vins dépravés et qui se sont corrompus pour avoir été mal faits. Combien de ces vins en pure perte pour le propriétaire et pour le Roi ! …. J’ai vu cette année dans un village de la Brie, des moissonneurs, des gens qui, pour ainsi dire, boiraient en même temps des deux mains, s’il était possible, se passer de vin et aimer mieux y renoncer entièrement, que de boire du vin épais et tournant à l’aigre, auquel ils auraient faits fête s’il avait été meilleur.
Mais si la bonne qualité de nos vins en accroît le commerce chez nous, elle ne l’accroîtra pas moins chez l’Etranger. En améliorant nos vins, en les rendant désormais plus gracieux, plus entrans, plus salubres, plus propres au transport, nous pouvons nous tenir assurés que l’Etranger s’y livrera bien plus qu’à présent qu’il se plaint quelquefois de leur mauvaise qualité. Les Anglais, dit-on, se sont plaints par leurs ambassadeurs que les vins qu’on leur envoyait de Bordeaux étaient falsifiés et pourris. Si cela est, doit-on s’étonner que nos vins ayant tant perdu de leur faveur et que le commerce en soit si considérablement déchu, non seulement en Angleterre, mais encore en Hollande ? et dans le Nord ?..... »
D’actualité non ? ce texte est pourtant daté de 1779 !!
Quant au 19eme siècle, ce n’est pas mieux, face à la pénurie, tout était possible : utilisation de raisins secs (de 30 000 t en 1878, on dépasse 500 000 t à la fin du siècle.), vins de deuxième cuvée, vins colorés, etc… (« Vins, vignes et vignerons de M. Lachiver).
Le 20èmesiècle montrera également bien des égarements (utilisation massive de produits phytos, clones hyper-productifs…..) Avec le développement des connaissances scientifiques, on était persuadé dans les années 70-80, qu’un œnologue pouvait, quelque soit la qualité du raisin, être capable d’élaborer un très bon vin.
Heureusement, aujourd’hui, on remet la Vigne et le Raisin à la place qu’ils méritent. Mais ne nous berçons pas d’illusions, nous commettrons bien d’autres erreurs que les futures générations condamneront sévèrement.
J’aime les vins anciens quand ils ont su garder encore quelque fraîcheur, mais combien de fois avons-nous l’occasion de goûter ces « Monstres » vivants ?
Nous travaillons actuellement en Bourgogne, sur le concept de vins de garde. Il ne faut pas se méprendre : N’est pas vin de garde qui veut !
Les critères qui seront retenus seront sans aucun doute extrêmement sélectifs (Ces vins ne représenteront jamais plus que quelques % de la production de nos grandes régions viticoles).
Il est de notre devoir de perpétuer se savoir-faire et en tant qu’amateur, de défendre ce patrimoine qu’est le nôtre.
Si c’est pour trouver les mêmes vins uniformes, colorés, aromatisés, tout en fruit (merci les enzymes et l’industrie agro-alimentaire), riches en sucres résiduels, et copieusement « vanillés », alors non merci ne comptez-pas sur moi !
La technique doit être au service de l’Homme et non l’inverse. C’est à nous, les consommateurs de dire ce que nous voulons.
En attendant, la Bourgogne est en train d nous concocter un millésime 2005 à faire pâlir, sans aucun doute, quelques uns de ces prestigieux aïeuls !!!
Cordialement
Jean
Désolé de vous avoir infligé cette réflexion. Mais je me sens mieux !