Le millésime 2021 par Pierre et Jean Gonon
Nous le savons depuis quelques mois déjà de nos discussions bourguignonnes et ligériennes. Le gel printanier et les épisodes pluvieux tout le long de l’année n’ont pas fourni des bases propices à un grand millésime. La reprise de notre périple vers le Rhône Septentrional allait nous permettre de compléter cet état des lieux. Et quoi de mieux que de retourner à Mauves pour cela.
La perspective du long trajet fut atténuée par celle de croiser et converser à nouveau avec Pierre ou Jean Gonon. La nuit a recouvert l’horizon depuis longues minutes désormais. Nous nous garons dans la cour pour ensuite nous faufiler dans le chai par la porte entrebâillée. Nous rejoignons les caves par l’escalier en spirale. Jean est déjà affairé avec d’autres visiteurs, ce sera donc Pierre qui nous guidera lors de la dégustation. Retour au rez-de-chaussée.
2021 et ses obstacles
- Monsieur Gonon bonjour, cela va faire maintenant 2 ans que nous n’étions pas venus. J’imagine que les gens commencent à revenir dans la région ?
- Oui, cela fait d’ailleurs plaisir de revoir les personnes. En ce moment il y a beaucoup d’étrangers, des importateurs. Nous les recevons depuis la fin des vinifs jusqu’à maintenant. La coupure des transports avait eu lieu au plus fort de la période des déplacements.
- Comment sont les rendements en 2021 ? Beaucoup de régions ont été sévèrement touchées par le gel d’Avril.
- Je ne regarde pas de suite. Ce qui m’importe d’abord c’est que les raisins qui arrivent soient sains. Si l’on doit parler rendement ensuite, il ne faut pas que cela fasse plus de 35 hl. Et effectivement 2021 sera une récolte plus petite.
- Heureusement qu’il y a eu les volumes de 2018.
- Cette année-là, ce n’est pas le nombre de baies qui a fait le rendement. C’est la taille des fruits. Ils étaient gorgés d’eau. Et la maladie guettait. La qualité des fruits avant les volumes donc, pas l’inverse. Il y a eu beaucoup de tri cette année. Cela nous change des années précédentes. Depuis 2014, nous n’avons presque rien eu à trier. Après ce n’était pas une surprise, il a plu pendant une grande partie de l’année.
- Je me rappelle avoir été en Juillet dernier en Loire Occidentale et vos confrères étaient encore dans les vignes en train de traiter.
- Nous aurions eu plus de monde pour travailler, cela n’aurait pas été de refus. Pas tant au moment des vendanges, ce n’est en général pas un souci. Mais plus tôt dans la saison, de Mai à Juillet. Il est désormais plus difficile d’en trouver. Les domaines sont d’ailleurs contraints d’aller chercher de la main d’œuvre à l’autre bout du monde. De notre côté, nous avons de la chance, nous arrivons à en avoir en provenance de l’Europe de l’Est.
Vin blanc prélevé sur cuve inox
Un nez sur la poire, des notes de pêche blanche. En bouche, outre la fraîcheur liquide (9°C), le vin est assez digeste, fluide. De l’abricot, un peu de tilleul et de la peau de poire. L’amer en finale est perceptible mais léger. A goûter à nouveau à une température chambrée.
AB+/B-.
- Vous avez bien fait de ne pas arracher les vignes.
- Je ne vous ai pas dit. C’est le Saint Joseph blanc 2020, pas le Chasselas.
- Ah oui…
Note à moi-même : Lorsque le vin n’est pas encore annoncé, s’abstenir. Note à moi-même 2 : ce n’est pas demain la veille que je vais concourir aux dégustations aveugles. Et on sort les rames pour remonter le courant de solitude que je viens d’installer. La malo est faite ? C’est assez frais.
- Oui, toujours. Il y a parfois des vins techniquement moins acides que d’autres mais d’une sensation plus fraîche que ces derniers.
Iles Feray 2020
Un poivre gris en entame sur la langue et dans les joues. Passé les premiers instants, il laisse place à une trame plus aérienne. Ce n’est qu’en finale que le cassis et la myrtille se goûtent.
B-/B
- Je comprends que 2021 a été récolté tardivement. Qu’en a-t-il été pour 2020 ?
- 2020 est une année plus sèche. Nous avons commencé à vendanger en Août les blancs et un peu de rouge. Le reste s’est fait en Septembre.
- Août, c’est plutôt rare pour vous.
- Il y a eu 2003 et 2020.
- Avec une date tardive en 21, comment vous êtes-vous organisés en attendant ? Vous avez peut-être avancé d’autres travaux ?
- Non, nous étions dans les rangs. Entre les vacances et le fait qu’il fallait finir les vignes avant les vendanges, notamment l’herbe, pas de temps pour autre chose. Nous n’avons pas encore fait les murs et les terrassements. Sur une année, c’est notre variable d’ajustement. Et sur cette saison, nous avons tout eu.
Planter / replanter
- Avez-vous pu planter cette année ?
- Un tout petit endroit. Avant de planter, il y a un travail de maçonnerie important partout. La partie haute des vignes a été faite il y a vingt ans et la partie basse sur Tournon est plus pentue. Et puis cette année nous avons eu beaucoup d’esca. C’est bien d’avoir des terrains au repos. Par endroits certains arrachent et replantent directement.
- Il n’y a pas un temps minimum de repos imposé ?
- Il n’y a pas de règle. Nous préférons laisser les sols au repos. Cela permet de réduire les nuisibles tels les nématodes logés dans les racines.
Saint-Joseph 2020
Un nez qui mêle de discrètes pétales de violette, des notes d’olives de Lucques adoucies aux grains de vanille.
Sur les papilles, la comparaison au St Jo met en avant ce qui manque au VDP tant le St Jo en possède les qualités : la matière. C’est long, intense, poudré et doté de l’acidulé de jeunes baies. Autant la différence de consistance n’apparaissait pas si évidente sur les millésimes précédents, autant sur 2020 la sève qui compose le St Jo laisse présager un vin capable de défier les années, voire les décennies.
TB+ en dépit du froid ambiant. En parlant des fraîches conditions: les fruits s’expriment probablement un peu moins et les tanins sont légèrement plus perceptibles. Il va de soi que je pinaille, tant le vin, même lesté de ce handicap, demeure un modèle d’intégration de la rafle.
- Il me semble qu’il y a une cuve béton (celle en noir) en plus par rapport à notre dernière visite ?
- Nous nous en servons pour la vinif. Le côté isolant et l’inertie procurée nous conviennent bien. Le béton et le bois sont assez proches en terme de rendu de vinif. L’inox c’est bien plus différent.
Nous re-descendons pour accéder cette fois à une salle voisine à celle où nous dégustons habituellement.
- Nous n’étions jamais venus de ce côté. Qu’y avez-vous ? Les fûts paraissent plus clairs, un peu plus jeunes.
- C’est notre autre lieu d’élevage. Il n’y a pas de blanc, que du rouge. Pour le reste, c’est identique aux autres caves. Les tonneaux sont les mêmes. Il y a un peu plus de lumière ici.
Iles Feray 2021
« Nous sommes sur la fin de malo. »
Derrière la réduction, on goûte des notes de graphite. Le registre verse sur des notes florales. Avec une droiture et une vivacité supérieure (cf. fin de malo).
AB+/B-
- Quelles vignes composent les Iles Feray ?
- Il y a une base de 2 vignes en bas de coteau. Elles y entrent systématiquement. Ensuite nous y mettons les jeunes vignes du coteau qui ne rentrent pas encore dans le St Jo. Nous ne mettons jamais les vignes dans le Saint-Joseph avant qu’elles aient 8-10 ans d’âge. Et c’est à partir de 20-30 ans que nous arrivons au moment charnière.
2021, les pieds dans l’eau
- La ligne de pluie faisait une coupure à Montélimar. On manquait d’eau sur la fin Août. Puis de fin Août et sur Septembre, la pourriture a galopé. Plus il y a de sucre, plus ça va vite. On savait qu’il existait des foyers dès Juillet. La fin de l’hiver et le printemps avaient été très secs. Nous avons eu 2 week-end d’eau après le gel en Avril. Et ce ne s’est jamais arrêté de Mai à Juillet. Une pause en Août et une reprise en Septembre.
- Il vous a fallu traiter plus souvent j’imagine. Combien de passages avez-vous totalisé ?
- 11, contre 5/6 habituellement.
- Cela fait beaucoup.
- Ce qui compte c’est la dose finale. Nous n’atteignons jamais le maximum. Pour en faire un peu moins il aurait fallu concentrer les traitements.
- Une sortie est déjà longue.
- C’est plus la concentration au produit qu’il aurait fallu changer. Mais tous les secteurs n’ont pas besoin des mêmes doses. Et une fois la préparation faite, on ne peut pas changer la concentration. Et les fenêtres de traitement ont été rares cette année. La dernière fois où nous avons eu une saison similaire, c’était 2014. Tout s’accumule avec l’humidité : les mouches, les vers de la grappe, etc.
Saint-Joseph 2021, “Les Oliviers”
Le nez est plus ferreux. La bouche est très, très fluide, sans aucune faiblesse de matière. De l’olive sucrée et un séveux qui émerge avec les secondes. Comparativement plus vif et plus frais que 2020. On retrouve cette si belle signature de tanins poudrés et cacaotés en finale.
TB+/Exc-
- Nous goûtons les différents lieux-dits. A quel moment procédez-vous à l’assemblage ?
- Le premier assemblage s’effectue pratiquement au bout d’un an avant que nous remettions le tout en fûts. Puis nous réassemblons 5 mois avant la mise, à l’occasion du soutirage.
Saint-Joseph 2021, “Manchot de la Croix”
« Le sol est granitique. Il s’agit de la superficie la plus grande. Dans l’ordre : Manchot de la Croix, Saint-Jean puis les Oliviers.»
Une droiture supérieure, un fruité plus éclatant, plus énergique sur la groseille et la mûre sauvage. La virgule finale d’une grande noirceur apporte un contraste qui éloigne grandement ce vin de la monotonie. La dynamique change avec la seconde gorgée. La solidité du socle et de l’ossature y apparaît.
Excellent de complexité.
Pour tenter de percer le secret de cette intégration si réussie de la rafle :
- Sur quels critères décidez-vous d’érafler ?
- Selon ce que l’on voit.
- A la vendange, vous coupez court ? proche du fruit pour avoir moins de rafle ?
- Je vois ce que vous voulez dire. Non, ce ne serait que pour quelques grammes de différence. Et il y a des endroits où le fruit recouvre presque la rafle. La section se fait entre le sarment et le fruit.
- A quelle proportion êtes-vous sur les dernières années?
- Sur 2019 et 2020, on a éraflé 10 à 15%
D’un millésime à l’autre
Nous passons aux rouges en bouteille.
Saint-Joseph 2019
Un peu de fleur de sureau au nez, du bourgeon de cassis et de la violette. Il est temps de verser le nectar sur les papilles… Pow, pow, pow ! dirait le fictif DJ VE (Vendanges Entières). C’est poudré et suave dans son enveloppe tout en étant plein, dense, noir en son cœur. Une longueur superlative. Le vin ne tombe jamais, il est comme lancé en position aérodynamique sur une piste ovale. Seule une minuscule verdeur de la rafle, à la frontière du menthol, rappelle que rien ne presse.
De la graine de grand vin.
- Comment parvenez-vous à garder autant de fraîcheur sur 2019 ? C’est assez bluffant pour un millésime dit solaire. Il doit y avoir la rafle mais pas plus que les autres années. Un de vos confrères bourguignons évoquait l’influence du travail des sols.
- C’est la somme des petites choses que l’on pense être bien pour la vigne. Il n’y a pas un levier spécifique que l’on puisse isoler pour identifier la causalité. Et nous sommes trop petits pour faire des tests. Sur ce que l’on fait, est-ce que l’on voit le résultat ? Il n’y qu’à Bordeaux que cela est possible
.
Saint-Joseph 2018
- Je l’ai goûté il y a peu, c’était délicieux.
- Je trouve qu’il est en train de se refermer. Vous me direz sur ce que vous allez goûter.
Des saveurs acidulées d’airelles et de cassis surmontées de violette. La structure est effectivement plus engoncée que ma précédente dégustation. Comparativement à 2019, 2018 est plus frais, sur un registre plus rouge et floral. La rafle se perçoit davantage. J’ai dû me faire une fixette sur cet aspect ce jour-là
.
TB-
- C’est probablement un peu plus serré en finale. Mais peut-être suis-je influencé par ce que vous m’avez dit juste avant. (…) Avec les maladies des vignes, vous devez poursuivre les remplacements. Nous avions évoqué lors de l’un de nos précédents passages la constitution d’une bibliothèque de pieds.
- Oui, nous avons des sélections massales chez Bérillon. On cherche à avoir une population variée. Il y a des différences dans la taille des rafles. Tous les pieds ne sont pas nécessairement en bonne santé. Comme dans une population normale d’individus en fait. Puis nous avons arrêté les clones. La Syrah est plus sensible au dépérissement et il peut être foudroyant. Nous avons fini l’arrachage la saison dernière. Nous avions repéré les affaiblissements avant la tombée des feuilles. Les pieds neufs seront mis en place à partir de Février l’an prochain.
Saint-Joseph 2017
De la liqueur de cassis vient immédiatement flatter les nasaux. La tenue est plus raffinée et plus haute sur le palais. Une forme d’élégance s’est développée. Elle n’était pas présente il y a 2 ans de cela. Un effet séquence peut-être. Les 2ème et 3ème gorgées font émerger une accroche.
TB+ néanmoins.
- Les rendements ont grandement varié d’une année à l’autre. Comment avez-vous ajusté votre parc de fûts ?
- En 2018 et 2019, nous avons acheté un à deux fûts. En 2020 et 2021, aucun achat.
- Vous en avez peut-être libérés ?
- Sur une année où il y a moins de vin, si nous avons un doute sur l’état physique du tonneau, il sera remplacé. Si le doute porte sur le goût, il est remplacé de suite, peu importe les volumes du millésime.
Saint-Joseph 2011
Moi qui ne suis pas fan des notes viandées sur une Syrah âgée, allais-je en rencontrer ici ? La réponse fut vite donnée : du sirop de cassis, du sureau et du bonbon à la violette. Sont soupoudrés ici et là quelques notes fumées, des accents de champignons et de la rose fanée. La complexité est XL. L’ensemble est savoureux et très digeste. Très chouette.
TB+/Exc
- J’ai raté que 2011 était bon dans le Rhône Nord.
- 2011 a le malheur de passer après 2010.
Le rôle de l’amertume dans la fraîcheur
Nous poursuivons la dégustation sur flacons mais changeons de teinte.
Chasselas 2019
“Ah le voilà
.”
Le nez est un parfum. Des effluves de tilleul, d’acacia mûr, de la menthe douce et de l’ananas. La bouche est un peu moins expressive, plus fine.
B, pour le nez notamment.
Et je peux enfin placer mon : - Vous avez bien fait de ne pas l’arracher.
- Nous avons tout refait, nous sommes donc repartis pour quelques années.
Saint Joseph 2019
Quelques billes gazeuses trahissent un léger perlant. La bouche procure une sensation grasse sans l’être. De la chair de poire conférence, des fleurs blanches avec un filin central sur l’amertume.
B pour la bouche.
- Même si je ne suis pas un grand amateur d’amers, j’avoue que cela contribue ici à conserver un vin digeste (ou alors l’âge fait évoluer mes goûts
).
- C’est une manière de garder de la fraîcheur. Et nous demeurons convaincus que tous les petits gestes que nous apportons y participent. Nous ne croyons pas aux grands changements. Certains sont passés du désherbant à la non culture. La non culture ne fonctionne pas pour nous.
Saint Joseph 2018
Une parenté indéniable, un soupçon d’amer en plus. La finale colle un peu aux joues et me fait penser à quelques vins soufrés.
AB+. Je m’en vais poser la question.
- A quel niveau de soufre êtes-vous ? La sensation en fin de bouche me rappelle des vins de domaines réputés, excellents au demeurant, connus pour ne pas limiter le soufre.
- Les gens réagissent différemment au soufre. A la mise, nous sommes à 15-20 de libre sur les rouges et 20 de libre sur les blancs. On a été un peu inférieur, on en revient. Il faut faire attention, on est sur une arête.
- Ce n’est pas tant que ça du coup et ce n’est par conséquent pas l’explication de ma perception.
- On peut faire du vin jusqu’à la mise sans SO2. Mais sur le long terme et avec le transport, les certitudes sont moindres.
- Un autre moyen de protection est le CO2. Cela peut participer à la sensation de fraîcheur également. Quelle quantité avez-vous ?
- Moins de 900 sur les blancs. On essaie d’en garder au maximum jusqu’à la mise.
Saint Joseph 2011
Des raisins de Corinthe secs. Un petit côté doucereux au toucher. De la poire, de la mirabelle et leurs enveloppes respectives.
B+
Sans en acquérir des wagons, j’avoue que je ne refuse désormais pas un ou deux blancs issus du domaine lorsque j’étais plutôt réfractaire jusqu’à présent. Et pouvoir constater la manière dont ils peuvent évoluer favorablement ne fait que conforter ce choix.
- Même s’il est tôt pour en parler, comment se passe l’éventuelle relève ? Nous arrivons à un moment où nous voyons de plus en plus d’enfants participer au domaine familial.
- J’ai deux garçons. Ils sont dans le Mâconnais.
- Elle est bien cette région
.
- Oui, on y fait de belles choses. Et ce n’est pas loin d’ici.
Voilà, il est temps de partir non sans avoir vivement remercié Pierre Gonon ; pour nous avoir consacré de son temps, pour nous avoir partagé les challenges rencontrés sur 2021, pour les conversations hors ses vins, pour son immense modestie et pour le fabuleux niveau qualitatif moyen qu’il parvient à insuffler années après années. Des vignerons de cette trempe il n’y en a toujours pas autant que cela.