Les millésimes 2017 et 2018 au domaine Pierre Gonon
Avec la nouvelle année, il est temps de reprendre le clavier pour continuer à narrer notre récente excursion rhôdanienne. Nous entamons notre seconde journée avec une visite qui est désormais tout aussi incontournable que la place du domaine dans l'appellation, voire au-delà.
Nous voici donc à Mauves et c'est un visage qui nous est moins habituel qui nous accueille. C'est pourtant une personne avec laquelle j'ai déjà échangé à plusieurs reprises de façon dématérialisée.
- Bonjour, Pierre Gonon.
- Bonjour Monsieur. C'est votre frère Jean qui nous a reçu les années précédentes.
- Nous partons cet après-midi et il doit finir quelques préparations.
Nous verrons au fur et à mesure de notre discussion que les éclairages apportés par Pierre sont grandement complémentaires à ceux donnés par Jean lors des itérations précédentes.
Une année 2018 également difficile
- Nous avons évoqué avec un de vos confrères dans le Sud les pluies importantes au Printemps dernier. Et celles plus récentes également.
- Ah depuis 1 mois il n'a pas arrêté de pleuvoir. Cela s'est calmé depuis peu. Au Printemps, il a plu 20 jours à cheval sur Mai et Juin. Nous avons des copains à Châteauneuf. Ils nous ont raconté que c'était très compliqué pour caler un traitement. Ils ne sont pas habitués dans la région et ne possèdent parfois qu'un appareil. Nous avons du effectivement composer avec la pluie. Elle est apparue avec la première grosse sortie de raisins. Heureusement il nous en est resté. Le mildiou a démarré lentement mais il n'aurait pas fallu que ça dure une semaine de plus...
- A quelle date avez-vous ramassé?
- Nous avons commencé mardi 4 Septembre. Nous avons fait les blancs jusqu'au Samedi puis réattaqué le Lundi. Nous avons eu une petite pluie fine entre les 2.
- Avec les températures vous avez peut-être adapté l'heure des vendanges.
- Il y avait une différence de température importante entre le premier pressoir et le second. Nous avons par conséquent décidé de ne récolter que le matin.
- C'était finalement assez tôt en terme de date.
- Tout le monde a hésité. On a vite perdu néanmoins 10 à 12% en jus. Il faut caler la date de sorte que les premiers raisins soient mûrs mais que les derniers ne soient pas pourris.
Vin de Pays des Iles Feray
"Assemblé en cuve fin Septembre. Nous avons 1 ha de Vin de Pays. Nous faisons en général 37-38hl. Nous y avons également du déclassement de vignes trop vigoureuses, là où il n'y a pas de roche en dessous. Les vignes sont plus faciles à travailler mais il ne faut y chercher de la complexité. Elles donnent un vin plus ouvert."
Un ensemble propre, net, avec de beaux effluves de violette et de cassis. Le niveau me semble plus élevé cette année sur ce vin.
B+
Et L'odeur appelle à y revenir.
- C'est d'autant plus difficile que les maturités ont du être rapprochées.
- Nous n'avons pas d'écart sur des années comme ça. Ce sont souvent les parcelles maigres sur roche qui ont du mal. En 2014, sur une même parcelle, la différence entre le haut et le bas était énorme alors qu'ils sont seulement séparés par 100m.
- A quoi cela est-il dû?
- En bas, vous avez les éléments fins.
- Ah oui. C'est sûr que vous n'alliez pas les remonter en haut.
- Nous en avons déjà remonté parfois, nous répond Pierre Gonon
- La fermentation a-t-elle été plus rapide avec la chaleur?
- Ecoutez, nous ne sommes pas devins mais nous avions changé toute notre climatisation fin Juin. Le recours à des caisses de vendanges ajourées nous a également aidé. Il y a moins de souci qu'avec un bac hermétique de 50kg. Il faut des frigos à fruits puissants si l'on veut descendre significativement les degrés. Nous n'en avons pas. Récolter le matin était donc un choix naturel. Et grâce à notre superficie, nous avons pu nous organiser pour le faire. Et heureusement que nous avions du matériel neuf pour maintenir les températures.
- Quels sont les dangers d'une température de fermentation trop importante?
- Si vous commencez à 30°C, vous allez avoir 35°C le lendemain. Il ne faut pas dépasser 30-32°C. Au delà de cette barrière les levures meurent et la fin de la fermentation devient difficile. Et nous tenons aux levures indigènes. Je vous propose de goûter le Saint-Joseph. Il a été assemblé au même moment. La mise se fera certainement en Février.
Saint Joseph 2017
L'entame se fait rapidement sur l'olive et le salin. C'est acidulé. La tenue est haute et rectiligne. Les fruits rouges ont une couleur plus froide. Le tout est un peu strict en expression de saveurs mais la composition tactile est remarquable. Les tanins poudrés sont nombreux et la trame, finement serrée, procure une grande longueur.
TB
- Quelle proportion de rafle avez-vous sur le millésime?
- 60% de vendanges entières sur le vin de pays; 100% sur le Saint Joseph. Nous faisons une petite récolte. La rafle incorporée est petite.
La rénovation des murets
- Votre frère nous avait évoqué des travaux importants sur les murets.
- Ah les murets. Ils ont été refaits. Ils servent au réaménagement du coteau. On est 3 ou 4 à faire des murs. Souvent en bio, les travaux se font au treuil et lorsque l'on bute sur une pierre, qu'en fait-on? Si on la met de côté, elle risque de rouler et casser la vigne. Nous voulions absolument un mur en pierres sèches hors de question d'avoir du béton. Au début, nous avons donc pris du calcaire. Nous avons vite arrêté. Le calcaire c'est blanc et en plein soleil, un mur blanc ne s'intègre pas vraiment. Il fallait donc trouver quelque chose proche du granit. Nos premiers murets ont été refaits en 90-92. Un mur prend 1 à 1,5 mois. Il faut commencer par le bâti. Avec des pierres sèches ensuite, il faut trier.
- Comment les ancrez-vous dans le sol?
- Avec une semelle solide en ferraillage. Cette année nous avons un mur neuf de 60 mètres de long et 2,5m de haut. Il nous a pris 2 mois et demi à 4. Lorsque nous avons commencé, ces travaux n'avaient pas été faits par la génération précédente. Cette tâche n'était tout simplement pas inscrite dans le calendrier. Elle doit l'être tout comme la taille ou les manquants.
Nous allons goûter 2018.
Les Oliviers
Du bonbon à la violette. La bouche se porte en hauteur ici également. Elle est très florale. Une pointe réglissée lui apporte de la complexité. L'identité tactile poudrée trouve ici aussi un écho. La maille est un peu moins arrondie.
B+/TB-
"Nous avons 2 cuves de vinif qui sont assemblées après pressurage. Sur ce millésime nous avons éraflé à 20%. Les Oliviers ont un sol en loess. Il retient l'eau comme une éponge malgré la pente. Le loess est plaqué sur la face Nord. C'est très changeant d'un endroit à l'autre. Nous travaillons avec les principes de Dominique Massenot, géologue des vignes."
- Il me semble qu'il vous reste des surfaces à planter.
- Nous pourrions planter. Si elles étaient faciles, nous le ferions. Ce n'est pas le cas. Et il faut choisir ses priorités. Les travaux des murs sont plus importants. C'est un peu la maladie agricole: en vouloir toujours plus. Faire le même travail qualitatif avec plus de surface à couvrir, ça devient compliqué. Il faut déjà en temps normal bien s'entourer car le travail est très physique. En s'agrandissant, je ne pourrais pas être partout dans les vignes. Or il est important d'être à un endroit car il faut donner l'élan. J'ai des copains qui sont accaparés avec plus de tâches et qui n'ont plus le temps d'aller dans les vignes. Il est essentiel d'améliorer les gestes de saison. Si on n'essaie pas, on régresse. Et lorsque l'on est éloigné de la vigne, le geste se perd. Nous avons 2 permanents qui sont super. Ils sont bons. Avec les saisonniers, on ne cherche pas à réaliser les mêmes choses. Nous sommes ainsi 4 en hiver et jusqu'à 19 en Juin.
Saint Jean de Muzol
" Le sol est composé de Gneiss. L'âge des vignes est semblable à celui des Oliviers. C'est un terroir plus frais. La majeure partie est exposée Est. En moyenne nous avons 90% de VE."
Waouh! Un concentré de mûres et de bourgeons de cassis. Une note d'eucalyptus vient raffraîchir la finale. Les tanins sont en quantité bien plus importante. Cela serre un peu. Les 2nde et 3ème gorgées font apparaître de la tapenade d'olive verte sucrée. Ceux qui auront déjà croisé l'association de goûts combinant l'Olive de Lucques et la vanille y trouveront une grande similitude.
TB+/Exc-
De l'utilité des clônes
- En 2006 nous rachetons des parcelles auprès de Raymond Trollat. Il y avait beaucoup de vieilles vignes et aucun clône.
- C'était plutôt une bonne chose. Votre frère nous avait évoqué les difficultés rencontrées avec les clônes.
- Dans les années 90, les clônes, c'est magique. Les volumes sont importants. Seulement la vigne a fatigué plus vite. Nous avons alors changé pour des sélections massales issus de pépiniéristes avant de faire les nôtres à partir de 2003.
Manchot de la Croix
"Du granit et de la pente. C'est plus typique de l'image que l'on a de l'appellation. Nous avons fait 3 cuves. On a 14,2°, notamment grâce aux quelques clones qui nous restent encore. Ca dépanne bien sur une année chaude lorsqu'il y a trop de degrés. Sur les millésimes plus froids, l'excès de production rend l'atteinte des maturités plus difficile. Nous avons arraché des parcelles de 20 ans qui en faisait trop malgré des ébourgeonnages et des vendanges en vert. Des confrères ont récolté à 15,4°."
Il existe une acidité dès l'entame qui rend l'ensemble vite vivant. La structure cylindrique est saupoudrée de cacao. On comprend que cette parcelle contribuera à l'ossature de l'assemblage.
TB-
Nous en avons fini avec 2018. Notre hôte nous propose quelques flacons sur des millésimes antérieurs.
Saint Joseph 2016
"Nous avons eu un phénomène particulier en 2016. Au Printemps les vignes ont été touchées par des vers de la grappe. Il n'y a pas eu de pourriture mais les grains sont restés petits et ont donné des raisins de corinthe. Ces derniers ont lâché leur sucre en fin de vinif alors que les "bons" raisins ont donné leur sucre avant. Nous avons eu 3 semaines de vinif et de fermentation. Le vin est ouvert depuis hier soir."
NDLR: l'explication apporte peut-être des éléments de réponse à la maturité constatée lors de nos dégustations Bourguignonnes l'an passé.
Un nez poivré avec des notes de graphite. Sur les papilles, le vin glisse sans encombre tout en étant dense, mûr et presque confit. La vivacité rend la partition très digeste.
Exc-
"... Le Printemps fut difficile. Mais lorsque cela finit bien, il y a un soulagement. C'est bien pour les saisonniers qui reviennent au moment des vendanges de constater qu'il y a du vin, que leurs travaux plus tôt dans l'année ont abouti."
Saint Joseph 2008
Un fin sirop de violette. C'est une gourmandise superlative. La longueur est phénoménale. Avec les secondes apparaissent des nuances de rose issues du vieillissement de la rafle. La concentration d'arômes est grande sans pour autant avoir un vin épais.
Exc
Saint Joseph 2014
"La bouteille a été ouverte hier soir."
Un nez plaisant, une bouche plus vive. Du bonbon de groseille avec de l'herbe arômatique.
B+/TB-
"C'était l'inverse de 2017: il n'a jamais fait moche mais il n'a jamais réellement fait beau non plus. La vigne a traîné. Le cycle entre la fleur et les vendanges a été très long. Nous étions plutôt à 114-120 jours. Il a plu pendant les vendanges. Il y avait déjà quelques foyers de pourriture avant les vendanges mais ça a tenu. Nous avons commencé avec une première partie des blancs avant de continuer avec les rouges. Avec la 3ème pluie, la pourriture est partie d'un coup. La seconde moitié des raisins a été ramassée en 8 jours. Nous avons du jeter la 2ème partie des blancs."
Saint Joseph d'un millésime à deviner
Droit, propre, contenu. On perçoit encore un soupçon de rafle. Le quadrillage est étroit. Les tanins sont perceptibles. Le fruit est moindre mais les arômes évolués lui ont succédé: de la rose et de la pivoine.
TB
Au jeu de la devinette, aucun d'entre-nous n'a trouvé. Et pour cause:
- Il s'agit de 2003.
- !? C'est surprenant. C'est frais pour 2003.
- Nous avons vendangé le 15 Août. Nous faisons du 20hl.
- Ce fut très tôt. En dehors de la chaleur extrême, quels ont pu être les facteurs aggravant? Le rendement est bas.
- L'herbe. C'est mortel sur une année sèche.
- Pourquoi donc?
- Nous avons suivi depuis des formations avec Yves Hérody. L'herbe pompe avant la vigne. Il préconise un sol propre au moment du débourrement. Je me suis dit "Ce gars là, ce n'est pas un illuminé. Il est pertinent." (...) Je vous propose de passer aux blancs.
- Vous avez toujours du Chasselas? demande un de mes camarades.
La place du Chasselas au domaine
- Nous avons repris les vignes en 2006. Les rangs sont tordus mais il n'y a pas de manquant. Les murs y font 3 m de hauts.
- Vous ne pensiez pas y mettre Syrah?
- Nous y réfléchissions depuis quelques temps. Il fallait soit arracher pour faire de la Syrah dans 10 ans, soit faire ce qu'il faut avec le Chasselas. La décision a été prise cette année de le garder. Beaucoup de compost sur plusieurs années ça repart.
VDT Chasselas
"La fermentation finit en général avant le premier hiver. Ce n'est pas toujours le cas, comme l'an passé. Cette année oui. Le Chasselas avait terminé. Une partie des Saint Joseph oui, l'autre non."
Un vin assez arômatique, assez riche. Il manque un peu de fraîcheur.
AB
- N'avez-vous pas tenté de le vendanger plus tôt pour conserver de l'acidité?
- Pour le moment non. Il faudrait changer significativement l'organisation pour le faire. La Marsanne supporte les maturités avancées, la Roussanne également. Pas le Chasselas doré. Il brunit et il prend un goût de peau.
Saint Joseph
"L'assemblage se fait au pressoir. Il y a 20% de Roussanne. Nous avons replanté 2 morceaux de blancs. Et par le plus grand des hasards, nous avons les mêmes proportions qu'à l'époque de mon père."
Du miel en attaque, de la fleur d'acacias. La suite est plus amère. Ça reste un vin de bonne facture. Il y a un petit goût de levure de bière agréable
AB+/B-
- Le vin est différent selon la partie dans laquelle il se trouve. Le tonneau du haut de cuve contient le plus brillant.
- Vous ne souhaitez pas uniformiser?
- Cela impliquerait de manipuler le vin hors nous ne souhaitons pas soufrer.
Saint Joseph 2016
Un léger gras, une épaisseur sans excès. Quelques notes d'élevages demeurent perceptibles en milieu de bouche. La finale se fait mielleuse et amère.
B
Nous renouvelons nos remerciements les plus grands à Pierre Gonon, sa gentillesse et ses passionnantes explications. La régularité dans le niveau qualitatif de la production nous motive chaque année plus encore à la suivre. Dans la liste des domaines septentrionaux que nous connaissons, s'il ne fallait qu'en retenir que 3, celui-ci y figurerait assurément.
En route vers la colline d'Hermitage.