Le prélèvement minéral des vignes
Si le ratio poids de raisin/surface foliaire a été beaucoup étudié, celui du poids de raisin par rapport à la surface d’échange racinaire associé à la qualité de ces échanges pourrait renseigner sur la minéralité des vins. La notion de minéralité reste encore inconnue de l’œnologie.
Si aujourd’hui de nombreuses études s’intéressent à la surface foliaire nécessaire à la production d’une certaine quantité de raisin - le ratio poids de raisin/surface foliaire -, il serait aussi opportun de s’intéresser au ratio poids de raisin/surface d’échange racinaire et ainsi de connaître la surface d’échange racinaire mise en jeu pour une quantité donnée de raisin et ensuite de s’intéresser à la qualité de ces échanges entre la racine et son milieu.
Le fait est que selon les viticultures, selon la densité de plantation, selon la qualité des sols viticoles et leur entretien, selon les terroirs, selon la surface entre les racines de la vigne et la terre et la qualité des échanges, les vins diffèrent notablement par leur minéralité. L’objectif pour la viticulture est de favoriser l’exploration racinaire de la vigne et d’intensifier ses prélèvements minéraux. Ces derniers interfèrent directement sur la sapidité du vin - il est en effet remarquable d’observer que sans sel, les aliments sont insipides. Les minéraux agissent aussi indirectement sur les composés du vin. Les microéléments (les co-enzymes) sont en effet engagés dans les mécanismes enzymatiques de synthèse.
Favoriser les échanges racine-sol
L’absence de compactage de la terre, l’intensité de l’activité biologique des sols, l’entretien de la porosité et des galeries de ver de terre, favorisent le développement de la maille racinaire et l’intensité des échanges minéraux. Il est remarquable d’observer les racines emprunter les galeries de ver de terre. Les microorganismes du sol servent aussi « d’interface » entre le monde minéral et les racines. Il est ainsi remarquable de constater que les mycorhizes (1) (par ailleurs sensibles à certains fongicides) prélèvent du phosphate roche des sols et d’autres minéraux comme la silice pour les restituer à la plante sous forme assimilable. La silice qui constitue 28 % de la croûte terrestre et qui abonde sous la forme cristalline SiO2 n’est assimilable par la plante que sous la forme amorphe Si(OH)4, laquelle n’existe que sous certaines conditions biologiques, à proximité de certains microorganismes qui entretiennent dans leur proche environnement des conditions spécifiques pour permettre l’assimilation de la silice, qui dépend donc des communautés microbiennes de la rhizosphère.
Les physiologistes des plantes comme le Dr Z. Bouzoubaâ de l’Inra d’Agadir ou Peter Kunz de l’université de Neuchâtel en Suisse attribuent les déficiences de la chaîne alimentaire en silice au fait que les sols n’ont plus assez d’activité biologique (2). Ils soulignent en outre que la silice a un rôle physiologique et métabolique central, qui consiste à réguler l’absorption et le transport par les plantes d’autres minéraux essentiels comme le calcium, le phosphore, le potassium, le magnésium ou encore le sodium. Il est d’ailleurs remarquable que d’autres approches cognitives (approche Steiner) ont permis d’attribuer à la silice ce même rôle métabolique central au sein des composés minéraux. Les travaux du Dr Bouzoubaâ démontrent aussi qu’une bonne assimilation de la silice favorise la croissance racinaire en épaisseur et en longueur, ce qui a été confirmé par de nombreuses équipes de chercheurs (à l’exception des Français) lors de la conférence internationale sur la silice à Kyoto en 2002.
Ces éléments semblent confirmer que la qualité et l’intensité des prélèvements minéraux sont très fonction de la biologie des sols, ce que d’ailleurs nombre de viticulteurs alsaciens ont pressenti dans leurs vins, ce qui explique le mouvement actuel du vignoble.
Penser à la porosité des sols
Mais l’approche est aussi physique, ce qu’a notamment montré le pédologue Jean-Paul Party lors de la journée terroir à Rouffach (3). Les sols compactés limitent le développement racinaire. Pour Jean-Michel Deiss s’exprimant sur son Mambourg, il s’agit surtout que les racines aillent puiser leur minéralité d’abord dans les tréfonds de la géologie. Il rappelle que selon l’esprit cistercien, la compétition entre les racines s’exerce à la faveur des plantations haute densité. Souvenons-nous en effet qu’en des temps immémoriaux les vignes cisterciennes atteignaient des densités de 60 000 pieds à l’hectare. On peut cependant s’interroger sur le fait de savoir si la mécanisation rendue possible grâce à la baisse densité des plants et donc le passage d’engins lourds dans les vignes n’est pas aussi et surtout à l’origine de la remontée racinaire des vignes, bien plus finalement que la seule baisse de densité ? Le vieil adage « la nature est paresseuse » donnerait cependant raison à Jean-Michel Deiss qui a coutume dans ses vignes de priver les ceps de leurs racines superficielles. Ses vins sont en effet dotés d’une puissante minéralité.
Toutefois, la minéralité est aussi renforcée par de faibles rendements. En effet, la concentration joue sur les acides, les sucres et les matières sèches en général dont font partie les minéraux. D’ailleurs, des vins à 10-15 hl/ha, même provenant de sols compactés et sans activité biologique, pourront aussi exprimer de la minéralité du fait de l’extrême concentration. Toutefois, les excès d’acides, de tanins, d’alcools, de sucres et d’arômes et la déficience en minéralité au regard de ces composés carbonés fera que ce vin manque d’élégance.
D’où proviennent les minéraux dans le vin ?
La vigne puise-t-elle ses minéraux uniquement en profondeur ou proviennent-ils aussi des horizons pédologiques superficiels, là justement où se déroulent les phénomènes agronomiques de minéralisation de la matière organique ? Grâce au carbone radioactif, l’analyse de la décomposition de la MO (matière organique) a permis d’observer qu’elle se transforme en CO2, gaz carbonique essentiellement restitué à l’atmosphère, qu’une partie de la MO se retrouve engagée dans « la pompe biologique », ceci en raison de la digestion de composés organiques comme les sucres ou la cellulose par les organismes du sol et qu’une troisième partie est stockée plus ou moins longuement dans le sol sous forme d’humus.
Si l’on sait à peu près en quoi est transformé le carbone, l’azote, le phosphore et le soufre de cette matière organique, la question se pose vis-à-vis du reste : les constituants minéraux de cette MO. Sous quelle forme sont-ils restitués à la terre. Les racines de vigne puisent-elles aussi parmi ces minéraux issus de transformation de la MO dans les horizons supérieurs ? Certains, comme le potassium, peuvent être lixiviés plus en profondeur, d’autres comme le calcium, peuvent sous certaines conditions acido-basiques et rédox re-précipiter sous forme de carbonates de calcium.
Le fait est que la minéralité des vins est un problème viticole.
L’objectif d’un labour est-il de faire descendre les racines ou d’accentuer la minéralisation des sols ?
Le sujet a habilement été écarté de l’œnologie, d’autant que les tentatives d’ajout de sel dans le vin ont été vouées à l’échec. Le sujet est bien trop complexe. Pour preuve : faisons l’expérience d’ajouter du chlorure de sodium à un vin rouge. Toutes les dimensions sensorielles sont modifiées : la couleur (il devient bleu) l’odeur, l’acidité, l’astringence, etc. L’œnologie sait intervenir sur les composés carbonés, taniser, détaniser, acidifier, désacidifier, alcooliser, désalcooliser. Elle ne sait en revanche pas conférer plus de minéralité. Elle sait seulement la mesurer la totalité des minéraux (les cendres) et l’alcalinité des cendres comme le potassium.
D. Lefebvre
Réflexions suite à la présentation sur la minéralité des vins bio d'Alsace au pavillon Joséphine à strasbourg le 18 avril
Légende :
Photo 1 : Les mycorhizes sont une interface vivante entre le monde minéral et le monde végétal.
Photo 2 : Toutes les plantes n’ont pas le même comportement vis-à-vis de la silice. Il est cependant montré qu’une bonne assimilation de la silice favorise la croissance racinaire en épaisseur et en longueur.
Photo 3 : Dans le vignoble, l’intérêt porté à la qualité du déploiement racinaire des vignes va grandissant, ainsi lors de la journée terroir organisée par le lycée de Rouffach avec le pédologue Jean-Paul Party.
Rhizosphère : C’est la zone de sol influencée par les racines et qui reste notamment agrégée aux racines. Elle est le siège des prélèvements minéraux. Photo prise lors de la journée terroir au lycée de Rouffach.