La dernière fois que je suis passé au domaine Trapet, j'ai pu à nouveau déguster le 2008, ce qui m'a permis de revenir sur les sentiments de Benoît, Damien etc à propos du Gevrey de ce millésime.
Mes premiers contacts avec ce millésime chez Trapet étaient décevants, je l'avais dit avant. Puis depuis fin 2010, début 2011 mon avis a radicalement changé, mes dégustations au domaine m'ont fait dire qu'ils ont réussi là un grand millésime de garde. Cependant, les expériences à ce moment-là concernaient des vins ouverts dans la cave du domaine depuis plusieurs jours. A mon dernier passage en Juin, la bouteille était ouverte depuis moins longtemps (seulement 24 heures) et j'ai retrouvé le Gevrey fermé et tout à fait inexpressif des débuts.
Gevrey-Chambertin 2008
Il n'y a pas que chez Trapet que ce millésime souffre de fermeture, mais à en croire Damien et Benoît, d'autres domaines sont plus à l'aise. Il faudra voir ce qui se passe avec le temps, car à l'heure actuelle le 2008 de Trapet semble vouloir se livrer timidement seulement après plusieurs jours d'ouverture de la bouteille. De mes différentes expériences, j'ai tendance à penser que ce vin est d'un grand potentiel aujourd'hui largement caché, mais il m'est impossible de préjuger de sa supériorité à venir sur d'autres qui s'expriment mieux aujourd'hui. Je note simplement que lorsque je l'ai vu sous son meilleur jour au printemps, c'était un vin superbe et prometteur qui aura une place dans ma cave.
Gevrey-Chambertin 1er Cru Capita 2009
Avec un nez intense et une immense fraicheur, ce vin au contraire est très expressif, à vrai dire on peut déjà en profiter aujourd'hui, même si de fortes présomptions indiquent qu'il pourrait avec le temps rentrer dans les vrais grands millésimes. Mais les meilleurs millésimes ne passent pas forcément par une phase de fermeture de jeunesse, tant mieux car ici on se régale. 2005 était superbe aussi dans sa jeunesse. Pourtant, 2005, je ne me risquerais plus à les ouvrir maintenant avant quelques années. Mais après la mise, 2005 se présentait en annonçant la couleur : "je suis un grand, attendez-moi". Après la mise, 2009 est beaucoup plus spontané, ce qui ne veut pas dire qu'il se gardera moins, mais il s'exprime sans retenue. Cela s'explique peut-être pour une grande part dans le caractère de ce millésime très communicatif, peut-être aussi que les transferts par gravité mis en place dès 2006 par JLT pour éviter les pompes ont diminué le traumatisme de la mise (elle datait de quelques jours seulement).
Chapelle-Chambertin Grand Cru 2007
Ciselé et élégant, ce vin ne semble pas issu d'un petit millésime à première vue
Si on aime le vin jeune, c'est peut-être un des plus ouverts à l'heure actuelle, il permet d'apprécier combien ce domaine est capable de sublimer des millésimes décriés et sauf nouvel ordre (y aura-t-il une phase ingrate?) c'est le millésime jeune qu'on peut boire dès maintenant pour profiter d'un vin de la maison encore sur le fruit, déjà évoluant. Tandis qu'hélas chez Trapet, la phase de fermeture est souvent très réelle sur pas mal de millésimes. Mais le Chapelle est tout de même un grand cru digne de ce nom, comprendre qu'il va aussi certainement développer sur ce bel équilibre fondateur, la complexité et la profondeur que le temps seul peut lui conférer. A chacun de choisir quand ouvrir cette petite merveille car là on a le choix.
Chambertin 2004
Le nez commence à évoluer et à devenir très expressif : quand on plonge son nez dans le verre, c'est le démarrage du grand huit.
La bouche est très épicée, les tannins sont vraiment serrés, très 2004, s'exprimant en crescendo solide. Puis la longueur est superbe avec une rétro chaleureuse et complexe.
Je suis étonné que ce 2004 se livre déjà si bien alors que je craignais que ce millésime soit assez capricieux (enfin il n'a pas dit son dernier mot!)
Gevrey-Chambertin 1990
Bu à table ce midi, ce vin a un nez très addictif, présentant une harmonieuse combinaison entre l'aspect serré austère du cuir/tabac et l'aspect ample et généreux de l'orgeat, mêlée de saveurs minérales complexes.
La bouche semble trop sèche en dégustation, ce qui ne pose plus de problème à table où la texture s'harmonise avec les arômes dans une continuité fumée. C'est très expressif. A bien y regarder, l'acidité ne saute pas aux yeux car le palais a d'abord une analyse relative de l'équilibre, mais on s'aperçoit qu'elle est très solide, que ce vin est porté par une trame exceptionnelle. A ce titre c'est certainement ce qu'on appelle un . Pourtant je ne suis pas entièrement sous le charme. Il faut dire, 1990 n'est pas un millésime que j'apprécie tellement en Bourgogne, c'est pour moi généralement un millésime , chose que d'autres apprécient.
Ce vin concentre pour moi de nombreuses questions plus ou moins insolubles : je ne veux pas que le vigneron uniformise les millésimes. Ici Jean et Jean Louis Trapet, conformément à leur habitude, ont certainement mis le meilleur de la matière première dans le pressoir, puis ont simplement accompagné le millésime pour qu'il s'exprime tel qu'il est. La résultat est un 1990 très typé, avec des caractères de très grand vin, mais excessif à mon goût. Il est simplement trop jeune par rapport à mes préférences et vue la personnalité du millésime. Pour ceux qui aiment des vins dans une telle phase très expressive, un tel millésime est parfait, mais nécessite une cuisine élaborée, intense et complexe. Chez moi, les autres bouteilles attendront un peu, soit un plat en parfaite synergie, soit quelques années de plus.
J'aimerais ajouter une réflexion, qui n'est pas une critique, mais une simple mise à plat des faits...
Les prix au domaine Trapet augmentent beaucoup. Le Chambertin atteint maintenant 130 euros, le 2009 sera sans doute encore plus coûteux.
Je ne crois pas qu'on puisse tellement en blâmer le domaine, leur politique de réservation (50% je crois) au marché national étant plutôt de nature à apaiser la spéculation ici.
Mais soyons honnête, c'est une belle somme pour une bouteille de vin. Il y a des vignerons de grand talent qui font sur Gevrey des vins excellent pour bien moins cher. Ici le simple village est déjà à 30 euros! Si je n'avais pas découvert Trapet il y a quelques années, si je n'avais pas appris peu à peu à apprécier profondément cette interprétation personnelle des vins de Gevrey, si je n'étais pas devenu quelque peu "addict" à ce style Trapet, ce serait trop pour moi. Je ne prends plus désormais qu'un Chambertin par an. Les autres 130 euros iront peut-être à des causes humanitaires, quand on sait ce qu'une telle somme peut représenter pour les plus démunis.
Ce n'est pas parce que j'aime énormément ce domaine que je dois forcément dire à tout le monde d'acheter ses vins. A quoi rime cette ruée vers les domaines spéculatifs alors que de très bons vignerons peinent à gagner leur vie correctement sur la même commune? Que chacun parte d'abord à la recherche de ses goûts personnels. Rien ne prouve que sa préférence ira forcément pour l'un des domaines spéculatifs de Gevrey comme Trapet ou Armand-Rousseau. Si c'est le cas, tant pis ou tant mieux. Si ce n'est pas le cas, tant mieux, cela fera des économies!
C'est vrai après tout, j'ai presque découvert les Gevrey avec Trapet, du coup pour moi ils sont la référence de ce que doit être un Gevrey. Tout cela a une part extrêmement subjective et pour moi, il est en quelque sorte trop tard : je me suis fait ici l'idée de ce que doit être un grand Gevrey ou un Chambertin, et pour moi, les autres ne peuvent pas rivaliser. Mais nous sommes en grande partie libre de construire nos goûts en fonction du contact avec les vignerons, en fonction de la logique ou de bien d'autres critères. Le vin ne sera jamais un produit qu'on peut juger objectivement!
Et bien chacun aura compris que mon but ici n'est pas de dénigrer le domaine de Gevrey que je chérie le plus, mais de rappeler que ce n'est pas le prix d'un vin qui fait sa grandeur. Dans l'amour du vin, il y a une dimension personnelle, un investissement. Ne laissons jamais le prix ou la note de guide "Bettarker" décider à notre place ce que nous aimons, voilà pour le mot de la fin