Au cœur du Villa d'Este Wine Symposium 2018
L'après-midi du vendredi
Quelles empreintes du terroir sur le goût du vin ?
Le défi pour le premier conférencier de l'après-midi reste d'affronter le redoutable petit coup de casquette de la digestion qui tombe inéluctablement sur l'auditeur à l'heure de la sieste.
Mais fourbu aux règles de productivité en bord de lac sachant concilier le savoir vivre d'une impeccable réception et l'intérêt intellectuel pour ses convives repus, le Président Mauss positionne avec talent et expertise un speaker capable de vous remuer la pulpe du fond au moment où les stores commencent à se replier et où on risquerait d'entendre les plus proches du rang du fond piquer un salvateur roupillon.
Un peu comme le risotto du chef Zambanini, quelque chose me dit que la paire Marchal / Lepousez est en train de devenir un grand classique du Symposium ! Car force est de constater que ce duo de normaliens talentueux éclaboussent l'évènement d'intelligence à chacun de ses passages au micro.
Le goût de terroir est le résultat d'un parcours initiatique à la croisée d'interactions qui réunissent pédologie, climat, matériel végétal et savoir faire.
Le terroir est au vin ce que la partition est au musicien, un substrat que le vigneron interprète. Sans le savoir faire humain, le terroir n'existe pas.
Le vignoble est issu de la nanification et de la concentration par l'homme d'une liane grimpante dont les grains sont mangés par les oiseaux afin de permettre sa dissémination;
L'action de l'homme a donc visé à limiter cette croissance naturelle afin de produire des fruits plus concentrés. L'idée de rendements afin de transférer l'énergie végétative vers une fructification de qualité était née !
La viticulture se pose alors comme un acte de territorialisation où le temps de l'histoire des hommes met en place des procédés d'agriculture qui finiront pas produire un vin dans un endroit qu'on ne trouvera pas ailleurs.
En ce sens et avant même sa vie en bouteille, le terroir ne se révèle qu'avec le temps.
Celui de l'observation et de la compréhension d'un milieu naturel, celui des prises de décisions pour interagir avec lui au meilleur et au bénéfice du vin.
Si la science moderne a prouvé l'adéquation de certains cépages à un type de sol ainsi qu'un effet sur le goût, l'arôme de noisette sur les blancs étant plus marqué sur sols calcaires, certains raccourcis confortables ne tiennent pas l'analyse.
Par exemple, s'il existe bien un microbiote spécifique aux terroirs, les levures qui font le vin ont un impact quasi nul lors des vinifications. Il n'existe pas donc de levure de lieu !
Seule une baie sur mille est porteuse de saccharomyces et Il n'existe pas de levures à la souche constante et spécifiques à une parcelle par millésime.
Même si l'on peut parfaitement le trahir par l'usage de levures sélectionnées (Cf le fameux goût de banane de vins primeurs mal faits), ce qui fait le goût de terroir est le raisin, sa qualité et les choix de vinification opérés ensuite par le vigneron.
Autre recadrage à produire face à certaines idées qui tirent des passerelles intellectuelles parfois plus confortables que valides : l'idée de minéralité.
Aromatiquement, les notes de pierre à fusil n'ont aucun lien avec le sol mais proviennent de la dégradation des sulfites présents dans le vin.
Tactilement, la pauvreté en minéraux de certains sols favorisent des levures productrices d'acide succinique, précurseur de la perception saline. En tirer un lien direct avec le sol est un raccourci pour le moins abusif.
Ce sont donc souvent nos représentations mentales qui construisent le terroir, la réalité s'échouant sur l'écueil de la pensée confortable et de l'idée agréable.
L'idée de terroir est un respect et une fidélité au goût d'une origine.
Le danger majeur réside alors dans la standardisation.
Par un abus de technologie qui mènerait à une uniformisation par le médiocre. Mais tout autant par la démission face à des altérations oenologiques et le laisser faire d'une pensée magique qui mène à la banalisation.
Pour qui s'est un jour essayé aux joies du bar à vin nature parisien, le défaut y est souvent vu comme un marqueur de qualité, dans un phénomène qui voit le buveur de jus d'étable se satisfaire de l'idée d'un retour à la nature. Revendiquer la méthode de production d'un vin pour le légitimer n'a alors plus de lien avec son origine et avec son goût.
Le défaut œnologique reste ainsi la plus grande des standardisations et la négation la plus stricte et redoutable du goût de terroir. Produire de grands raisins est une étape dans la vie du vin. Mais ne pas les laisser à leur destinée fait partie du travail du vigneron et de sa responsabilité afin de les connecter à son origine et à son goût final, celui du vin de terroir.
Alors que notre paire de tête d'ampoules terminent brillamment son séminaire à deux voix / quatre mains et quelques milliards de neurones remarquablement connectés, une légère odeur de brûlé parcourt la salle...
Après quelques secondes d'inquiétude et l'investigation du Président soucieux du bien-être de ses convives, il s'avère que... les pauvres dames chargées de la traduction sont en surchauffe !
Faut reconnaitre que ça défouraille en mode rafale derrière le micro. Même rodées à l'exercice, avec deux athlètes de l'intelligence d'un tel niveau dans l'échange, forcément, sur une heure, ça use !
Président, va falloir songer à une prime de risque si tu ne veux pas te retrouver un jour avec des burn-out à l'appel...
Alors que j'aurais bien souhaité poursuivre ce séminaire extrêmement riche de perspectives et profiter de la qualité des échanges souvent passionnants qui s'engagent lors du tour de table (va falloir que je négocie les rushs auprès de mon ami Jean-Luc...), un coup d’œil sur ma montre m'indique que c'est pas tout ça mais qu'il est plus que temps de buller...
En route pour la dégustation Dom Pérignon !
A suivre...
Oliv
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