Philippe, un ami LPVien Bordelais m’a contacté pour m’inviter à une dégustation dans le quartier de Saint Augustin à Bordeaux ce Jeudi soir.
Pour cette soirée, chaque dégustateur apporte une bouteille de son choix à partager autour d’un repas fort sympathique en toute intimité. Philippe apporte la majorité des crus ce soir là, et quels crus !
Je vous propose ici un petit commentaire perso, une manière de partager encore ces belles bouteilles et d’échanger un peu plus...
-1- Nous en engageons les hostilités avec un château d’Yquem 1934. Le niveau est en bas de l’épaule.
- La robe est limpide, brillante, d’un caramel franc et d’une capillarité marquée.
- Le nez est d’une bonne intensité aromatique. Sans extravagance il déploie de complexes parfums de noix, de pruneau de caramel ainsi que quelques notes de torréfaction évoquant le café et le chocolat.
- En bouche, le vin se montre élégant, il a digéré une bonne partie de ses sucres mais en conserve cependant. Le cru ne manque pas de puissance et de distinction, l’acidité est bien présente, elle soutient le cru avec dynamisme. Le caractère oxydé ressenti par les parfums est ici retrouvé, le fruit n’a plus sa fraîcheur ni sa pureté, le cru a changer d’expression pour devenir méconnaissable mais toujours bon, plaisant à déguster.
Si le vin est fort agréable à déguster, il ne transcende pas cependant. Le plaisir qu’il procure en tant que met est manifeste car il est bon, mais n’arrive pas à la hauteur de son rang. Le plus grand plaisir naît de l’émotion que ce vin dégage, émotion qui, mêlée au partage et au plaisir de dégustation, me fera me souvenir de cet instant un long moment.
Le débat s’ouvre alors entre les différents dégustateurs ; l’alcool est-il diminué ou non… ? Pour ma part il reste entier, d’autres maintiennent que le cru ne fait plus qu’une dizaine de degrés, mais l’évaporation à travers le bouchon reste selon moi pure fiction. Si le taux de sucre a changé (il s’est peut-être transformé en acide ?), l’alcool reste selon moi emprisonné dans le flacon. Qu’en pensez-vous ?
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2- Ensuite, nous dégustons un Suduiraut 1966. Le niveau est bon.
Un Sauternes que j'aime particulièrement. Je me souviens dernièrement des 2001 et 2003 frôlant l'insolence... Un vin de référence qualitative à Sauternes.
- La robe est évoluée, couleur vieil or, limpide et brillante. La capillarité est là encore notable.
- Le nez est très élégant, il a conservé toute sa fraîcheur, toute sa pureté et ne souffre d’aucune note oxydative. Il exhale des senteurs riches et intenses d’abricot bien mûr, d’abricot sec, de raisin de Corinthe, d’orange confite et de miel d’acacia qui introduisent le cru à merveille.
- En bouche, L’attaque est belle, offerte par une acidité remarquable qui soutiendra le cru tout au long de la dégustation, lui conférant un très beau dynamisme. Le sucre est partiellement digéré, le fruit est gourmand, le vin puissant, frais et d’une bonne longueur.
Pour moi, il est un grand vin !
-3- Le seul vin blanc sec de la soirée est un Condrieu de François Merlin, cuvée « Les terroirs », millésime 2005.
Je ne connaissais pas ce cru, c’est l’occasion donc de le découvrir.
- La robe est juvénile, brillante, couleur or clair présentant de nombreuses larmes.
- Le nez développe des parfums de fruits à chaire blanche, des senteurs de fleurs et des notes marquées de minéralité avec notamment de la pierre à fusil.
- La bouche est très grasse, presque huileuse, on relève une légère résiduelle et une acidité sommaire. L’équilibre général du cru est cependant bon, le vin est agréable, les fruits à chaire blanche sont ici retrouvés. Un vin agéable.
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4- Le premier rouge de la soirée est un château Bellevue, GCC Saint-Emilion, 2000.
- La robe est sombre couleur rubis, le disque est assez fin et reçoit de nombreuses larmes.
- Le nez est assez intense, il présente des arômes de fruits rouges ainsi qu’une certaine volatile malheureusement un peu trop ressentie.
- En bouche, l’attaque est vive, agréable, mais le milieu de bouche est puissant, presque fougueux, il manque de justesse. Les tannins sont présents, l’alcool est perceptible mais le tout n’est pas parvenu à se fondre...
Le vin n’est pas grandiose, mais il reste correct et respectable.
-5- Trotanoy 1985 (Pomerol)
Et voilà mon vin préféré de Bordeaux…
Très grand souvenir du 2001 et du 1999 dégustés cette année à deux reprises, ainsi que du 1982 vraiment immense!
- La robe présente des allures d’évolution, mais elle garde une certaine jeunesse.
- Le nez est magnifique, il est fin et distingué. Complexe, presque bourguignon, il exhale des fragrances de cerise, de fraise cuite et de tourbe qui me transportent. L’intensité ne manque pas, l’introduction olfactive est grande.
- La bouche est toute en finesse et d’un style là encore bourguignon. Le vin se montre apaisé, assagi il commence à prendre de la bouteille
mais ne décline pas.
L’équilibre est beau, malgré une acidité marquée qui apporte une très belle tenue et transporte le vin jusqu’à une finale d’une belle longueur et conférant au cru une certaine puissance. Un passage en carafe manque selon moi au cru...
Un bien joli vin, cependant un peu en deçà du 82 dégusté cette année et qui compte parmi les plus belles réussites du domaine.
-6- Sociando Mallet 1990
- La robe est sombre, le disque est moyennement épais et présente un léger tuilé.
- Le nez est puissant et franc, très typé Médoc de par son style. On perçoit des senteurs de fruits rouges et noirs ainsi qu’une pointe végétale et quelques parfums torréfiés très agréables.
- En bouche, le vin se montre puissant, concentré complexe et d’un bel équilibre. L’acidité est notable et positive, elle transporte le fruit. Le vin est beau, d’une insolente jeunesse.
Le meilleur Sociando M dégusté à ce jour (moi qui ne suis pas fan de ce domaine actuellement).
Un joli cru qui vient s’ajouter à la liste des 90 dégustés cette année. Il flirte qualitativement avec les plus beaux 90 de Bordeaux dégustés, arrivant au niveau de Talbot et Poyferré à Saint-Junien (les deux meilleurs St-Julien 90 dégustés il y a un an au cours d’une dégustation des Vinosophes réunissant 12 grands crus classés de St-Julien 90), devançant alors Las Cases, mais restant inférieur, à Haut Bailly et Latour en rive gauche et à Tertre Roteboeuf et Angelus en rive droite, d’un cran au dessus.
-7- Calon Ségur 2001
C’est ma première rencontre avec ce cru dans ce millésime. J’en attends beaucoup car j’apprécie particulièrement les vins de ce domaine.
- La robe est sombre, elle commence à perdre de son rubis, gagnant des notes de noblesse.
- Le nez est d’une intensité aromatique plus timide que le Sociando, mais il s’exprime avec une grande finesse. Il déploie des senteurs de framboise, de fraise et de mûre, ainsi que quelques notes épicées fort agréable. Le bois semble parfaitement bien intégré, les parfums suggère un joli plaisir en bouche...
- La bouche est d’une très belle tenue, l’équilibre est beau, armé d’une belle fraîcheur et d’une justesse manifeste. Le fruit est précis, goutteux, le vin est fin, j’aime beaucoup.
Un vrai joli vin, une très belle réussite du millésime.
-8- Leoville Poyferré 2001
C’est la cinquième fois que je déguste ce vin dans ce millésime. Leoville poyferré est l’un des Saint-Julien que j’apprécie le plus avec Ducru Beaucaillou et Las Cases.
- La robe est profonde, le disque est moyennement épais, il commence tout comme le Calon Ségur du même millésime à perdre son côté juvénile pour prendre des allures de vin plus évolué.
- Le nez est enjôleur, il s’exprime à travers des parfums de fruits rouges cuits au soleil, des épices ainsi qu’une pointe animale.
- La bouche est concentrée, pleine, les tannins sont encore un peu durs et demanderont un peu de patience pour se fondre. Le bel équilibre du cru est notable, mais il ne présente pas la précision ni la tension du Calon Ségur, ce Poyferré est beau mais plus « facile ». Ceci étant, le fruit est bien présent, il commence à prendre des notes d’évolution qui lui vont bien et qui complexifient le vin.
Un vin bien bâti, à la structure et l’équilibre certains.
-9- Leoville Las Cases 1997
Trosième rencontre avec ce cru dans ce millésime, et comme les fois précédentes, je suis étonné par le plaisir qu’offre ce vin dans ce millésime difficile à Bordeaux.
- La robe est élégante, elle laisse glisser de longues larmes contre la paroi du verre lors de l’agitation, venant enfin se perdre dans un disque assez fin couleur rubis tirant vers le pourpre.
- Le nez est très élégant, d’une belle finesse. Le fruit est conservé, largement ressenti et accompagné par une note fraîche d’eucalyptus que j’ai plutôt l’habitude de retrouver chez Leoville Barton et que j’apprécie beaucoup !
- La bouche est douce, elle joue la carte de la finesse et de l’élégance. L’équilibre est beau, la structure est policée, fort plaisante.
Un vin qui s’offre parfaitement aujourd’hui et qui compte parmi les plus belles réussites du millésime.
-10- La clémence 2001 (Pomerol)
C’est ma troisième rencontre là encore avec ce cru dans ce millésime... Comme à chaque fois, je le trouve tout simplement grand. J’avais eu la chance et l’occasion de visiter ce petit domaine de Pomerol il y a deux ans de cela, accompagné du maître de chais qui est un ami de longue date et qui effectue là-bas (tout comme à Destieux) un grand travail.
- La robe est profonde, opaque au centre du verre ; le disque est fin et les larmes généreuses.
- Le nez est d’une intensité aromatique frappante et d’une complexité folle. Le vin déploie en effet de riches parfums de fruits rouges et noirs bien mûrs, ainsi que des fragrances d’épices fines fort appréciables.
- En bouche, le vin est puissant et très bien équilibré. Le fruit est croquant, les tannins sont souples et la structure générale crémeuse. Le vin est goutteux, d’une belle longueur, j’aime beaucoup.
Un Pomerol peu produit qui compte parmi les plus beaux de l’appellation et qui sait lier puissance charme et élégance. Bravo!
-11- Château d’Ampuis 2004
C’est ma première rencontre avec ce vin dans ce millésime. J’avais beaucoup aimé le 1999 et le 2003 dégustés dernièrement, j’ai donc sorti ce cru de ma cave pour mettre un peu d’évasion dans cette dégustation très... Bordelaise... De plus, sachant que nous allions terminé sur Mouton R 2004, je trouvais le « combat » intéressant.
- La robe est sombre, juvénile, les larmes nombreuses illustrent la capillarité du cru.
- Le nez est intense, riche et complexe. Il exhale des senteurs de pierre chaude, de cassis, de violette, de noyau de cerise et de caramel au beurre signe d’un élevage en barrique non encore totalement intégré.
- En bouche, le vin se montre puissant et flatteur. L’équilibre est parfait, le croquant du fruit est manifeste et précis. On retrouve en finale le caramel introduit au nez, mais cette marque d’élevage n’est pas du tout caricaturale, elle saura se fondre sans problème dans quelques années.
J’aime beaucoup en général la fraîcheur des vins de la Côte-Rôtie, leur complexité et intensité. Ampuis ne m’a jamais déçu, il est même bien souvent au sommet de l’appellation. Une référence bien connue.
-12- Mouton Rothschild 2004
C’est un vin que j’attendais au virage, ayant dégusté il y a de cela trois mois l’ensemble des Pauillac 2004 à l’exception des trois Premiers. Ce soir, Mouton s’est très bien comporté.
- La robe est sombre, opaque, le disque fin juvénile.
- Le nez est d’une intensité aromatique évidente, il déploie des parfums de fruits noirs, de terre ainsi que quelques notes végétales rappelant le cabernet sauvignon, mais aucunement significative d’un quelconque signe de verdeur.
- En bouche, le vin est beau. L’équilibre est très élégant et les tannins policés. La structure grasse du fruit accordée au croquant, confère au cru un touché crémeux fort plaisant. Le vin est entier, concentré, mûr, bref réussi !
Je remercie sincèrement Philippe pour cette belle soirée ainsi que pour sa générosité. Une dégustation sans chichi comme on les aime, où chacun s’exprime librement et où les points de vue aussi différents soient ils sont donnés et entendus en toute liberté. Bravo !
Très cordialement,