Hier je parcourais la rubrique de présentation des nouveaux et je lisais quelque chose comme: "j'aime le vin, mais je suis encore trop novice pour décrire les arômes de fruits ou de fleurs..."
Nous entendons tous ça autour de nous et ça m'a interpellé sur l'évolution de ma propre capacité à décrire d'un vin.

Comme certains le savent et d'autres pas, je vis au Japon depuis bientôt 7 ans où j'ai la chance de vivre de ma passion pour le vin.
Depuis plus de 2 ans, je m'occupe de plusieurs restaurants. J'ai entre autre la responsabilité de former les équipes sur le vin, constituées à 90% de jeunes japonais.

Lors des premières dégustations entre nous, j'essayais de décrire les vins tel que je les comprenais moi-même.
Je me tenais face à eux, listant les arômes de fruits, les notes tertiaires, les saveurs empyreumatiques que je pouvais déceler avec mon fond de verre... Je restais face à un auditoire attentif mais circonspect, curieux mais prudent, studieux mais désorienté.

Il me semble difficile de décrire les arômes d'un vin sans évoquer ses propres madeleines de Proust.
Il m'arrive souvent de retomber en enfance en essayant de percevoir les arômes que j'ai dans le verre. Je revis les promenades en forêt avec mes parents et ce mélange d'odeurs de bois, de feuilles séchées et de terre humide, les salades de fruits matinales composées des framboises, de fraises et de cerises que je cueillais dans le jardin, l'odeur inoubliable du vieux pied de lavande qui allait de pair avec le bruit incessant des insectes qui venaient butiner le nectars des petites fleurs violettes. Et les mirabelles bien mûres que me ramenait ma grand-mère du marché... Impossible d'oublier ces saveurs.

Sauf que...
Sauf que les jeunes Tokyoïtes en face de moi ne sont, pour la grande majorité, jamais allés en forêt. Il n'y a pas de mirabelle, les cerises et les framboises sont hors de prix. Ces jeunes n'ont, pour la plupart, pas de jardin et n'ont pas l'occasion de sentir le parfum délicat d'une rose, d'un lys, d'un brin de muguet ou d'un vieux pied de lavande...

Alors comment leur parler?

Pour apprendre à leur parler, j'ai du apprendre à me taire.
En les écoutant utiliser leurs mots, je prenais conscience d'un éventail de saveurs que je maîtrisais peu et qui ne m’était pas instinctif.
Les variétés d'agrumes comme le yuzu, plus gourmand que le citron jaune, le sudachi, plus vif que le citron vert ou l'amertume du daidai. Les multitudes d’arômes de thé comme le grillé du ojiicha, la fraîcheur de kukicha, le gout malté du genmaicha. A cela les sauces soja, celles à base de dashi (poissons séchés), celles élevées en fût, les salées, sucrées, vinaigrées.. Le miso (pâte de soja) brun, le blanc de Kanazawa, le rouge de Kyoto... Le saké dont les levures offrent un panel d’arômes et de textures impressionnants, notamment le fameux "umami". J'ai même entendu le côté sanguin du thon rouge être évoqué!
Une vraie remise en question de codes et de perceptions.

Je me pose encore la question sur des ressentis qui sont quotidiennement évoqués dans ce forum, tels que l’équilibre, l’énergie, la mineralité, l’acidité.
Dans un milieu hautement cosmopolite, comment parler d’équilibre ou d’énergie à un japonais, un népalais, un singapourien, sans faire de ses propres codes gustatifs des normes que l'on pense valables pour tous?

Je laisse là cette réflexion et serais ravi de lire vos impressions et expériences sur ce sujet aussi vaste que subjectif.

Quentin

ce que tu décris, ça s'appelle la "culture"
et sur les madeleine, il y a ce sujet :
www.lapassionduvin.c...

Ce que tu écris ici, je l'avais remarqué avec les écrits d'un de mes clients japonais (qui vit au Royaume-Uni) qui trouvait dans des vins des arômes de shiitake, d'agrumes japonais, d'umboshi, voire de wasabi.

Ses écrits sont disponibles ici : www.themorningclaret...

Un exemple : Starts clean with red currant, but the vinous, oxidative nature reveals itself immediately. Sweet Fuji apple contrasts with the heavy bitterness of orange marmalade. Umeboshi pickled plums enter mid-palate to introduce another dimension of complexity. The saline umami of sweet soy sauce-boiled shiitake mushrooms slowly enters the scene towards the end, and stays there for a long time. This would make a great pairing with Japanese food.

Jérôme, je m'interroge plus sur la transmission dans un contexte interculturel..

Oui, je comprends parfaitement et c'est sans doute toute la difficulté. J'ai vu des reportages sur les dégustateurs asiatiques qui sont capables de prouesses sensorielles. Mais j'ai eu le sentiment à chaque fois que c'était juste une capacité développée de rattacher des sensations à des catalogues sans consistance "culturelle" justement.
C'est très intéressant.

Génial, ce sujet !

Quentin,
Est-ce que le prisme de lecture de tes convives ou amis asiatiques est focalisé sur l'aromatique, le gustatif ou autre ?
Et sais-tu, si une grille prime sur l'autre, quelle peut en être la raison ?

Nous avons tous été influencés ici en France par le descriptif établi par Emile Peynaud.
Mais on constate également que du vin tactile, on est passé au vin parfum .

En est-il de même pour un public d'amateurs aux cultures différentes, dans toute la richesse de leur acception ?

Amicalement,
Oliv

à mon avis toute action qui mettra en perspective le vin avec son lieu et son environnement sera le vecteur de compréhension du vin et donc de la description de celui-ci.
Bien entendu, il ne va pas être possible de faire le voyage, mais des vidéos, des reportages, des photographies pour "sentir" ce qui entoure et ce qui permet la naissance de tel ou tel vin me semble nécessaire dans une approche systémique (car c'est bien cela qui manque).
je donne un exemple : un français (qui connaît un peu le vin) qui déguste un Banyuls aura immanquablement les terrasses, le schiste, la mer, le grenache, les grands foudres, les touries en tête, voire plus. C'est impossible que cela n'impacte pas sa perception du vin. et je ne pense pas que cela la détourne, ce que l'on pourrait imaginer si on estime qu'on s'attache à autre chose que le contenu du verre.
Tes élèves sont en quelque sorte victime d'une dégustation en aveugle total, ce qui peut être un avantage dans certains cas mais qui pour le coup, dans la compréhension globale du vin est un problème ou en tout cas une limite.

Je m'associe fermement à Oliv sur l'intérêt de ce sujet !

Et l'intérêt est démultiplié car il est posé sur un forum d'échange de CR où je ne peux m'empêcher de penser que quand on pose un CR, il faut toujours avoir en tête ceci :

Je décrit le vin pour moi ou pour celui qui le lit ?
Si la réponse est la bonne : Comment faire du mieux possible pour que le lecteur se représente le vin tel qu'il est en lui même, en dehors de moi (certains diront que c'est strictement impossible, je ne suis pas de ceux-là) et comment je l'ai perçu par rapport à mes goûts, mes préférences.
Bref avoir le soucis de la réception.

J’ai toujours pensé que décrire un vin, c’est, avant l’aromatique, décrire sa qualité générale sur des incontournables, et son style.
Si on reporte la question sur ces deux critères, on peut penser quand même que les incontournables que sont : équilibre, complexité, longueur dit avec des mots simples posent moins de soucis. Le style aussi.
En ce qui concerne l’aromatique, les saveurs (perception, mot), le référentiel culturel est forcément individuel, de même que les seuils de perception. A partir de là, il est évident que l’échange devient plus compliqué et complexe à la fois.

Sur la situation de communication décrite ici, j’ai quand même l’impression qu’il y a la réponse, et joliment dite : ‘Pour apprendre à leur parler, j'ai dû apprendre à me taire.’
Après, on peut mettre en place tout le processus d’apprentissage des uns pour les autres et des autres pour les uns : j’amène une fraise (le produit et le mot) , je fais sentir, goûter, je fais déguster… J’amène le yuzu….. Comment faire autrement ?

D’ordre plus général, l‘association aromatique a une base culturelle.
En effet, de mémoire, sur un vin chez nous (Europe), par exemple, les vins auront une note de fraise mais au Japon la Bananel’ananas (merci Eric pour palier à ma perte de mémoire).
Les arômes agrumes seront différentes également.

Néanmoins sur un bouquin sur les arômes, j’avais lu que certaines molécules étaient les mêmes entre différents fruits mais que l’association était différente pour des raisons culturelles.

Et cela serait chiant de décrire l’aromatique des vins par les noms scientifiques des molécules.

Bien à vous

Sylvain

C'est la fraise et l 'ananas qui ont les mêmes molécules aromatiques (les furanéols, de mémoire, que l'on retrouve dans nombre de liquoreux. )

C'était en effet évoqué dans le très bon livre de Michaël Moisseeff et Pierre Casamayor.

Oui c’est cela ! Ma mémoire fait défaut et c’est bien ce livre!
Je vieillis !

Pas vraiment à voir avec le vin, mais les différences de perception selon les cultures. Voici les réactions de coréens face à des produits alimentaires français. C'est intéressant et drôle

Merci Eric, je me suis bien bidonné