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Question à  J. Vouillamoz : quid du pinot valaisan ?

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Question à  J. Vouillamoz : quid du pinot valaisan ? a été créé par Yves Zermatten

José,

si tu nous lis, as-tu des informations sur le pinot valaisan ? quelles sont ses particularités et en quoi se distingue-t-il des autres pinots, notamment le bourguignon et le Wà¤denswil ?

un grand merci de nous faire partager ton immense savoir !

amicalement

Yves Zermatten

Yves Zermatten
28 Jui 2004 23:17 #1

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Yves,

Merci de me solliciter pour cette belle question, bien sûr que je vous lis régulièrement. Cela dit, je suis spécialisé dans l'histoire et origine génétique des cépages, mais je ne travaille pas directement sur les clones. Pour cela, mon collègue Dr Dominique Maigre de la Station Fédérale de Recherches en Agronomie de Changins serait bien mieux placé que moi pour répondre à  ta question, son groupe ayant longtemps travaillé sur les qualités agronomiques et organoleptiques des clones de Pinot et autres cépages. Toutefois, sur la base des récents travaux, je vais tâcher d'apporter quelques informations.

Le Pinot noir est un cépage originaire très vraisemblablement de Bourgogne et comme il est très ancien, il compte aujourd'hui plusieurs centaines de clones aux qualités variables. Ces clones sont issus de sélection suite à  des mutations (je rappelle que les Pinot gris et blanc ne sont que des mutations de couleur du Pinot, mais on reste dans le même cépage), sélections se basant sur les critères de productivité, de taille des grappes, des baies, et (heureusement) désormais le plus souvent pour la recherche de qualités organoleptiques et d'adéquation avec le terroir. Les clones portent généralement des numéros ou des noms de lieux géographiques où ils ont été sélectionnés. En ce qui concerne le Valais, il existe un clone Pinot « Valais » sélectionné en 1957 au domaine du Grand-Brûlé à  Leytron par la station d'essais viticoles. Ce clone a été récupéré dans des vieilles vignes de Pinot à  Sierre et à  Leytron. Ces vieilles vignes étaient certainement plantée d'un vieux clone de Pinot introduit en 1847 par des soldats de Neuchâtel qui séjournaient en Valais. Ce vieux clone provenait de Cortaillod, et représente aujourd'hui le clone le plus répandu en Suisse Romande. Il est connu maintenant sous le doux nom de Pinot 9-18, sélectionné par la Station Fédérale de Changins. Ainsi, Pinot « Valais » et Pinot « Cortaillod » désignent le même clone, numéroté 9-18. Le Pinot « Cortaillod » est lui-même une sélection très ancienne, déjà  mentionnée en l'an 998 dans le canton de Neuchâtel selon certaines sources. Je ne connais pas les pourcentages des différents clones de Pinot en Valais, mais c'est très certainement le Pinot « Cortaillod » (appelé aussi 9-18 ou Pinot « Valais ») qui est le plus répandu, il faudrait demander confirmation à  l'Office de la Viticulture.
Quoi qu'il en soit, le Pinot « Cortaillod » n'est pas le même clone que ceux utilisés en Bourgogne, en particulier le clone Pinot 115, sélection largement répandue dans le monde. Le clone 115 est également recommandé en Suisse, mais je ne sais pas dans quelle mesure on le trouve en Valais. Par rapport au 9-18, il a des caractéristiques physionomiques proches mais il a une productivité légèrement plus faible et une plus grande sensibilité à  la pourriture grise. D'autres clones français ont été testés, mais les travaux récents effectués à  Changins montrent que le clone 9-18 (Pinot « Cortaillod ») et 115 (Pinot « Bourgogne ») sont les mieux adaptés à  Changins et Leytron. Quant au Pinot « Wà¤denswil », aujourd'hui nommé Pinot 2-45, il s'agit d'une sélection faite dans les années 40 par la station fédérale de Wà¤denswil comme son nom l'indique, clone qui est le plus répandu en Suisse alémanique et qui est largement planté en Valais. Il a des grains un peu plus gros et la grappe plus épaulée que le 9-18, et il est plus productif avec une plus forte acidité. Il peut toutefois fournir d'excellents vins si la production est maîtrisée.

A titre personnel, je suis souvent rebuté par les Pinot (ou Dôle) valaisans, à  l'exception de ceux de quelques vignerons hors pairs, peut-être parce que je suis tombé dedans quand j'étais petit. J'ai mis longtemps à  mettre des mots sur cette impression, et finalement j'ai trouvé : ils sont trop souvent cuits ! Rien que l'odeur de pneu brûlé dans un Pinot valaisan suffit à  me faire entrevoir le mal de caillou du lendemain, probables réminiscences des nombreuses soirées militaires arrosées à  la petite Dôle. Au début je pensais que c'était l'abus de souffre, mais je suis maintenant convaincu que la raison en est une trop grande maturité du cépage (souvent associée à  une trop forte productivité) dans un climat qui ne lui convient pas. Je répète que c'est à  titre personnel et que cela n'engage ni Changins ou autres, mais je suis convaincu que d'un point de vue pédoclimatique, le Pinot ne devrait pas être cultivé en Valais (aà¯e, il y en a qui se sont fait brûler pour moins que ça…). En effet, partons d'un axiome : le Pinot provient de Bourgogne et c'est en Bourgogne qu'il s'exprime le mieux (cf Romanée-Conti et autres grands crûs qui, comme c'est bizarre, ne participent jamais au Mondial du Pinot noir…). Le climat du Valais n'a rien à  voir avec le climat bourgignon, ce qui n'est pas le cas pour les autres régions suisses (Neuchâtel par exemple). La culture du Pinot s'est développée en Valais dès la fin du XIXème pour des raisons productivistes et non qualitatives. Il y est aujourd'hui prépondérant pour des raisons de tradition (Dôle entre autres), une tradition qui n'a toutefois « que » 150 ans, alors que l'Humagne ou la Rèze sont là  depuis au moins 700 ans. A mon sens, l'introduction de la Syrah en Valais (en 1926 par le Dr Wuilloud) est plus logique, car la Syrah est originaire de la vallée du Rhône, fleuve qui prend source en Valais. Il y a en effet plus de similitudes entre le climat valaisan et le climat de l'AOC Vallée du Rhône qu'avec la Bourgogne. Mais ce n'est pas moi qui vait refaire l'encépagement du Valais (heureusement).
Les travaux en cours à  Changins vont dans le sens d'une amélioration de la qualité des clones, du choix du meilleur moment pour la vendange (les degrés Oechslé ne sont pas la panacée) et d'un abaissement des rendements, espérons qu'ils porteront leurs fruits dans les années à  venir.

Finalement, je me suis récemment réconcilié avec les Pinot valaisan en dégustant le Noirien Dailley 2000 de Didier Joris. Si je me souviens bien, il s'agit d'un assemblage de 5 clones de Pinot différents. C'est un grand Pinot, complexe et élégant, bien sûr sans la lourdeur et le côté cuit qui me dérangent souvent, au contraire il était d'une bonne fraîcheur avec une grande persistance toute en finesse. Probablement que les rendements de Joris étaient très bas. Ce vin exceptionnel confirme qu'un assemblage de 4-5 clones est toujours meilleurs qu'un vin issu d'un seul clone, fut-il un clone très qualitatif.

Je ne demande qu'à  me réconcilier davantage avec des Pinot valaisan de cet accabit, celui de Benoît Dorsaz par exemple (qui l'a goûté ?), et ainsi nuancer mon opinion sur la place du Pinot en Valais…

Jose Vouillamoz
01 Juil 2004 12:29 #2

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Réponse de Yves Zermatten sur le sujet Re: Question à  J. Vouillamoz : quid du pinot valaisan ?

José

Un grand merci pour ces informations exhaustives et passionnantes.

Je partage ton avis sur l'inadéquation du pinot noir en Valais, même si on trouve ça et là  de belles réussites. Les meilleurs producteurs sont de plus en plus attentifs à  ne pas récolter les pinots noirs au-delà  de 100°, voir 90° pour certains, justement pour éviter que les vins soient cuits.

je partage les mêmes souvenirs de jeunesse, avec des pinot et des dôle cuits et tuilés un mois après la mise !

amicalement

Yves Zermatten

Yves Zermatten
01 Juil 2004 20:19 #3

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