Le fer servadou
Preuve s'il en est que la culture et l'identité ne sont pas des concepts figés, ce cépage qui fait aujourd'hui figure d'emblème pour les vins de Gaillac est originaire du pays basque espagnol.
Cette variété, issue de la famille des carmenets, très répandue dans le sud ouest et qui compte notamment au rang de ses membres, le très célèbre cabernet sauvignon, a été répandue par les moines bénédictin de Madiran et de Conques, sélectionnée pour ses qualités d'adaptation à des climats difficiles de piémont, aussi bien au pied des Pyrénées que du Massif Central.
Si aujourd'hui, on le retrouve principalement en Gaillacois et en Aveyron dans le vignoble de Marcillac, la multitude des noms qu'on lui prête témoigne de sa grande dispersion à travers tout le sud ouest. Pinenc à Madiran, brocol ou braucol à Gaillac, Mansois, Saumansois, Mancès, Saumancès dans le Marcillacois, Servan près de Rodez, il est même mentionné sous le vocable d'Estronc dans quelques vignobles du Lot et de Corrèze, transcription phonétique à consonance malheureuse de Estranh qui signifie « étranger ».
Ce ne sont là que quelques exemples de la synonymie complexe de ce cépage, plus officiellement appelé Fer Servadou.
Fer vient de l'occitan Fèr, issu du latin ferus qui signifie sauvage alors que Servadou vient de l'occitant servador, « qui se conserve bien ». Ce sont bien là deux indications extrêmement précieuses quant aux qualités de ce cépage rustique mais capricieux à maturité tardive, à l'instar de son cousin, le cabernet sauvignon.
Le Braucol se distingue par un bourgeonnement cotonneux blanc rosé. Les feuilles adultes de la liane sont trilobées ou quinquelobées, présentant un dimorphisme folaire. Les grappes sont de taille moyenne aux baies noires bleutées ovoà¯des.
Ce cépage a la particularité de typer les vins qui en sont issus, même s'il ne rentre que pour partie dans l'assemblage final d'une cuvée. C'est sans aucun doute l'une des raisons de son renouveau, délivrant par cette qualité une marque identitaire à des vins auxquels on a reproché, bien souvent, un manque de personnalité.
Il donne un vin coloré et profond, reconnaissable à ces arômes très particuliers, allant du poivron au cassis, soutenus par des notes épicées marquées. L'assise tannique importante corrobore bien l'image très « Sud Ouest » du Fer Servadou.
Comme pour le Cabernet, c'est au niveau des maturités et des rendements que se fera la distinction entre un vin rustique et un vin de terroir. Il serait illusoire de confondre typicité, originalité et qualité. Cette dernière peut se nourrir des deux premières, mais celles-ci seules ne feraient pas long feu ; si ce cépage représente un renouveau pour les vins rouges de Gaillac, au même titre que d'autres variétés ancestrales retrouvées, le particularisme ne suffira pas à maintenir un engouement actuel certain. Ce n'est que par la recherche de la qualité, recherche d'ailleurs bien avancée par certains de nos plus brillants vignerons, que cette appellation Gaillac trouvera ses lettres de noblesse, dans cette couleur, comme l'a fait Madiran avec son local Tannat. Mais contrairement à Madiran où le tannat joue le rôle d'un cépage quasi-unique dans les cuvées haut de gamme, il est fort probable que l'assemblage avec d'autres cépages soit l'issue notre braucol, même si des vignerons chercheurs produisent aujourd'hui de très belles cuvées de ce cépage pur.
Le braucol est en train de devenir le marqueur des vins de Gaillac, dit Jean-Marc Balaran, du Domaine d'Escausses. à‡a s'est fait par l'exemple. Quelques vignerons qui ont réussi de belles cuvées ont montré le chemin. Ce que le syndicat d'appellation n'arrivait pas à imposer s'est appliqué de lui-même. C'est la preuve qu'il vaut mieux convaincre que contraindre.
Braucol 100%:
Il y a assez peu de chance pour que dans l'avenir on puisse replonger son nez et tremper ses lèvres dans un verre de pur braucol, puisqu'un décret est en passe d'être adopté qui imposera aux producteurs qui prétendent à l'appellation Gaillac AOC de faire des vins d'assemblage qui devront compter pour au moins 70 % de l'ensemble: braucol, duras et syrah avec obligation de présenter des vins issus d'au moins deux cépages différents. Jusqu'alors, la variété était bien de mise mais elle s'attachait à l'encépagement des domaines et non au contenu de bouteilles.
Mais finalement ce décret va dans le sens d'une recherche d'identité qui est déjà de fait puisque ces trois cépages sont bien les plus plantés dans l'appellation et compte chacun pour 1100 hectares alors que le cabernet sauvignon et le merlot avoisinent respectivement 400 et 450 hectares.
Nous avons néanmoins testés avec grand intérêt ces vins de cépage encore autorisés au cours d'une dégustation que la maison des vins de Gaillac a organisé à ma demande et qui s'est déroulée dans le cadre magnifique de cette maison adossée à l'abbaye Saint Michel, dans une salle de dégustation parfaite surplombant le Tarn.
Domaine Payssel, braucol 2000 :
Un vin à la robe moyennement soutenue et qui marque déjà une certaine évolution.
Le nez dispense des notes de pivoine, d'épices et de cerise à l'eau de vie. Le vin en bouche est assez fluide, comme décharné par les ans et la finale est fuyante. Il a dépassé son apogée.
Domaine de Salmes, Cuvée Liguory 2001 :
La robe est sombre et plus jeune que celle du vin précédent.
Il faut bien aérer ce vin qui dévoile alors des notes un peu animales mais du fruit noir sous jacent.
Le vin en bouche se montre sapide avec un peu de rudesse et une certaine sècheresse en finale.
Château Lécusse, cuvée spéciale 2002 :
La robe est très sombre, imposante sur des tons sanguins.
Le nez est superbe et évoque le cassis très mûr et le café.
On n'est aucunement déçu par ce vin en bouche qui développe un joli fruit sur une texture soyeuse et dense. La longue finale montre des tannins marqués. C'est un très bon vin.
Terroir de Lagrave, braucol 2002 :
La robe est plus légère que celle du vin précédent avec un début dévolution.
Le nez est assez joli et évoque un peu la pivoine. C'est fin et distingué.
En bouche, le vin se montre assez élégant et la finale montre beaucoup de fraîcheur.
Domaine de Brousse, Haut Cordurier, 2002 :
La robe de ce vin et dans les tons carmin avec une belle jeunesse. Le nez est très représentatif du cépage, avec des notes de cassis, de poivron rouge.
La bouche est suave avec une belle présence du fruit et cette touche florale revient sur la finale soyeuse. Ce vin est une excellente introduction au braucol, sans être un grand vin, il est presque un cas d'école.
Domaine de Gineste 2002 :
Ce vin se pare d'une robe grenat profond avec un début dévolution.
Le nez est assez curieux, présentant des aspects pharmaceutiques. La bouche est aigrelette, avec cette même déviance de saveurs décelées au nez. Le vin sèche en finale.
Domaine de Vaysette, Thibault 2002 :
La robe sombre très soutenue est imposante, très belle. Elle évoque la liqueur de cassis.
Le nez évoque les fruits noirs, et la mûre notamment.
La bouche est marquée par un très beau volume, à aucun moment ce vin ne déçoit. Il s'agit là d'une très belle bouteille qui fait honneur au cépage, à son vigneron et à l'appellation.
Domaine du Moulin, Florentin 2003 :
La robe moyennement soutenue, avec des traces dévolution. Le nez est marqué par un boisé très en avant ; c'est dommage, car on sent un joli fruit derrière.
La bouche est vanillée à l'excès ; là encore, c'est regrettable car la matière première paraissait de belle qualité. La finale se fait sur des tannins du bois, ce vin est ridicule.
Domaine Robert Plageoles, braucol 2003 :
La couleur et violine, dense, très jeune.
Le nez offre à côté un peu plus acidulé que les vins précédents : il évoque le cassis bien sûr mais aussi la groseille.
La bouche et vive, un peu aigrelette et finit court.
Domaine de Labarthe, cuvée Guillaume 2003 :
à‰chantillons tirés du fût.
Une robe d'encre, trouble, indique que le vin est encore en gestation.
Le nez présente un fruit très prometteur et de grande qualité. La bouche est très belle, présentant un remarquable volume que contrebalance une belle acidité.
Ce sera un très bon vin.
De cette dégustation, très enrichissante, me viennent plusieurs enseignements. Ce cépage, le braucol, possède des caractéristiques qui lui sont propres, à savoir des arômes de cassis très marqués, pouvant devenir végétaux si la maturité n'est pas optimale. Une note florale de pivoine est souvent présente. Les épices et notamment le poivre ne sont pas rares, tout comme cette impression mentholée si souvent ressentie. J'ai, du reste, souvent trouvé une similitude aromatique avec les cabernets chiliens.
Il apparaît clairement que ce cépage ne supporte pas la sous maturité ni les rendements pléthoriques. Il est de plus très sensible aux pluies qui surviennent juste avant les vendanges et qui ont tendances à faire gonfler les baies, les gorger d'eau, délayant ainsi la matière.
Il resterait maintenant, à affiner la connaissance des terroirs qui lui sont propices à fin d'en extraire la quintessence.
Les très bons vins de cette dégustation: Lécusse, Vayssette et Labarthe.