Alors qu’il pleut à torrent sur le Roussillon, je trouve un moment pour mettre mon grain de sel sur ce forum.
Je suis assez d’accord pour dire qu’à mon avis, vouloir additionner (ou comparer…) des pommes, des poires ou des cerises n’a pas de réel sens, dans le domaine du vin comme ailleurs. Donc, à chacun ses préférences.
Néanmoins, quelques réflexions me viennent à l’esprit :
- seuls quelques TRES RARES vins possèdent en vérité la capacité d’être meilleurs au fur et à mesure que le temps passe. Même à Bordeaux, n’en déplaisent à certains. Si « boxer pour le titre » signifie faire de tels vins, le Languedoc et le Roussillon ne peuvent prétendre aujourd’hui, il faut se l’avouer, présenter des vins qui « boxent » dans cette catégorie. Il faudrait pour cela avoir de grands vins des années 50 ou 60 à montrer, même à quelques exemplaires. S’ils existent, je ne les ai jamais rencontré. En revanche, j’ai bu dernièrement ma dernière bouteille de Latour 59 et je suis resté sur le cul. Dont acte.
- si la compétition se fait en revanche sur les millésimes récents, en jugement de plaisir immédiat ou même en terme de vins « impressionnants » (et non en terme de potentiel d'un vieillissement qui relève soit du mythe, soit d'une communication parfaitement entretenue...), cela mérite réflexion. Allez, prenons 2000, par exemple : dans ce millésime, une bonne dizaine de grands vins du L.R., au minimum, peuvent sans aucun souci se castagner avec n’importe quel cru classé 1855. Idem en 2001, en 2002, en 2003, encore plus vrai en 2004. Gagneront-ils devant les premiers ou les seconds ? Rien n’est moins sûr. Mais ce sera un beau combat et si nous perdons, nous le ferons avec les honneurs, après avoir éliminé nombres de seconds couteaux à la qualité très aléatoire, malgré leur nom historique. Le plus souvent, ce sera d’ailleurs une question de goût, de style, pas de qualité à proprement parler. Donc, se mesurer aux plus grands, le L.R. en est aujourd’hui capable, même et si une victoire « aux points » est plus probable qu’un K.O. au premier round…
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De toute façon,on ne peut nier que chaque année, les vins du L.R. progressent. En nombre de nouveaux grands vins. En concentration. En finesse. En capacité à s’épanouir avec le temps. Et en prestige… Ce qui fait que maintenant, on peut aussi déguster « étiquette découverte » entre amateurs, car nombre de crus classés ont, ce serait stupide de le nier, perdu beaucoup de leur brillant, alors nombres de cuvées du L.R. sont aujourd’hui elles aussi de grandes bouteilles prestigieuses, réservées à des occasions exceptionnelles. Et oui, il faut avoir l’honnêteté de dire que ça aussi, c’est important.
Plus généralement, je voudrais ajouter que faire des vins aptes à ce genre de compétitions, un peu stupides mais apparemment inévitables, demande une recherche de l’excellence à tous les niveaux : détection des terroirs qui en ont le potentiel; plantation du matériel végétal adapté, dans les bonnes densités ; culture parfaite ; vendange et vinification haut de gamme ; élevage luxueux, dévoreur de temps et/ou de barriques. Pour tout cela, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Et un peu le temps, car on ne fait pas en dix ans ce que certains ont mis plusieurs siècles à réussir. Néanmoins, la science, les techniques modernes et la généralisation de l’information permettent aujourd’hui d’espérer gagner beaucoup, beaucoup de temps et de réaliser en une vie ce qui, ailleurs, a demandé plusieurs générations. Du moins je l’espère
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Donc, ce qui change en L.R. depuis disons cinq ans, c’est que quelques domaines commencent à avoir les moyens de mener à bien cette politique d’excellence. C’est long, très coûteux, il faut avancer un pied après l’autre, mais on est nombreux à avancer, en particulier des jeunes, passionnés et talentueux, sans a-priori et qui ne se fixent aucune limite au niveau de leur recherche de qualité. Les caves commencent à avoir du vrai matériel, les propriétés du personnel et les vignerons les moyens de voyager pour faire déguster et connaître leur vin, des coûts que l’on oublie trop souvent dans son budget, mais qui restent essentiels à la naissance et à la reconnaissance d’un grand vin. Donc, pour ceux qui auront la chance et le courage de tenir, je pense honnêtement que le L.R. sera un jour prochain capable de présenter un véritable panel de « grands crus », similaire au classement de 1855, sauf peut être au niveau de la taille des propriétés et donc du nombre de bouteilles produites. À moins que des investisseurs extérieurs n’arrivent en nombre et ne créent de grands domaines, du genre Daumas-Gassac, Sassicia ou autres grands domaines californiens.
Bref, les grands vins du L.R. existent déjà et chaque bouteille ouverte fait avancer notre cause, celle des vins charnus et sensuels, issus de raisins mûrs.
Car, pour finir, la reconnaissance de l’importance du climat dans l’élaboration des grands vins n’est maintenant, à mon sens, qu’une question d’années, sans doute grâce à Internet. En 2005, Bordeaux, par exemple, crie déjà au millésime du siècle (et les vins vont sans aucun doute être délicieux). Pourquoi le seront-ils ? Tout simplement parce que le climat a été cette année typiquement méditerranéen. Comme en 2003, en 2001, en 1982, 61, 45, j’en passe et des meilleurs (millésimes…). Les grands vins, nous les devons avant tout au soleil et, dans les années qui viennent, cela sera enfin reconnu. Et le Languedoc-Roussilon aussi, par la même occasion. Bon, voilà, je crois que j'ai tout dit. Désolé, je ne sais pas faire court…
P.S. : tout ceci étant dit, faut-il être meilleur que les autres pour être heureux et exister en temps que vigneron ? Pour ma part, plus les années passent et plus j'ai du mal à comprendre cet objectif…