Le débat ayant commencé ici et stupéfait par le lien vers la RVF qui incluent les mots clés "petite Sibérie" ou "Jean-Pierre Coffe" histoire de monter dans les moteurs de recherche (que ne fait on pas pour exister...), je publie ici la réponse faite à Antoine Gerbelle sur le site de la RVF :
Cher Antoine,
Je suis vraiment désolé de t'avoir donné de "si gros chocs" par mon comportement inadmissible.
Tu le sais, je suis, un peu comme toi, un rebelle. Sache que notre différent "technique" ne change rien à l'affection que je te porte ni à l'admiration que j'ai pour ton parcours. Je ne mélange, pour ma part, en aucune façon l'homme que tu es et ton job. Aurais tu la gentillesse d'en faire autant ?
Tu es maintenant un homme de pouvoir et je suis navré de te mécontenter en ne rentrant pas dans tes cases, dans tes schémas, bref, à ne pas avoir peur de la RVF et de garder ma libre parole.
On pourra bien sûr (anonymement, c'est si facile, sans souvent même avoir à se justifier d'une note de dégustation explicative, ce que je trouve déplorable sur le forum d'une Revue qui se veut LA référence...), critiquer mes vins. Mais on reconnaitra, au moins, je l'espère, mon courage à ne pas me soumettre à un "pouvoir" dont mon seul tort est de ne pas valider les méthodes.
Je retiendrai de ta réponse plusieurs points intéressants :
- Ainsi donc, vous ne dégustez aucune propriété à l'aveugle. Merci de me le préciser. C'est exactement ce que je pense être la première raison des "dysfonctionnements" qui me sont insupportables et que j'ai pris la peine de t'expliquer. Vois tu, j'ai la nostalgie de la RVF de mes débuts, celle par exemple d'un article fondateur sur le domaine qui s'appelait "les limites de la dégustations à l'aveugle" et où la revue avait le courage de décrire le fait que sur six dégustateurs, trois adoraient un vin, trois le détestaient et qu'au final, quand on levait la chaussette, ne voilà pas que c'était un vin "de journaliste", qui, jugé étiquette découverte, n'aurait eu aucune chance. C'est ça qui m'a lancé. C'est à ce genre de compétition que je veux bien participer. Pas à un simulacre ou les premiers sont toujours premiers et les autres sont priés d'accepter leur destin. Suis je prétentieux de rêver de ça ? Peut-être. Je crains de ne pas changer, désormais... Je dois tout à la dégustation aveugle. Je veux continuer à subir ses résultats, qu'ils me plaisent ou pas.
- Ainsi donc, tout se fait dans un bureau, loin de la vigne et de ses réalités (mon quotidien et celui de mes confrères), ce qui me vaut d'observer presque tous les jours le contraire de ce que vous décrivez dans la revue, tant on vous raconte de fadaises (le vigneron doit vendre, que veux tu...), personne n'allant jamais rien vérifier. Combien couperas tu de raisin, cette année ? Aucun, comme, d'habitude. Tu compileras de l'info, c'est bien suffisant. Désolé, mais ça me dérange aussi, pour mes vignes, pour celles de mes amis vignerons qui n'ont pas vu un journaliste depuis qu'elles sont plantées...
- Ainsi donc, vous n'achetez jamais une bouteille de vin, ou si peut. Voici donc une des troisièmes raisons qui me semblent être un autre dysfonctionnement, surtout quand on se permet de critiquer aussi le prix des vins. Imaginer simplement que vous n'achetiez pas dans le commerce au moins les vins notés trois étoiles sur plusieurs millésimes, pour voir simplement si le résultat est conforme aux échantillons que l'on vous envoie, ou des vins "polémiques" cela me semble, tout simplement, stupéfiant. Moi, je le fais et, parfois, mon cœur chavire, tant la différence entre ce que je bois et ce que je lis me saute aux yeux.
Avec tout ces dysfonctionnements, vous semblez si certain de défendre "l'intérêt des consommateurs" ? N'est t'il pas salutaire, de temps en temps, de se remettre un peu en question, comme vous le demandez si souvent aux vignerons que vous jugez ?
Voici qui me suffit, sans vouloir polémiquer davantage, à expliquer d'où vient mon mal être. Bien sûr, voir mes vins, mes enfants, ne pas plaire aux grands dégustateurs que vous êtes, cela ne me réjouit pas. Heureusement que mes clients me rassurent et m'entourent de félicitations et d'émotion positives. Mais soit certains que, dans des conditions justes, honnêtes, impartiales, je suis toujours prêt à y participer. C'était le sens de ma demande de retrait, à laquelle, merci de le reconnaitre, tu n'as même pas pris la peine de répondre.
Que te disais-je, au fait, dans cette lettre, dont tu cites les extraits qui t'arrangent, et qui me semble être le cœur du problème, puisque tu sembles toujours vouloir manipuler ton lectorat en laissant croire que c'est un caprice d'un "golden vigneron parano" : "Car il y a désormais (dans le guide vert) une notion de "style". Les "modernes", adorés, contre les "anciens", honnis... Et cela désormais dans les dégustations soit disant aveugles, ce qui, lorsqu'on les reproduit entre vignerons avec des bouteilles du commerce, nous fait apparaître des défauts techniques qui n'ont rien d'artistiques, loin de là. Passons. L'essentiel est que les deux styles (une vrai dégustation à l'aveugle créerait bien des surprises...) ont à mon avis le droit (voir le devoir...) d'exister et que le goût du client me semble dans l'histoire un peu oublié..."
Voilà bien le problème, expliqué au journaliste en charge du Roussillon, lors de Vinisud, par un panel de vigneron qui se sentait jugé "à priori". Tu penses que le rôle d'un guide est d'influencer le consommateur (vins plus tendus surnotés, vins plus "vivants" - je ne sais ce que c'est, toujours -, vins plus "natures", vins en vendanges entières dans certaines régions, vins légers plutôt que vins tanniques", fruit plutôt qu'élevage, non-couleur plutôt que couleur), moi je pense que le rôle d'un guide est de guider. De dire : "ce vin est excellent, même si ce n'est pas mon style". Je pense qu'un guide est au service, sans servilité ni compromission, du vignoble et surtout au service de ses lecteurs.
Voilà tout simplement ce contre quoi je m'élève et pourquoi j'ai demandé à être retiré du guide vert, non sans regrets.
Bon, bien sûr, je trouve aussi que ce n'est pas le rôle d'un guide de trainer dans la boue un vigneron du trou du cul du monde qui vend cher, alors qu'il encense, dans la revue de ce mois ci, une bonne centaine de vins deux à dix fois plus chers que la petite Sibérie. Et si, simplement, on laissait le consommateur décider, même si ça t'énerve, comme ce vigneron du grand tasting dont ma cloche fait pousser des boutons tant il manque d'humour ?
Sur le reste et tes attaques personnelles qui ne te grandissent pas et qui, je pense, n'apporte rien au débat, je ne dirai que deux choses :
- je rentre d'une journée de récolte d'olives et je suis très fier d'avoir sauvé quinze mille oliviers, plantés en 1960, d'une fin annoncée, en pot et en jardinerie, ainsi que de contribuer à la survie de l'oléiculture locale. Je suis fier de produire, malgré les petits rendements du Roussillon, un vin à moins de cinq euros qui, sans être un grand cru, ne démérite pas il me semble et me permet de rester proche de l'univers des vins "normaux", si passionnants, si difficiles. Pourtant, la propriété ne m'appartient pas et ne m'appartiendra jamais et je n'en suis que fermier. Si quelqu'un veut prendre ma place et la liste infinie d'emmerdements qui vont avec, je lui laisse bien volontiers....
- je suis encore plus fier d'être le premier vigneron a avoir ouvert son capital à ses clients, plutôt que de dépendre toute ma vie du bon vouloir des banques (tu ne peux pas comprendre, tu devrais en parler avec les vignerons qui ne sont pas grand cru classé...), dans un projet d'investissement responsable, en France, qui nous permet désormais de continuer notre recherche de l'excellence. J'espère que notre initiative donnera des idées à d'autres vignerons et leur permettra à leur tour de tenter l'excellence dans la culture, la vinification, la commercialisation, chose pratiquement impossible dans le monde d'aujourd'hui. Si tu faisais un petit mois de boulot dans un domaine, une sorte de "vis ma vie", tu comprendrais tant de choses à nos espoirs et à nos angoisses.... Je te rassure, enfin, la situation du domaine n'a jamais été exceptionnelle bien que raisonnablement bénéficiaire, et une chose est sure, nous avons réalisé cela par envie et non par besoin. Au passage, je n'en ai rien retiré à titre patrimonial, tout étant consacré à la culture de la vigne.
Je ne pense pas que mon attitude, sorte de pierre qui, après avoir fait un cercle dans l'eau, s'enfoncera sans bruit au cœur de la mare, vous fera vous remettre en question le moins du monde. Ce débat aura au moins le mérite de mettre en lumière les données du problème, chacun se faisant alors une idée, autour de la prochaine bouteille.