Il y a quelques années, avant le début de ma passion pour les vins, mon beau-père avait remonté de sa cave une bouteille de Vosne-Romanée 1985 dont je n’ai jamais retrouvé le producteur. Ce « soldat inconnu » m’a pourtant laissé un grand souvenir qui m’est revenu à l’occasion de la dégustation qui fait l’objet du compte-rendu d’aujourd’hui.
Cette fois le vin est clairement identifié et pourtant anonyme. Il s’agit d’un Aloxe-Corton 1959 de chez Nicolas Michaud (négociant), issu d’un lot acquis aux enchères. Le millésime est grandiose, certes, mais devant ce nom inconnu et une étiquette à l’esthétique peu engageante je dois reconnaître que je m’attends plutôt à un vin passé sinon quelconque. Celui-ci me donnera une bonne leçon.
Le niveau est à 15 mm du bouchon, il n’existe aucune trace de coulure. A l’ouverture le liège est cependant complètement imbibé et part en morceaux sans qu’aucun ne tombe dans le vin ; l’odeur provenant du goulot est assez rassurante.
Le vin n’est pas carafé, et servi quelques heures plus tard. Je mesure alors l’ampleur de ma présomption. La robe est de couleur sombre et soutenue, aux reflets rubis et à la frange peu tuilée. Le nez est complexe et charmeur à la fois, s’exprimant sur les fruits mûrs, les épices et l’encens ainsi qu’une petite note de sous-bois. En bouche le vin se déploie sur une belle matière veloutée. La finale est sans aucune sécheresse et d’une belle allonge. Ce vin harmonieux et gouleyant est plaisant pour tous les convives, qu’ils soient initiés ou novices.
S’il m’est difficile de définir précisément ce qu’est un bon vin, il m’arrive de l’éprouver quand je retrouve cette alliance paradoxale entre la spontanéité et la complexité, la puissance et la délicatesse. Parfois ce vin se trouve dans une bouteille dont l’étiquette est connue de tous les amateurs. Et quelquefois l’étiquette est inconnue et pour l’amateur le plaisir n’en est que plus grand. Des deux bouteilles, c’est celle à l’étiquette prestigieuse qui devient alors la plus quelconque.
Bienvenue au club !
Car je passe mon temps à boire des bouteilles de domaines ou négoces inconnus qui se révèlent absolument fantastiques.
Il y a en Bourgogne, dans les années réussies comme 1959, des petits producteurs ou petits négociants qui réussissent au delà de toute espérance.
ça devient alors un bonheur de rechercher et oser acheter de telles bouteilles.
Bravo.
Nota indépendamment de vous Pierre : on essaie ici de me coller l'image du buveur d'étiquettes alors que je suis absolument excité de démontrer que ces vins nommés petits sont des trésors de plaisir à des budgets minimes. Il y a une mine pour celui qui sait les détecter et "sentir" par avance ce qu'on peut espérer trouver.
Un des plus extrêmes de ce que j'ai trouvé, c'est "Bourgogne" de Théophile Gavin 1928. Plus petit que "Bourgogne", il n'y a pas. Et ce fut grand.
Il s’agit ici d’un cas particulier. L’étiquette était effectivement « petite » et le vin fut grand. La critique de Mickaël est légitime eu égard au procès d’intention que j’avais fait à ce vin. Je le reconnais et je pense avoir appris lors de cette expérience.
Plus généralement, il n’y a pas de débat possible sur le fait que des vins à « petites » étiquettes peuvent être grands et apporter davantage de plaisir que des crus aux noms plus prestigieux. Tous les dégustateurs professionnels en ont fait l’expérience et beaucoup d’amateurs s’en rendent probablement compte de façon aiguë dès les premières dégustations à l’aveugle. Par définition, à l’aveugle je n’aurais pas sous-estimé ce vin avant même de l’avoir bu…