Je donne à mon tour mes impressions sur les bouteilles dégustées lors de cette soirée d’anthologie. Il m’a bien fallu une semaine pour m’en remettre.
J'ai trouvé dans le
Chambolle-Musigny VV 84 des Comtes de Vogüé toute la finesse de la Bourgogne et un joli dégradé de saveurs subtiles. L'air lui a fait du bien, révélant des parfums raffinés aux multiples facettes. La complexité d'un bouquet ne se donne pas seulement dans l'instant, mais aussi dans la durée et, sur ce point, ce Musigny était exceptionnel. Ni la bouche ni la longueur n’étaient superlatives, mais je n’ai pas résisté à la structure en dentelles, à la délicatesse et à l’élégance de cette bouteille.
Latour 1976
Le bouquet est d’abord réduit, puis apparaissent les fruits noirs, des notes de cèdre et de réglisse, sur des nuances tertiaires. Plus tard, l’ensemble s’épure et gagne en homogénéité, les tannins s’arrondissent, pour composer, dans un registre plutôt traditionnel, un ensemble très satisfaisant…s’il n’avait pas eu le 83 à ses côtés. Les qualités du 83 ont mis en relief les limites du 76, notamment une finale un peu déséquilibrée et légèrement sèche.
Latour 1983
Le nez très Pauillac sur les notes de tabac, de cèdre et de cassis, avec une touche vanillée qui m’a fait penser à un vin plus moderne. Bouche pleine, profonde, sur une matière homogène et dense, avec une présence fruitée associée à la patine et à la complexité tertiaire apportée par l’âge. Les tannins sont robustes, trahissant - au contraire du bouquet - une vinification qui paraît aujourd’hui traditionnelle. Ils sont néanmoins bien enrobés dans le gras et l'ensemble est long et savoureux. J'ai beaucoup aimé.
Lafite 1975 : classique, Lafite, exactement comme on imagine Lafite : envoûtant, androgyne, complexe, plein et fin, superbe de race et d'élégance, où l’on retrouve les notes de thé noir et de graphite. Un monument de plaisir sans un bémol de lassitude.
Palmer 1975 : Ce n'est certes pas un grand Bordeaux classique comme on pu l'être ce soir-là Mouton 96 et Pichon 95, mais j’ai adoré ce vin pour sa finesse, son élégance, sa complexité et sa buvabilité. Sa robe un peu trouble et terne n’est certainement pas un modèle d’école, mais quelle importance quand on se laisse emporter par les nuances complexes du bouquet explosif, avant de savourer son équilibre et son style. J’ai adoré.
Haut-Brion 1975 Très beau nez, sur des notes de confiture de fruits rouges, de tabac et de cuir. En bouche, on retrouve le fruit, la complexité et le style. C’est très bon, voire grand, mais il ne m'a pas procuré l’émotion d'un Lafite 75 ou d'un Mouton 96.
Las Cases 1975 nez fabuleux de Saint-Julien, complexe et raffiné, mais la bouche n’a pas vraiment suivi : un peu maigre et sèche, elle ne m’a pas impressionné et quand je lis les commentaires de mes petits camarades, je me dis que j’ai dû passer à côté de cette bouteille.
Meney 1975 s’est révélé, comme souvent, étonnant sur les vieux millésimes. Franchement, avec son pedigree, il s’en est plutôt bien tiré dans une série aussi prestigieuse. De belle densité et plutôt long, je n’ai regretté que ses tannins un peu grossiers. Quelques petits défauts, mais de grandes qualités dans cette bouteille.
Montrose 1975
Le nez impose surtout sa discrétion….en bouche, le vin est tendu, nerveux, racé, mais il semble un peu lisse et manque cruellement de complexité.
Branaire Ducru 1975 : bouchonné. Bouche fluide.
Giscours 1975 : le seul vin que je connaissais déjà. Il s’est révélé pareil à lui-même, un peu austère au premier contact, puis gagnant progressivement en sensualité à l’aération. Belle bouteille, mais la concurrence était rude.
Mouton-Rothschild 1996 : très grand vin. Le style est plus moderne et la vinification plus pointue que sur la série des 1975. Ici plus de tannins rugueux ou sévères, d’équilibres instables, mais un ensemble associant une aromatique extravertie à des tannins enrobés dans un matière pleine et parfaitement harmonieuse. C'est un vin viril et puissant, goûteux et long, qui ne manque cependant ni de finesse ni d’équilibre. C’est un magnifique représentant de ce qu’est à mes yeux un très grand Bordeaux. Coup de cœur.
Pichon-Comtesse 1995 et Pichon-Comtesse 1996 J’ai nettement préféré le 1995, qui présentait un profil plus charmeur et plus de plénitude en bouche. Le 1996 est encore sévère, voire un peu fermé. Il m’a donné la même impression qu’un
Sociando-Mallet 1996 bu pendant les fêtes : austère, avec un manque de longueur. Ce Comtesse 96 manque actuellement un peu d’explosivité pour un vin de ce niveau dans un millésime réputé grand. Le temps corrigera-t-il ces défauts ? je n'en suis pas certain. En revanche, le 1995 est nettement plus accompli : chair dense et expressive, plénitude et complexité, avec de l’allonge. Les tannins sont serrés mais bien enrobés, et ne présentent pas la sécheresse que l’on peut trouver sur nombre de Bordeaux 95.
Trimbach, Frédéric Emile 83 : éventé, oxydé, passé. Ce vin ou plutôt cette bouteille n’a plus rien à dire, même sur un Stilton. Denis m’a dit que le bouchon et le niveau n'étaient pas au mieux. C’est donc probablement un problème de bouteille.
Contrairement à Denis, j'ai adoré
Krug 96. Nez époustouflant de puissance, de pureté, sans la moindre note oxydative – qui me dérange souvent sur les grands champagnes. Bouche et finale toujours puissantes, complexes, et équilibrée. Et quelle longueur ! Il est vrai que la bulle aurait pu être un peu plus fine, mais c’est tout de même un immense champagne. Je l’ai préféré au Bollinger GA dans le même millésime.
Tirecul la Gravière Cuvée Madame 2001
Tout ce que j’attends d’un grand liquoreux. Du botrytis, un nez sublime, de la complexité, de la puissance et de la longueur. Immense. J’aurais pu finir la carafe tout seul
Yquem 75
Nez complexe, magnifique botrytis, bouche puissante, qui reste aérienne. Moins de gras que le Tirecul Cuvée Madame
1975 2001, moins de puissance aussi, mais quelle précision d’horloger dans cette fabuleuse bouteille ! Plus de 30 ans après la mise, le vin reste fringant, avec une acidité quais surnaturelle, vive, tranchante, mais parfaitement intégrée dans la matière.
Merci à ceux qui ont rendu possibles ces moments extra-ordinaires et vive le ZWTG !!!
Yves Zermatten