Mercredi 31 Mai 2006, 10H00. Hervé a Rendez-vous 1, rue derrière le four à Vosne-Romanée où, en compagnie de 9 autres privilégiés, il va (enfin) pouvoir mettre des mots sur ces étiquettes qui le font saliver depuis si longtemps. Pour cela, il a pris sa voiture à 5h00 du matin, fait 350 kilomètres. Sa mère ne comprend pas bien. Quoi, tu fais l'aller-retour juste pour une dégustation ?? Ils sont pas bien ces jeunes !!!!
Accueil cordial de Jean-Charles Cuvelier qui nous laisse très vite entre les mains de Bernard Noblet, maître de chai du domaine. On sort immédiatement, jetant un oeil rapide sur la croix de pierre, quelques dizaines de mètres plus haut. On ne s'attarde guère. Il faut dire qu'il fait plutôt bon pour un mois de Novembre !!! Direction donc le vendangeoir où vieillissent les millésimes impairs du domaine !!! Les 2005 nous attendent !!! Lorsque l'on pénètre la cave, on ne peut s'empêcher d'être un peu ému. Depuis le temps que l'on voit ses tonneaux en photo, le nom du cru inscrit au pochoir... et ils sont là, devant nous !!!
Allez, on y va :
Echezeaux 2005 : Robe rubis brillante. Elle s’avérera la plus claire de la série. Nez très parlant entre griotte et cuir. Bouche longue et chaleureuse tout juste polluée par une malo pas tout à fait terminée (légère sensation perlante). La grande classe !!! Mais ce n’est que le « bas de gamme » (dixit Bernard Noblet !!!) Il n’y a qu’ici où l’on peut entendre de telles réflexions !!!
Grands-Echezeaux 2005 : Dès que le verre se remplit, on comprend le sens de l ‘expression « bas de gamme » !!! Avec le GE, on monte automatiquement d’un cran !!! D’abord, une robe plus sombre, bcp plus sombre !!! Pour le domaine, on pourrait presque dire noire !! Le nez se fait plus discret, plus rentré, mais également plus profond, plus noble !! Cerise noire, arômes floraux. En début de bouche, impression d’une certaine verdeur d’une incroyable noblesse (confirmation de Bernard Noblet : c’est la trace laissée par les rafles, les raisins n’étant pas éraflés du tout) qui donne une touche fraîche à l’ensemble. Selon Bernard Noblet, la rafle apporterait non seulement une plus grande complexité aromatique lors du vieillissement (arômes de rose notamment) mais permettrait également, par l’effet de ses tanins, une plus grande stabilisation de la couleur du vin dans le temps. Finale épicée – Un vin qui finit long – Il donne vraiment l’impression d’un vin fini - En résumé, noble et masculin !!! Allez, au suivant !!!
Romanée-Saint-Vivant 2005 : Mes notes stipulent : « robe encore plus sombre » !! Devant mon PC, j’ai un doute !! Le GE me semblait déjà bien noir !! Etait-ce un effet de l’éclairage, de la malo en cours ?? Un peu de réduction qui va rapidement disparaître à l’aération. Malgré la malo en cours, le vin se goute très bien !!Bouche croquante, vive, sur la cerise – On termine également sur une finale épicée – L’impression finale est celle d’un vin plus féminin que le GE, qui se présentait plus minéral !!! Une classe au dessus également !!
Richebourg 2005 : Encore un cran au dessus !!! Plus grande complexité - cacao, menthe, fruits noirs très mûrs, moka, praline (une pointe de thé ??). La bouche la plus veloutée de la série, la plus marquée par le bois aussi (au sens noble du terme – pas d’effet de planche !). Long, très long, mais donnant surtout une grande impression d’harmonie !!! Incontestablement , un vin déjà en place !!!
La Tâche 2005 : L’extra-terrestre de la série. Robe sombre, éclatante, mais un nez déjà différent des autres : mangue, fruits noirs, violette, santal… Au-delà, ce qui interpelle, c’est l’agressivité des tanins de ce vin, aux antipodes de ce que dévoilent ses confrères !!! Autant les autres vins (y compris le suivant) dévoilent un cousinage certain entre eux basé sur une élégance matinée ou non de minéralité, autant celui-ci se révèle différent !!! Plus de matière mais aussi une acidité en avant, des tanins au diapason !!! Très très long en bouche !!! Ce vin est-il élevé différemment ?? Non, selon Bernard Noblet !! Alors, que se passe-t-il dans le sous-sol de La Tâche ?? Au final, Un vin tout droit, impressionnant, mais devant certainement être attendu plus que les autres pour se livrer !!!
Romanée-Conti 2005 : Rien que d’écrire le nom, ça fait tout drôle !!! Il est 11h05 quand Bernard Noblet sort la pipette du fut pour remplir nos verres !! C’est pô moi qui ai regardé l’heure, c’est ma voisine !!! Voilà, on y est !!! Va-t-on être déçu, ou au contraire aveuglé par le nom inscrit sur le tonneau ??? La robe est un peu plus claire que La Tâche ou Richebourg, mais vraiment éclatante !! Le nez qui s’ouvre petit à petit se dévoile d’abord entre fruits noirs et une touche de thé cette fois évidente ( !!!). Mais, au-delà, c’est l’ensemble qui impressionne !! Complexité aromatique, velouté, noblesse, minéralité… Dégustée juste après LT qui se faisait le chantre de la verticalité, la RC se développe à l’inverse !! Enveloppée, caressante, elle semble posséder les mêmes qualités que les vins précédents (hors LT), mais avec toujours un petit plus !!! Au final, ce n’est qu’un vin, mais quel vin !!! Le meilleur (et de loin) de la série !! Et qui réussit l’exploit de ne pas me décevoir, moi qui en attendait tant, depuis qu’enfant, je scrute les bouteilles exposées dans les différents magasins !!! J’aimais ce vin avant d’aimer le vin… Allez comprendre… Et ce verre, dégusté autour des futs de LT, de RC et de Richebourg, ne tue pas le mythe !!! Au contraire, il l’alimente !!!
Au final, une expérience incroyable de "terroirisation" de l'esprit. Que celui qui pense que le terroir n'existe pas vienne ici se rendre compte par lui-même !!! Chaque cru, pourtant travaillé et élevé de la même manière, et tout en démontrant un cousinage certain avec les autres, développe une personnalité différente... Seul petit bémol pour la faiblesse relative de l'Echezeaux par rapport aux autres. La palme de l'originalité, incontestablement, à La Tâche, réellement à part !! Et la palme, tout court, sans surprise (encore que !!) à la Conti !!! Est-ce le fait de passer derrière La Tâche, si violente dans son expression ?? En tout cas, elle apparaît plus pleine de tout ce que les autres proposent, dans la délicatesse, le toucher de bouche, le côté sphérique de l'ampleur qu'elle dévoile déjà, la complexité aromatique... Et tout cela dans une sorte de sérénité qui paraît eternelle !!!
Mais bon, cessons !!! Il reste encore quelques bouteilles à déguster !!!!
Elles sont toutes servies à l'aveugle. Comprenez que Bernard Noblet nous amène des bouteilles nues, tout droit sorties de réserves du domaine (la plus vieille serait un Richebourg 1911 !!!).
1ère bt : Robe claire, plus claire que le 2005. Nez frais et bouche sapide, épicée mais moins structurée que le 2005. Belle rétro-olfaction. Jolie longueur. Passé après tous ces 2005, issus d’un millésime au potentiel énorme mais aussi tellement agréable à boire jeunes, il montre une certaine sévérité ainsi qu'un certain manque de densité !!! C'est un Echezeaux 2002.
2ème bt : Robe très noire, peut-être la plus noire de l’ensemble des vins bus ce matin. Le nez aux arômes de fruits ultra-mûrs (crème de mure, cassis), presque compôté, me font pencher vers un 2003 !!! Raté, c’est un 1999 !! Je suis très surpris !! J’attendais plus d’élégance d’un tel millésime, ou bien un vin refermé, en phase intermédiaire, mais certainement pas cela !!! Pointe de cuir, nez très extraverti, expansif. Tanins impressionnants mais fins !!! La bouche donne plus une impression d'équilibre que le nez !! Un vin étonnant !!!Me laisse assez circonspect quant à son évolution !!! Il fait lourdaud !!! C'est un Echezeaux 1999. Les autres 99 présentent-ils les mêmes caractéristiques ??
3ème bt : Robe un peu plus trouble que les précédentes, présentant de légères traces d’évolution. Nez très expressif avec des notes magnifiques d’orange sanguine, d’humus, de sous-bois, de violette. Arômes manifestement tertiaires mais avec une robe encore en pleine maturité, est-ce l’effet des tanins des rafles ?? Si on chipote, on peut lui reprocher une acidité peut-être un peu trop mordante pour être vraiment parfaite !!! Mais quelle classe et quel naturel !!! C'est La Tâche 1990 !!! Honnêtement, Je ne le classe que deuxième sur mon podium des meilleurs Bourgogne rouge 90… Derrière l’immense Volnay Champans de Joseph Voillot !!! Mais là, on touche vraiment les sommets !!!
Dernier flacon, on finit par un blanc. Robe fortement ambrée. Manifestement, le vin a subi les outrages du temps !!! Premier nez un peu décadent puis qui se met en place : encaustique, miel, cire, caramel !!!! C’est vieux mais bougrement bien vivant !!! Il faut trouver le millésime !! Qui aurait parié sur un 1977 ?? Incroyable !!! Un 1977 pas mort !!! Bon, c’est un Montrachet, mais tout de même !!! La faiblesse du millésime se signale furtivement par des notes plutôt curieuses (notes acides que l’on retrouve dans les mauvais haricots verts en boite !!!!!) mais tout cela s'efface rapidement, et le gras impose le respect !!! Vraiment une révélation !!! François Audouze aurait certainement apprécié !!!
Il faut maintenant repartir. Remerciements chaleureux à Bernard Noblet et Jean-Charles Cuvelier. On referme la grille rouge et l'on remonte dans sa voiture en claquant la langue contre son palais afin de profiter des dernières notes qui persistent !!!!!!!!
Hervé