Intéressantes interrogations...
Je ne sais pas s'il existe un sentiment anti-bordeaux sur ce forum mais il y a certainement un désamour d'une partie des amateurs pour les grands crus classés de bordeaux depuis quelques années. A en juger par le dernier numéro de la RVF, on ne sert quasiment plus de grands crus classés dans les restaurants de New York par exemple. Trop chers pour les 20-35 ans...Les jeunes préfèrent des vins d'autres régions à la fois parce qu'ils estiment y trouver un meilleur rapport qualité prix, à tout le moins des prix plus bas et parce qu'ils n'ont pas envie ou pas les moyens d'encaver des vins durant 15 ou 20 ans avant de les boire. Or, même si les vins sont plus accessibles dans leur jeunesse que par le passé, il demeure qu'un grand bordeaux du médoc est généralement meilleur à 20 ou 25 ans que deux ou trois ans après sa mise en bouteille. Cela étant, dans les appellations moins prestigieuses, on trouve d'excellent vins à des prix corrects.
Les premiers responsables de cette évolution me parait être la rapacité des propriétaires des grands crus en question. Ils ont détraqué le système des primeurs qui était autrefois gagnant-gagnant : les domaines vendaient la production du millésime dix huit mois avant la mise en bouteille, ce qui diminuait considérablement leur besoin en fonds de roulement et faisait du bien à leur trésorerie. En contrepartie, les amateurs acceptaient de prendre un risque sur la qualité du vin, mais payaient de 10 à 30% moins cher que lorsqu'il sera mis sur le marché physiquement.
Cela a, je pense, commencé avec le millésime 97, vendu en primeur nettement plus cher que le 96 alors qu'il lui était nettement inférieur, avec des pratique commerciales contestables vis à vis des négociants du style "si vous ne m'en prenez pas cette année, vous n'en aurez pas l'années suivante". En 98 et 99, ils ont été obligés de baisser les prix pour vendre leurs vins. Sur le 2000, ils ont massivement augmenté les prix en les multipliant par 2 ou 2,5 au prétexte que c'était une très bonne année et surtout "l'année du millénaire". Je n'ai jamais compris : boire un 2000, cela est plus plaisant que de boire une bouteille sur laquelle il est marqué 1999 ou 2001 ? Les prix étaient très élevés. Du coup ils se sont calmé sur les deux millésimes suivants mais ils ont vendu trop cher les 2003, prétendument l'année du siècle puisque c'était l'année de la canicule ("un nouveau 47 !" ), et en 2005, nouvelle "année du siècle" (comme tous les 4 ou 5 ans) et des prix stratosphériques qui ont dégoûté pas mal d'acheteurs.Mais jusque là, le marché secondaire suivait et ratifiait les hausses de prix. Du coup, ils ont cru qu'il n'y avait pas de limite. Nouvelle "année du siècle " en 2009, avec des prix à l'avenant puis rebelote sur les 2010 ("encore mieux que 2009 !" ) avec des 1er GCC vendus 900, 1 000, voire 1 100 € HT la bouteille au printemps 2011. Mais là, le marché s'est cassé la figure six mois plus tard et les prix sur le marché secondaire ont baissé de 40% en quatre ans. Je plains les acheteurs de primeurs 20009, et surtout 2010, essentiellement des étrangers d'ailleurs...
Comme les cours ont retrouvé un peu de vigueur depuis six mois, ils recommencent avec le 2015 : les premiers domaines ont augmenté leurs prix de sortie de 20% mais les suivants (et surtout les 1ers) ont augmenté leurs prix de 40 à 65% avec un record à 103% pour La Mission..
Bref, c'est toujours la même histoire : ils exagèrent puis les négociants se retrouvent avec de gros volumes sur les bras et n'achètent plus, les prix baissent, cela se calme un moment mais à la première occasion, ils exagèrent à nouveau...Heureusement ils ne sont pas tous comme cela, surtout les rares ceux qui ont fait le choix d'avoir une clientèle de particuliers auquel ils vendent le vin moins cher que son prix en primeur comme Haut Marbuzet ou Sociando Mallet.
Rien de mieux en tout cas pour dégoûter un amateur de grands bordeaux que de lui vendre des vins en primeur à un prix supérieur auquel il voit ensuite la bouteille dans le commerce...Après avoir plumé les russes avec les 2000 et 2005, ils ont plumé les chinois avec les 2009 et 2010. Ces derniers sont passablement dégoûtés depuis et la demande chinoise n'est pas très forte sur le 2015 et c'est vrai des américains, des britanniques et de tout le monde...Les 2015 tiendront probablement leurs prix sur le marché secondaire mais il n'y aura très probablement pas de flambée. Tant mieux car plus la part des achats purement spéculatifs sera faible, plus les amateurs pourront acquérir les vins à des prix non délirants..