Bon, comme je le disais à Olif à Paris, pour un vigneron, intervenir sur un forum n'est pas chose simple. D'abord parce qu'il y a toujours un imbécile (excusez- moi, mais il n'y a pas d'autres termes) pour penser que le vigneron vient faire sa pub. Alors, souvent, au lieu d'être un nouveau moyen de communication, nouveau parce que sans intermédiaire, sans filtre et sans être obligé de se déplacer, cela devient un lieu de règlement de comptes et que le vigneron, écÅ“uré, retourne dans sa cave. Donc, si vous voulez avoir plus de vignerons, dites ce que vous voulez mais faites attention par pitié à « comment vous le dites ». Souvent, un brouillon, une nuit de réflexion et un envoi le lendemain ne donne que plus d'impact et de précision à une opinion
). Au fait « ce n'est pas bon » et « je n'aime pas », ce n'est pas pareil…
Le ton de ce sujet montre que l'on peut ne pas être d'accord sur le vin comme sur tout et en parler calmement, de manière civilisée. Donc, cela m'encourage à continuer et à discuter "de l'endroit où je me trouve", c'est-à -dire d'une propriété récente, qui a connu un succès médiatique et commercial incroyable en quelques années à peine et qui se retrouve aujourd'hui à la fois "fer de lance" (avec d'autres...) d'une région en pleine révolution (le mot n'est pas trop fort), mais aussi, à cause de sa position en première ligne, "cible" de toutes les critiques. Il y a des inconvénients et des avantages à tout cela.
Trois réponses sur la petite Sibérie. Cela me gêne un peu d'en parler mais comme on me pose des questions. Mais je pense qu'à travers ces réponses, il y a des idées fortes qui surgissent qui intéresse tout le Languedoc-Roussillon, chose plus en rapport avec le titre du forum.
Pour Jérôme : je ne suis pas d'accord avec toi. à€ mon avis, ce n'est pas le prix qui fait la demande mais la demande qui fait le prix. Le meilleur exemple est celui de la bonne trentaine de micro-cuvées (chose bien différente d'un « vin de garage », à mon sens) qui sont nées dans le Libournais depuis 5 ans. Seules 5 ou 6 fonctionnent, le reste patauge.
Dans le cas de la petite Sibérie, c'est PARCE que certains importateurs ont voulu tout acheter dès la mise en barriques, que tous se sont battus pour en acheter en primeur,et la production, venant d'une seule parcelle, que j'ai pu fixer son prix aussi haut. Ce sont des marchands modestes. Pour eux, 60 ou 120 bouteilles, c'est un trou de trésorerie monstrueux. Ils ont eu les couilles d'y croire et de payer pour en avoir, en pensant que leur goût ne les trompait pas et qu'ils réussiraient à convaincre leurs clients. Idem pour des cavistes qui n'y croyaient pas et qui, après l'avoir goûté, en ont pris qui 1, qui 3 bts, qui 6 bts sachant qu'ils risquaient surtout… de les boire. Oui, il y a encore des marchands de vin qui s'engagent et heureusement pour le L.R.. Ce sont eux, qui, dégoûtés d'autres régions, sont en train d'hisser la région au rang d'une des meilleures régions de production mondiale.
Contrairement à ce que tu sembles croire, en dehors de quelques gogos, les amateurs de vin qui ont les moyens sont bien PLUS difficiles que les autres. Tout simplement parce qu'ils ont tout goûté et ont tout dans leur cave, et souvent par piles ! Pour arriver à se faire une place, il faut vraiment que ça leur fasse "tilt". La petite Sibérie n'a jamais été planifiée et je ne crois pas que l'on puisse « marketer » ou « imposer » un vin culte, où que ce soit dans le monde. Les vignerons qui vendent cher, par exemple en bourgogne, les comte Lafon, les Coche-Dury, les Mortet, etc.ne pensaient jamais que leurs vins atteindraient de tels prix.
Je suis néanmoins d'accord avec toi sur le fait que commercialiser un vin cher attire l'attention. Plus, peut-être, dans le cas de la P.S. sur le L.R. tout entier que sur moi. Cela ne provoque pour autant ni articles de presse, ni commande. Je suis bien plus connu pour mes autres vins que pour la petite Sibérie que, avouons le, ne connaissent que ceux qui en ont goûté, qui ont lu deux ou trois forum de ce genre ou deux entrefilets dans la RVF. Nous verrons si, dans les années à venir, ce vin continue son chemin. Si c'est le cas, ne se sera que pour ses qualités intrinsèques, comme tous les grands vins. Ce n'est pas ma priorité. Me croira qui voudra.
Pour Manuel, une bonne fois pour toutes, la petite Sibérie n'est pas un vin concentré au sens « parkerien » du terme. On notera d'ailleurs, et c'est je pense unique au monde en L.R. que c'est le cas de presque tous les vins « cultes », cf la Muntada, la Grange des Pères, Marlène Soria, etc. Bon, il y aussi le Clos des Truffiers , Emile Peynaud et… le Clos des Fées « Clos des Fées » me direz vous. Mais les vignerons qui font ces vins aiment vraiment, à mon avis et c'est mon cas, ce type de vin, irremplaçable à mon sens au vieillissement et à certain moment de gastronomie. En Espagne, en revanche, 80 % des nouveaux vins cultes sont hyper-concentrés…
Au Clos des Fées, comme je pense dans d'autres domaine du L.R., on ne fait pas les prix comme en bordeaux, en fonction de la concentration ni de l'IPT (indice de polyphénols totaux).
Par exemple, je pense qu'en 2001 comme en 2002, le Clos des Fées est plus « concentré », plus massif, plus impressionnant que la P.S. Certains, d'ailleurs le préfère, où aiment les V.V. ou les Sorcières. D'autres craquent complètement sur la P.S.. Je ne l'explique pas, je me contente de le constater. En P.S., le 2001 était un millésime très impressionnant, hors normes, très démonstratif, horriblement charmeur, limite provoquant. 2002 est d'une qualité de tanin incroyable, plus réservé mais aussi plus élégant. Côte à côte, les deux vins sont comme deux sÅ“urs, avec un air de famille mais aussi des différences importantes. Pourtant avec une analyse presque identique !!! Une grande leçon pour moi. Certains, Michel Bettane, par exemple, pensent que le 2001 est un grand vin mais il ne l'aime pas vraiment car il ne correspond pas à l'idée qu'il se fait d'un grand vin. Cela ne l'empêche pas de bien le noter. 2002 le séduit, au contraire. Encore une fois, ONPPLATLMonde… Je suis pas certains que lors de notre dégustation de Mai, si elle se fait, certains ne préfèrent pas 2002 qui, qui peut le dire, ira peut-être plus loin ?. Mais les deux vins sont, sincèrement, à mon avis, au même niveau. Si cela n'avait pas été le cas, je n'en aurais pas fait, tout simplement. Je m'efforce (ce n'est pas facile…) de trouver un équilibre économique sans la P.S. car je sais que je peux la rater une année. 2004 est bien parti mais il faudra attendre Février pour être sûr. Bon, tout ça pour dire, en prenant un peu de hauteur et en réfléchissant à ce qui en train de se passer ici, que je trouve EXTRAORDINAIRE que le L.R. ne suive pas la tendance mondiale. Chacun ici fait comme il le sent et non comme on lui dit qu'il faut faire.
Pour Vincent (et d'autres), je rappelle que 55 % de ma production, c'est des bouteilles de Sorcières à 11 euros et 30 % de vieilles vignes à 20 euros en primeur après élevage en barriques. Le tout sur un rendement moyen de 18 hl/Ha en 2003, j'espère 20 hl/ha en 2004. Suis je alors « l'horrible profiteur » que certains semblent décrirent ici. Je suis tout aussi fier du fruit et de la gourmandise des Sorcières que de la puissance du Clos. J'essaie de faire en sorte de produire des vins accessibles tout de suite, d'autres qu'il faut attendre, tous à base de raisins mûrs, mon credo.
Je n'affirme détenir aucune vérité, sachant depuis longtemps que la bouteille, le moment, le plat, la compagnie,le verre, l'état d'esprit, tout cela peut servir ou desservir un vin.
Ceci étant dit, ton analyse sur l'équilibre économique est très intéressante puisque le schéma que tu décris était le mien au départ et que je le conseille toujours aux jeunes (ou moins jeunes) qui s'installent ici aujourd'hui. Je vais essayer de le développer rapidement pour t'en faire saisir les avantages, les engagements qu'il impose et certaines de ses limites. Ce serait bien que des vignerons dans cette situation argumentent, rectifient ou critique ces quelques chiffres.
Regardons d'un peu plus près : 20 hl/ha sur 3 ha = 60 hl soit 8 000 bouteilles. A 6 euros, on est exonéré de TVA puisque l'on fait 6 x 8 000 : 48 000 euros de chiffre d'affaires (TVA après 55 000 euros de CA, je crois). Le forfait agricole est un paradis fiscal et social impressionnant : pas de compta, pas de TVA, pas de prélèvement sociaux ou presque, la sécu gratuite (forfait 1000 euros par an environ au titre de la « solidarité »), retraite agricole faible mais retraite quand même (le régime agricole est déficitaire à 95 %…), jamais de contrôle fiscal, revenu fixé arbitrairement par le Préfet et toujours égal à … zéro (d'où la possibilité, et certains ne se gênent pas pour le faire en coopé, d'avoir le RMI, les allocations logements, les bourses pour les enfants et j'en passe).
Au niveau des frais, on considère communément qu'en coopé, un vigneron peut s'en sortir avec 3 000 euros de frais hectares, s'il cultive tout seul et au moins 15 ha. En « naturel », sans parler de bio, faut compter la matière organique, le travail du sol en plus et pas mal d'autres choses, c'est à dire à mon avis pas moins de 5 000 euros, avec un vieux chenillard et si les vignes sont à côté de la maison. Mais bon, sur des petites surfaces, ce genre de calcul ne veut rien dire, puisqu'il y a en même temps moins de frais variables et bien plus de frais fixes. Allez, pour simplifier, prenons l'hypothèse que tu bosses seul, avec ta femme, que tu achètes que du souffre (ici,on peut), du B.T., deux sacs de cuivre et que tu te fais tout seul, avec un atomiseur et un C15 d'occasion. Je pense que tu mérites un petit SMIC, ta femme aussi. Alors, j'enlève 24 000 euros /an + 1000 euros de M.S.A. Cela te suffit pour faire ton bonheur, vivre simplement à la campagne en travaillant dur, mais une petite centaine de jours ouvrable par an seulement, en fait, parce que tu as peu de vignes. Bon, tu refuses bien sûr tous les « bienfaits » de la société de consommation, tes mômes aussi. Et tu attends les clients sur le pas de la porte parce que tu n'as pas un rond pour aller les rencontrer ni aucune marge arrière à donner à des intermédiaires. En effet, si tu veux, pour respecter tes principes politiques, que ton vin soit vendu partout 6 euros pour être accessible à tous (ou plutôt à n'importe qui, mais c'est un autre débat…), il faut que tu en donnes 2 (au moins…) à ton importateur. Et alors là , notre histoire est déjà terminée.
Bon, en plus, soyons sérieux : vendre 8 000 bouteilles, en direct, tout de suite, sans initiative commerciale, c'est IMPOSSIBLE.
Bon, mais admettons que la chauve-souris, elle ait le code et qu'elle trouve ta porte
)) et que tu vendes.
Avec ces petites quantités, impossible de mettre en bouteille à moins d'un euro de matières sèches (2,2 frs de bouchon, 2,0 frs de bouteilles, 1,50 frs pour le carton et l'étiquette, 1 frs pour le travail). Bon, tu sais négocier, mais rien de luxueux au niveau des habillages et une seule cuvée parce que tu ne peux faire qu'une seule mise.
Tu me suis ? Si oui, et si je ne me trompe pas dans mes comptes, il te reste 16 000 euros.
Avec cela, il faut que tu payes les produits, l'essence, l'électricité, l'amortissement des bâtiments, du matériel de cave (pas de barriques, t'as pas les moyens), de culture et bien sûr les vignes.
à€ condition que tu aies TOUT financé en fonds propres (tu peux avoir vendu ton appart à Paris,par exemple) car on ne te prêtera pas grand choses si tu arrives les mains vides, surtout dans la conjoncture actuelle, c'est jouable. Bon, il te faut donc juste 200 000 euros pour commencer à jouer. Ah, tu n'oublies pas le fonds de roulement, ce que tout le monde fait, au moins deux ans de C.A., trois si tu veux élever un peu. Donc, compte plutôt 300 000.
Mais vois tu, même avec des pepettes, et la plupart de ceux qui s'installent ne les ont pas, tu es sur la corde raide. Le moindre truc qui ne se passe pas de façon idéale, sur le plan climatique, vinif, commercial ou physique/moral et tu perds tout. Et comment tu vis avec une telle épée de Damoclès sur la tête en permanence ?
C'est ça, la vie que tu souhaites avoir ou que tu trouves normale pour les vignerons dont tu dis estimer le travail ou le talent ? Moi, non. De plus, j'ai du mal à cautionner, (je sais, je sais, j'en ai profité les deux premières années, mais aujourd'hui je paye mon dû) un système qui permet d'être exonéré de tout, c'est en dire en substance de vivre aux crochets d'un système libéral et du confort qu'il apporte alors qu'on le critique par ailleurs.
Tu dois penser que je grossis le trait. à€ peine, je t'assure. Pour s'en sortir, il faut augmenter les rendements, les surfaces ; tu passes au réel, en TVA d'abord, puis sur le plan fiscal ( C.A >75 000 euros, cela va vite) et là … c'est une toute autre histoire parce que tu te prends sur la gueule les impôts, les charges sociales et les frais supplémentaires la première année. Et qu'il faut embaucher, acheter du matériel, vendre plus, plus cher, plus loin. Mais c'est un autre schéma, trop long à développer.
Je parle bien sûr de CREATION de domaine et non d'un domaine où tout est payé, tout amorti, avec des vignes régulièrement renouvelées,un réseau commercial déjà constitué, une image déjà construite, etc, etc.
Bon, voilà quelques réponse à vos questions, quelques éléments de réflexion qui vont en amener d'autres. Un peu long, pardon, mais après, je n'aurais plus le temps car on va décuver toute la semaine, puis dimanche dégustation à Saint-Bonnet le Froid, etc, etc. Donc, à l'avance, ne m'en voulez pas si je n'interviens plus.
Amitiés, à tous, Hervé