Bon, en ce long samedi pluvieux, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de me servir du "cas petite Sibérie" où "Clos des Fées" pour parler de choses plus générales qui, je pense,sont importantes pour le Languedoc-Roussillon.
Cher Philippe, le rendez vous est pris... Je propose de le faire sur 3 millésimes, 2001, 2002 et 2003, qui sera mis en bouteille dans le courant de l'hiver, où simplement sur 2002 si tu le souhaites. Reste à trouver le lieu. Vers Châteauneuf, ce serait parfait. C'est accessible de chez moi et rapide en TGV depuis Paris. Une condition cependant, on parle "plaisir", "sensation", "ressenti", "émotion" et non "classement" ou "notation". Ce qui n'empêchera personne de dire ce qu'il préfère, ce qu'il adore ou ce qu'il déteste. Y'a t'il des amateurs ?
Cher Eric, désolé, mais c'était (et c'est toujours...) un petit garçon
). Mais l'émotion était grande, pour moi comme pour vous, si je m'en souviens bien. La petite Sibérie 2001 et la 2002, c'est très différent, effectivement. Mais c'est bien comme cela et en général, on aime soit l'une, soit l'autre. Je ne vous ferai pas le coup du "un grand vin se juge à table" mais, avec ce vin, je n'ai jamais essayé d'impressionner qui se soit finalement. Qui aurait de toute façon misé sur un Grenache à ce prix ? Je ne crois pas jamais oser refaire 2001 (je ne sais d'ailleurs pas trop comment j'ai fait ni pourquoi ce vin a été et est toujours si impressionnant) mais 2003 devrait vous plaire. Et puis, à ce niveau de prix, un vin se juge sur 15 ou 20 ans. Celui-ci a le mérite d'être aussi très bon dès la mise, ce qui est le cas finalement de beaucoup des grands vins qui ont croisés ma route. Nous verrons combien se vendront les petite Sibérie 2001 dans une dizaine d'année et nous verrons qui en a gardé, qui les boit et qui les revend. Et nous relirons nos débats enflammés qui seront bien archivés quelque part sur le Web.
Cher Martinez, la petite Sibérie ne coûte pas beaucoup plus cher à produirre qu'une bouteille de Clos des Fées. C'est de notoriété publique, même avec de minuscules rendements, une exploitation "adulte" (attention, il faut au moins 20 ans si tout va bien pour y arriver) ne peut produire de vins à plus de 20 euros H.T. sortie de cave, sauf à descendre à moins de 10 hl/ha. La petite Sibérie, c'est autour de 13 000 euros/ha de coût de production, entrée du raisin dans la cave, comme mes autres vignes, ni plus, ni moins. Pour 2 400 bts sur 1,5 ha, environ. Tu rajoutes la vinif, l'élevage, la mise, les matières sèches, les amortissements, les frais financiers et les frais commerciaux. Et tu calcules. Donc, ce n'est pas les "investissements du producteur qui rendent le prix du vin irrrationel". C'est soit le prix du foncier (ce n'est pas notre cas
) soit, tout simplement, la demande, aujourd'hui mondiale, ce qui n'était réservé, il y a moins de 20 ans, qu'à quelques grands négociants bordelais ou bourquignons.
J'aime bien la notion de prisme "intellectuel" et de prisme "plaisir". On pourra en parler si on déguste à Châteauneuf...
Cher Jérôme, nous en avons déjà parlé, il ne faut pas à mon avis confondre le "prix" des choses et la "valeur" des choses. Comme me le disait l'un de mes clients, un extincteur, cela vaut que quelques dizaines d'euros. Mais si votre fils prend feu, quelle est sa valeur, alors, pour vous ?
Ceci dit, je vous suis reconnaissant de reconnaître, dans ton exposé, qu'AUCUN vin ne devrait coûter cher. Voilà qui est plus honnête que certains qui crient au scandale non parce que la petite Sibérie est chère, mais parce c'est un vin du L.R. cher... Nous vivons, heureux ou pas, dans un système capitaliste ou règne la loi de l'offre et de la demande. Pour ceux qui veulent pleurnicher sur les vins chers et sur l'injustice sociale, merci de le faire aussi pour les voitures, les appartements, les vêtements, les chaussures, les restaurants, etc, etc. Moi, une paire de Nike à 150 euros, fabriquée en Chine à des millions d'exemplaires par des ouvriers exploités, ça me gène un peu plus que les vins chers. Parce que eux, ils n'ont pas le choix. Je n'ai jamais eu beaucoup d'argent dans ma vie, mais, devant une grande bouteille, je me suis toujours dit : "un jour, j'espère avoir la chance de le goûter » ; et non pas : "ce prix n'est pas social, (sous-entendu : parce que je n'ai pas les moyens). Alors, si je ne peux pas y goûter, je préférerais que personne ne le puisse. Donc, il faut supprimer ce vin". On s'arrête là sur la politique ou la sociologie, ce n'est pas le thème du sujet. Encore que...
Malgré ses faibles ressources, Vincent a lui un comportement de vrai amateur de vin : il espère simplement pouvoir goûter ce vin à l'aveugle. Non parce qu'il n'a pas (pour l'instant) les moyens de se l'offrir mais parce qu'il souhaite être DETACHà‰ pendant la dégustation. S'il se débrouille bien, cela devrait être assez facile car, finalement, lorsqu'on aime vraiment le vin, il est peu de bouteilles que l'on ne partage pas un jour ou l'autre. Les témoignages abondent sur LPV. Combien en ai -je ouvert pour des amateurs désargentés qui passaient au domaine ? Et puis, la petite Sibérie, c'est 160 euros en primeur. A dix, cela fait 16 euros le verre. Soit un bidon (petit) de super, un CD ou un mauvais croque monsieur à la terrasse d'un bistrot sur les champs-élysées. Est-ce si hors de portée que cela ?
Je n'ai jamais dit pour autant que la petite Sibérie DEVAIT ou NE DEVAIT PAS valoir un quelconque prix. Comme tout le monde en voulait, je l'ai simplement mise au prix d'un premier cru classé de l'époque (depuis, ils ont bien augmenté...). Le marché a fait le reste. En avais-je le "droit "ou pas comme certains s'évertuent à me le reprocher ? Je ne me suis pas posé la question longtemps, c'est mon caractère. C'est la demande qui en a fait le prix (sans en changer pour autant la valeur, qui varie selon chaque dégustateur, nous sommes bien d'accord) et qui en fait toujours le prix d'ailleurs, puisque je vais avoir de la peine à garder des 2002 après avoir épuisé les 2001.
Si fixer un prix élevé pour provoquer la demande sur un vin suffisait, je suis certains que nombres de mes confrères s'engageraient dans cette voie, surtout ceux qui sont en train de mourir sur place faute de rentabilité. Néanmoins, je n'ai nulle honte à l'avouer : oui, il manquait un vin un peu "luxieux" au Languedoc-Roussillon ; oui, j'ai pris cette place parce que j'avais, en toute honnêteté, dans ma conviction intime de dégustateur, de sommelier, de vigneron et de journaliste, un vin extraordinairement différent. Son prix, il ne le méritait de ni plus ni moins que certains autres vins du monde vendus biens plus chers et toujours produits en bien plus grandes quantités. Oui, ce vin est et restera longtemps polémique. Mais, même si un jour je n'en fait plus (parce que je ne le vendrai plus, tout simplement), je pense que cela aura été bien pour les vins Languedoc-Roussillon qu'un tel vin à un tel prix existe. Et que ce soit un Grenache. Et que ce soit une parcelle unique et non un vin de marque ou d'assemblage, car je pense que nous avons nous aussi une carte à jouer en cherchant et en trouvant de grands terroirs à la géologie ou à la climatologie unique, comme en Bourgogne. Et que comme en Bourgogne aussi, plus on monte en prix, plus on soit "fin", je te rassure, je prends ça comme un immense compliment, surtout de la part d'un autre vigneron dont j'apprécie les vins et le travail et que dont je regrette de ne pas avoir eu le temps de goûter le vins ce jour là . Car c'est en cela que les amateurs, fortunés ou non, se retrouvent souvent sur cette bouteille : pour louer son raffinement, sa texture, sa finesse, sa complexité et non sa "phénoménale concentration". Les « dark » et les « deap » n'ont pas leur place ici. Et, pour le L.R., je trouve que c'est une chance extraordinaire.
A oui, puisqu'on en parle, on notera que tout cela s'est fait SANS notes de R. Parker. Alors que l'on arrête de dire que sans lui et en dehors de son goût, il est impossible de faire ou de vendre du vin.
En tant que vigneron et chef d'entreprise, j'avoue mais alors sans aucune honte que la petite Sibérie me permet enfin (pourvu que ça dure !), de travailler dans les vignes comme j'en ai toujours rêvé et comme tous les vignerons passionnés en rêvent. Un peu plus de 20 ha, 7 personnes équivalent temps plein, un chenillard + un bon tracteur pour labourer, sans doute l'année prochaine un emjambeur pour traiter, des travaux en vert quand je veux ou presque, la complantation des vieilles vignes en massale, des hautes densités, la sauvegarde des murets, des haies, des vieilles vignes en coteaux, la plantation sur échalas, les petits rendements, la culture sans produits chimiques, tout cela et bien d'autres choses me sont aujourd'hui permises ou envisageables. Ce n'est pas le cas de beaucoup de mes voisins, et j'en suis navré pour eux. Sans parler de la cave, petite mais bien équipée, des barriques neuves, des habillages : pouvoir me permettre cela en à peine sept ans, en étant parti de rien, voilà qui me rempli de joie et de fierté. Et c'est cette valeur ajoutée, qui, sans aucun doute, me permettra de progresser encore dans la qualité dans les années à venir (et non de monter une équipe de polo), et, je l'espère de tenir mon rang dans un monde viticole ou faire de grands vins coûte de plus en plus cher, parce que le niveau est de plus en plus élevé et parce que les dégustateurs sont de plus en plus exigeants. De plus, depuis cette année, ma femme et moi avons pu arrêter nos métiers annexes et nous vivons de notre travail. Pas très bien, mais après sept ans d'horaires hallucinants, de bancos permanents, de paris insensés, d'endettement qui font peur, devrais je en avoir honte ? Non, et j'espère même en vivre mieux dans les années qui viennent, disons au niveau d'un bon cadre supérieur comme il y en a des centaines de milliers en France et qui ne risquent pas de tout perdre chaque année juste parce qu'ils prennent des risques et ne sont pas obligés de se remettrent en question tous les jours. Les vignes ici ne dépassent toujours pas 10 000 euros/hectare et on trouve des pioches sans difficulté : au lieu de critiquer le prix des vins du L.R., certains ferait mieux, comme ma femme et moi, de vivre leur passion jusqu'au bout et de venir faire un peu d'atomiseur à dos sur les pentes !
Chacun est libre, que je sache, de préférer un Grenache à 5 euros à la petite Sibérie comme l'a écrit une célèbre journaliste anglaise. à€ chaque vigneron de fixer librement le prix de ses vins. à€ chacun de les acheter ou non. Et loin de moi l'idée ou l'envie de me justifier. J.F. Nicq, dont la prise de risque me bluffe et dont j'admire le courage, a choisi de communiquer sur leur bas prix (c'est bon parce que c'est pas cher ?) et sur le fait que cela lui "suffisait pour vivre" comme je l'ai lu un jour dans la RVF. Comme certains qui se lancent en Roussillon dans le difficile et semé d'embuches métier de vigneron, je lui souhaite de continuer longtemps à profiter du forfait agricole (pas de charges sociales, pas de TVA, pas d'impôts sur le revenu, pas de comptabilité), de ne pas se casser une jambe, de tout vendre en direct, de ne pas avoir d'impayés, de ne pas avoir une cuvée un peu trop "vivante" qui lui revienne sur les bras, de ne pas rater un millésime et que sa femme ne se lasse pas de ce genre de vie en plein air. Parce que sinon, je crains que son entreprise ne lui survive pas.
Bon, je dérive un peu mais le débat est intéressant. Amitiés à tous
P.S. : je n'imagine pas un instant, Jérôme, que tu me cires un jour les pompes. Pourquoi donc, d'ailleurs, le ferais tu ? Ton avis est toujours argumenté, contrairement à certains un peu trop "instinctifs" pour l'ancien journaliste que je suis. Je sais que, au fil du temps, tu en changes parfois et que tu le dis. Que demander de plus à un amateur de vin ?
P.P.S : sur les millésime 78 et 90, la Tâche m'a fait faire ouahh ! Sur d'autres millésimes, j'ai poussé un autre genre de cris. Tu vois ce que je veux dire ?