CR:Il y a de nombreuses façons d'aborder un dimanche à la campagne.
Entre 6 et 13 ans, on parle des heures avec les vaches, les lapins et les moutons. Si, dans un premier temps, on se satisfait d'un dialogue limité, on en déduit rapidement que la campagne, c'est comme une maison de retraite : les sonotones ne fonctionnent pas, ça sent l'urine et on y rumine à longueur de journée.
De 13 à 18 ans, la campagne, c'est trop nul, c'est un truc pour les vieux. Ou les parisiens... En plus, y'a même pas la TNT. Il y a bien de l'herbe, mais elle ne se fume pas. On s'y emm... à mourir avec des parents vraiment trop c.. jusqu'à ce qu'une juppe légère virevoltant sur un vélo nous obsède plus que le gros Massey-Ferguson qui nous réveille à 6 h 00 «
parce que c'est la moisson, mon ga ' ! ».
A 18 ans, on va faire un tour dans le foin avec la p'tite blonde de la ferme d'à côté, au risque de prendre du plomb dans l'c... par le père Anselme. Pas parce qu'on s'est déniaisé avec sa fille - passe encore – mais parce que des bouteilles de « dur » et de calva manquent dans la grange. Et ça, en Normandie, ça pardonne pas. La p'tite jupe a bien du talent et nous fait découvrir des choses insoupçonnées.
Les dimanches à la campagne peuvent être encore plus voluptueux que les mauvaises Kro descendues le samedi soir avec les copains, mais ça... on ne le sait pas.
Et puis, un jour, la campagne s'éloigne jusqu'à ce qu'un ami vous y invite.
Bon. Ce n'est pas la campagne de chez campagne, mais tout concoure à croire qu'on y est : un vaste jardin, un grand potager, quelques bâtiments, une jolie maison, la douceur et le calme d'un après-midi de mai, tout juste ponctués par les cris des enfants et les rires des grands.
Finalement, les copains, c'est un peu comme la famille. Il y a ceux d'un jour, ceux de circonstance, ceux de toujours, ceux choisis, ceux subis. Comme le chantait Renaud, on choisit ses copains, mais rarement sa famille. C'est vrai ! Mais comment faire quand les copains deviennent presque une nouvelle famille ?
C'est la question que je me suis posée en revenant de cette nouvelle après-midi passée chez Pierre. Je me rends compte que les dimanches LPViens remplacent désormais les baptêmes et les repas de communion. Que j'ai plus vu en 2 ans les amis de dégustation que mes pourtant bien-aimés cousins. Que j'attends désormais le repas avec ma bande de joyeux cinglés comme une victoire du XV de France. (c'est long, hein ?
)
Avec ma famille normande, c'est désormais bien plus qu'une question de dégustations. C'est une belle amitié construite sur la franchise, l'honnêteté, l'humilité et l'humour potache. Une vie toute simple dans laquelle nos dégustations collectives sont autant de repères, de phares et de balises qui indiquent la direction à suivre et qui illuminent mon quotidien.
Ce dimanche, la sélection était des plus éclectiques avec, pour mètre-étalon, pour référence ultime, comme
Grand Timonier ou
Soleil radieux des papilles un seul grand cru classé. C'est tellement rare, que cela mérite d'être souligné. Buveurs d'étiquettes les Normands ?
1er vin :
couleur jaune paille, nez très agréable, classique, sur la brioche chaude, bouche très agréable avec une bulle fine. Le
PETRAEA de
FrancisB est, une nouvelle fois, convaincant !
2e vin :
couleur jaune très clair, à reflets citron. Très beau nez, minéral, tendu à souhait, avec des notes grillées. La bouche est grasse, volumineuse, sur des notes de beurre frais et de noisette fraîche.
Le
Saint Aubin 2007 « En Remilly » de
Pierre-Yves COLIN-MOREY frappe fort !
Survolté par le contenu de son verre, Gildas se lance dans une imitation tordante de Philippe Manoeuvre. On s'y serait cru ! Vocabulaire
(« Ouaaaiiis ! Tu vois ? En fait euuuh, ton vin est à se taper la têêêête contre les muuuurs et à se mettre les doigts dans la prise-eu ») et apparence physique (c'est fou ce qu'une paire de Ray-Ban peut-faire !) : notre Gildas peut désormais se lancer dans le show-biz; une carrière lui est assurée.
3e vin :
Offert par Franck, notre Docteur ès-Sancerre, le
sancerre Nuances 2007 de
Vincent PINARD envahit nos verres. D'une couleur jaune très pâle à reflets verts, il surprend avec son nez exubérant dans lequel priment l'abricot (étonnant !) et de classiques notes citronnées. La bouche me convainc moins. La note végétale, le fameux poivron mis en lumière par Séverine(tu), m'empêche d'apprécier cette bouteille à sa juste valeur. Donnons lui du temps et revoyons-le plus tard.
Ce vin fait débat : Didier avoue en avoir une demie-molle. Nous ne trouvons pas ça très... Flatteur.
« Tu préfères que ta femme te dise que tu as une demie-molle ou une semie-dure? » interroge Franck.
Face à cette question imparable, nous préférons - et validons tous - la semie-dure et attaquons le 4e vin.
4e vin :
La couleur est d'emblée plus évoluée. Le jaune pâle fait désormais place à un beau jaune citron. Mais le nez est incroyablement réduit, diffusant des odeurs de camembert, voire de cancoillotte comme l'a judicieusement dit Gildas. Le vin valse dans les verres pendant plusieurs minutes et révèle, finalement, un caractère bien affirmé. Le nez propose des notes fumées, confirmées par une bouche ample et bien construite offrant également une petite pointe de champignon frais. L'acidité bien persistante rend le vin vivant et probablement apte à quelques années de garde supplémentaires. Une belle bouteille finalement que ce
Corton Charlemagne 2002 du domaine
DUBREUIL FONTAINE.
5e vin :
La couleur, jaune paille, est moins appuyée que celle du Corton-Charlemagne. Mais le nez est d'une classe folle, très minérale. Ce vin a été fait sur la Lune, je vois pas comment il pourrait en être autrement !
Une note iodée, très présente, nous oriente vers Chablis, mais c'est bien d'un
Auxey-Duresses 2003 du
Domaine D'AUVENAY dont il s'agit. On a vraiment l'impression de « bouffer » du caillou. La finale, longue et gourmande achève de convaincre de dégustateur. La première bouteille dégustée m'avait moins convaincue. Force est de constater que l'adage est une nouvelle fois vérifié :
il n'y a pas de grands vins, seulement des grandes bouteilles.
6e vin :
Il est désormais temps de passer aux rouges et Pierre nous propose une transition intéressante en servant le
Morey Saint Denis premier cru 2004 « Aux Charmes » du
domaine TORTOCHOT. Evénement plutôt rare, cette bouteille n'est pas dégustée à l'aveugle.
La robe est déjà évoluée, offrant des nuances grenat dans une livrée rouge sombre. Le nez est fidèle à ce que j'ai goûté en 2004 : un peu vert, un peu lierre, géranium, pois cassé mais... mais... mais, avec une petite note florale des plus avenantes associée au cassis et à la fraise des bois.
La bouche est conforme à l'idée que je m'en faisais : les notes végétales s'imposent au fruit et les tanins sont un peu raides, malheureusement. Pas enthousiasmant, mais pas mauvais non plus. Et une déception de plus avec 2004.
Nous attaquons un nouveau match.
Le
7e vin se livre dans une couleur bigarreau soutenu, très foncé. Le nez n'annonce rien de transcendant, hormis une peu de fruits rouges et de discrètes notes de kirsch.
Très gourmande, la bouche révèle un beau travail d'élevage. La finale, opulente, fait de ce fin une véritable gourmandise en devenir.
Le
Gevrey-Chambertin vieilles vignes 2005 de
Denis MORTET est civilisé et prometteur.
8e vin :
Par contre et n'en déplaise à son propriétaire,
mes cinq terroirs 2004 du même
Denis MORTET ne joue absolument pas dans la même cour.
D'une robe plus évoluée, ce 2004 reste... un 2004. On pourra tergiverser, parler, débattre, discuter : pour moi c'est une nouvelle fois géranium, lierre et purée de pois cassés.
« Oui, mais tu ne tiens pas compte du terroir » me rétorquera-t-on.
Terroir ? Mon c... ! Répondrai-je poliment. C'est un 2004 'pis c'est tout !
On aura beau me dire que je suis sévère, chacun pourra me blâmer, je resterai stoïque et campé droit dans mes bottes : Depuis que j'en goutte, les 2004 bourguignon m'ont déçus, déçus, déçus...
Alors passons à autre chose et allons-y pour le
9e vin :
Ouh-là ! Mais c'est que ça pivoine dur là-dedans ! Fine note florale, un peu de rose, des épices douces et le traditionnel poivre... C'est une syrah, ça c'est sûr !
Couleur rouge très sombre, presque noire.
La bouche est à l'unisson. Bien bâtie et dotée d'un bel équilibre, sapide et gourmande, Ce
grain syrah 2007 de
Marie-Thérèse CHAPPAZ écrase sa concurrente de toute sa classe.
Le
10e vin est mo-no-vi-ni-que ! D'une couleur encore plus noire que la syrah chappazienne, ce vin ne délivre que de très rares effluves de fruits noirs (mûre dominante). la dégustation comparative le désavantage énormément tant le Valaisan paraît distingué à côté d'un vin que la table juge lourd, massif, alcooleux.
Verdict :
Domaine du clos des fées, cuvée
« se libérer du connu ».
Didier nous demande ce que nous en pensons :
No comment.
11e vin :
Annoncée comme un coup de coeur, c'est justement le coeur battant que je présente ma bouteille à l'assemblée. Goûté dans mon verre, le
Pauillac 5e Grand Cru Classé du Château Croizet Bages est tout... sauf bon ! Mais ça... Ils ne le savent pas encore. Ou plutôt si : il le savent depuis longtemps, parce qu'ils ont lu LPV, mais ils ne s'attendent pas à ce que je leur fasse un coup pareil.
Je fais le tour de la table et délivre le divin elixir de façon perfide, avec le sourire et l'air du gars vachement content
"de faire découvrir à tout le monde sa jolie découverte à un excellent rapport qualité/prix".
Les nez plongent dans les verres à la recherche de l'heureuse surprise. Regards torves, mines déconfites, oeils embués... j'en vois même un essuyer une larme.
"Ah ! ça pique, hein" ?
Personne ne dit mot, hormis Gildas qui, d'un seul coup, semble avoir retrouvé toutes ses capacités olfactives !
« ça sent l'cabernet, ça ! On est dans le Médoc » !
Boudiou ! Pour un médoc, c'en est un ! Terminées les inhalations d'eucalyptus, les médecins prescriront désormais de bonnes inspirations de Croizet-Bages. Les tennismen pourront également s'en envoyer une petite giclée dans les naseaux ; il n'y aura aucun risque au contrôle anti-dopage et ils seront remontés comme des coucous grâce à l'action stimulante des acides.
Les cobayes ne savent pas trop sur quel pied danser. Pour les uns, c'est un peu en retrait, pour les autres, c'est un bordeaux. Mais qui n'a rien à voir avec ce que nous venons de déguster. Bien les gars !
A me voir me pincer les lèvres, Gildas comprend qu'il s'agît d'un canular :
« Oh le salaupiaud ! Non ? Il ne l'a pas fait ? Croizet Bages 2000 ! » lance-t-il !
AaAarrrggghhh !
Didier et Franck se concertent : pour l'un, c'est un bon vin de table. Pour l'autre, ce n'est pas un grand cru classé. Seul Pierre, par charité, reconnaîtra
« qu'il n'est pas si mauvais que ça ». Sorti de sa bouche, cette phrase laconique me fait autant d'effet que si on m'annonçait « Perpétuité, assortie de 30 ans incompressibles ». Il va falloir sortir le grand jeu si je veux continuer à fréquenter la table du
Grand. Une belle andouille de Guéméné devrait faire l'affaire.
Je plonge dans une profonde déprime : tous s'accordent à dire que ce vin dénué de structure n'a pas de complexité, qu'il est végétal. Seule une petite pointe de pruneau le sauve d'un naufrage trop rapide. Mais naufrage il y aura puisque personne ne souhaitera le regoûter. Et ça... ça... En Normandie, ça ne trompe pas.
Quand même...
Je faisais le parallèle entre la famille et les amis. Je pensais, en débutant mon repas chez Pierre, avoir trouvé une nouvelle famille, des proches sur lesquels compter, confier mes doutes et mes espoirs, voire partager de belles bouteilles. Et me voilà en compagnie de personnes qui ne savent pas comprendre la magie d'un grand cru classé. On veut faire plaisir et rien. Nada. Aucune reconnaissance.
Ah ça, pour la syrah, y'a du monde, hein ? Mais dès qu'il faut saisir l'essence même d'un terroir, percevoir sous une profusion de fruit la magie des fines graves du Günz et du Mindel3, là : y'a plus personne !
On fanfaronne en soirée dégustation, on bombe le torse devant Jean-Luc Pouteau, mais face à une analyse complète d'un élégant Pauillac, on est abonnés absents !
Ça m'apprendra à vouloir faire plaisir.
Le
12e vin se présente dans une robe jaune pâle encore assez jeune. Bien que très beau, le nez de cette cuvée n'a rien à voir avec MON Croizet Bages.
L'ananas et le citron jouent une jolie partition sans lourdeur ni mazout. Aucune note pétrolée n'accompagne la cuvée
Frédéric Emile 2002 du
Domaine TRIMBACH. Aérienne, elle délivre une bouche bien construite, vive mais pas tranchante à cause d'un chouïa de sucre résiduel. C'est un style... J'aurais aimé un peu plus d'acidité, comme dans Croizet Bages. C'est bon, mais ça ne vaut pas mon Pauillac.
-
Le
13e vin est servi en parallèle avec le
14e vin. Il se dévoile sous une belle robe jaune dorée. Le nez propose du miel, de la cire, des agrumes. La bouche est à l'unisson, proposant un sucre contenu, une belle saveur sur l'orange amère (osmose avec Franck sur ce coup-là
-D) et un peu d'amertume. La finale s'achève sur le safran.
Rayne-Vigneau 99 se révèle classique et sans surprise, comme Croizet-Bages.
14e vin :
Moi, quand j'offre une belle bouteille à mes amis ou à ma famille, je m'arrange pour qu'elle ne soit pas bouchonnée. J'ai au moins ce respect là. Alors on pourra toujours épiloguer sur la couleur dorée de
Guiraud 99 et sa structure prometteuse, mon 5e cru classé n'avait pas de TCA, lui ! D'ailleurs, il n'avait rien du tout...
Devant partir de bonne heure, je suis passé à côté du
15e et denier vin ; la
cuvée Madame 2001 de
Tirecul la Gravière. C'est dommage parce que s'il y avait bien une bouteille qui pouvait souffrir la comparaison avec qui vous savez, c'était elle !
J'ai néanmoins été frappé par la richesse phénoménale de cette bouteille. On sent que le raisin est « confit ». C'est une essence de raisin de corynthe, complexe et puissante, soulignée par la cassonade. Très très belle bouteille qui devrait élégamment se marier avec une tarte fine à la rhubarbe.
Tiens... ça me donne une idée pour recevoir la famille le 20, ça. Mais vu l'accueil qui lui a été réservé, ne comptez pas sur moi pour sortir un Croizet-Bages.
Vincent