Bonjour à tout le monde.
Nul ne contestera le droit à chacun – il ne manquerait plus qu’il en aille autrement d’ailleurs, de ne pas galvauder son petit trésor constitué de crus anonymes ou illustres.
Le fait de les avoir pour certains avidement recherchés et enfin acquis, en ayant réalisé peut-être une bonne affaire, quand d’autres auront été savourés dans des circonstances heureuses, ou sur un coup de foudre, etc…, donne à ces crus encavés une valeur sentimentale forte, sinon primordiale. Plus que la valeur économique d’une cave de vins estimables, fût-elle constituée de seules grandes étiquettes, c’est davantage le sentiment de détenir par devant lui de profonds moments de bonheur et ces parcelles de noblesse terrestre que doit privilégier tout amateur digne de ce nom.
D’une manière générale, le bonheur ici bas n’est pas toujours aussi intense, permanent et abondant qu’espéré, et il lui arrive selon les circonstances d’être bien variable voire insaisissable. Mais l’homme de goût par définition fin et sagace, sait se prémunir des affres de la vie courante et s’autorise à dessein ces instants de plaisirs qui lui favorisent l’existence. Dans cet esprit, pour le sujet qui nous intéresse, il accumulera nombre de crus sur lesquels il spéculera « verre en tête » avant leur partage final dans des conditions propices.
Qu’il en déguste une majorité au mieux de leur forme, c’est probablement certain. Personne ne sera par contre étonné qu’il demeure encore trop de ces trésors que l’on n’ose déboucher en raison de leur rareté, de leur prix, de leur prestige, parce que l’on se trompe sur leurs supposées qualités, ou parce tout simplement on croit que ces qualités vont se développer davantage, etc…
Je ne suis moi-même pas exempt de reproches similaires. Je diffère l’ouverture de flacons attendant une occasion idoine, pour un moment exceptionnel, parce qu’ils m’intéressent moins, etc…, tous prétextes, j’ose le dire futiles, qui me font passer à côté de fringantes splendeurs. Alors que ces beautés évoluent j’imagine plaisamment, je me satisfais de crus secondaires (il n’y a là rien de péjoratif) ou plus jeunes, et me renferme dans des référents gustatifs qui au contraire devraient s’enrichir d’expériences nouvelles. N’est-ce pas dommage ? Jusqu’au terme où bien entendu ces bouteilles dont certaines d’exception, auront rendu l’âme !
Alors comme le vin est destiné à être apprécié en boucle - dans la tête et verre en main, il est infondé d’en différer sa dégustation lorsqu’il est à point pour cela. On peut accorder sa préférence au développement abouti d’arômes tertiaires, comme il est possible d’en privilégier un fruit plus vibrant. Même si son apogée est à priori dépassée, un bon cru a encore un message à exprimer et une émotion à transmettre avant sa mort, ai-je cru comprendre sur ce forum. C’est un thème récurrent cher à une poignée d’amateurs avertis. Chapeau à eux de battre le rappel de cette réalité. A charge pour moi de me souvenir de la pertinence des propos tenus, et de profiter au cas par cas, en temps et en heure de mon fugitif « trésor » avant qu’il ne soit trop tard.
J’en ai personnellement fait l’expérience samedi soir dernier en dégustant un Hermitage 86 élaboré par la maison Guigal. Dans le cas présent, le terme de trésor paraîtra exagéré, j’en conviens. D’une couleur sombre de bonne tenue, ce vin là présentait à son ouverture une fort jolie odeur de gras bien compatible me semblait-il avec le rôti de porc, rustique mais amoureusement préparé qui suivait (délicieux avec ses oignons grelots fondus et cette gourmande purée de pdt qu’on servirait presque aussi au dessert – pas de sarcasme svp !). A la différence du nez, élégant somme toute, la bouche s’est avérée dans un premier temps désagréable par son amertume, son manque de charme et sa petitesse. Mince, la guigne. Des qualités éparses, sans cohérence. Zut, le vin est-il passé ? Puis au bout d’une heure environ, les divers éléments de cette bouteille se sont stabilisés enfin, pour donner certes pas le grand frisson, mais assurément pour offrir une plaisante harmonie. J’ai ressenti ce que j’attribue être de la race et apprécié finalement ce flacon abandonné qui m’avait d’abord irrité et fait froncer le regard. Une bouteille en fin de compte goûteuse, assez complète. N’est-ce pas là l’essentiel ?
J’avoue m’être servi de cet exemple – mineur, pour en rechercher le message et cette émotion si difficiles à cerner quoi que l’on prétende. Si cette expérience n’a pas été un grand soleil intellectuel, l’approche gustative s’est faite sans trop de peine. Elle a surtout eu pour mérite de me rappeler au bon sens souvent perdu de vue: quel que soit le niveau du cru dégusté, il convient de ne jamais en banaliser et ses sensations gustatives, et si possible son évaluation spirituelle (expression du sol, des cépages, souvenirs, évolution du cru, et autres images subliminales personnelles,...).
Je peux me tromper, mais je pense qui si on souhaite grandir en matière de dégustation de vins et de mets, il faut en multiplier les expériences et s’affranchir d’idées préconçues. Facile à dire, me rétorquerez-vous ! Cela passe il faut s’en convaincre malgré tout, par l’ouverture de ces vénérables crus, roturiers ou nobles peu importe, qui n’ont d’autres raisons d’être que d’apporter un plaisir multi-formes et parfois irradiant, après leur juste période de repos. Qui plus est, ces crus dont on a spéculé sur le bonheur qu’ils offriraient un jour sont une bonne thérapie au marasme quotidien et un bienfaisant oxygène moral. Alors pourquoi s’en priver et les attendre exagérément ?
Si j’osais, je vous inviterais à ouvrir vos vins de Conti, de Pécharmant, des Côtes de Toul, d’Egon Müller,…sans trop tarder. Je sais que vous en avez plein ! Allez que diantre, à vos tire-bouchons, sans regrets! Je prévois de mon côté de remonter samedi du sous-sol un Musigny De Vogüé 85, ...si toutefois les conditions de sa dégustation s’y prêtent. Vous admettrez que ce n’est pas là un sacrifice inconcevable.
Qu’est-ce qui dort chez vous que vous ne vous résignez pas à ouvrir et pour quelles raisons, s’il vous plaît de répondre à cette anecdotique question ?
A vous lire, avec plaisir bien sûr. Cordialement.