Alfonso,
Les conditions d'entrée aux Dîners des Belges et Assimilés (DBA pour les intimes) sont draconiennes. La sélection est sévère et impitoyable, de nombreux internautes s'y sont déjà cassés les dents. Il y a tout d'abord un examen médical qui s'assure de l'absence de trouble hépatique et de tendinite du coude, pathologies rendant difficile l'exercice de la dégustation en série. L'examen est relativement sommaire s'il s'agit d'un homme un peu bedonnant, signe majeur d'appartenance au groupe, mais sera par contre très approfondi s'il s'agit d'une jeune femme blonde à forte poitrine.
Après la sélection médicale, le plus difficile reste à faire, car nous devons déterminer le profil de dégustateur du candidat. Il faut en effet que nous soyons certains de ne pas être infiltrés par un membre d'une des deux sectes les plus néfastes qui soient, j'ai nommé celle du GCOJ (le Grand Complot Oxydatif Jurassien, vénérant le tristement célèbre gourou Olif) et celle, plus pernicieuse encore, du MITM (le Mouvement Intellectuallo-Terroiriste Murisaltien) dont le grand gourou, récemment échappé d'un centre psychiatrique, court toujours. On dit que lui et ses adeptes auraient leur propre forum, heureusement très confidentiel, et qu'il a tenté de multiples incursions sur nos terres sous de fausses identités afin d'y semer la zizanie. Heureusement, il s'est toujours fait rapidement repérer grâce à la façon toute particulière et qui n'appartient qu'à lui d'utiliser les règles de l'orthographe et de la ponctuation.
Le test le plus important consiste à déguster trois vins et à observer les réactions du candidat.
La première bouteille est un vin blanc issu d'un célèbre vignoble ligérien. Si le candidat s'extasie devant la profondeur de la robe aux reflets évolués, la complexité toute particulière du nez exprimant au mieux le merveilleux terroir dont il est issu, la grandeur de la bouche dont la pureté ne peut être obtenue qu'en suivant à la lettre les principes du bon Rudolf Steinert, son cas est mal engagé. Par contre s'il s'écrie : "qu'est-ce que c'est que cette merde toute oxydée ? On dirait un mauvais vin du Jura !", sa candidature retiendra toute notre attention.
La deuxième bouteille provient d'un terroir Bourguignon prestigieux, bien entendu classé Grand Cru, soigneusement sélectionnée dans la grande surface la plus proche, selon des critères qui nous sont propres. Elle est simplement posée, étiquette découverte, devant le candidat. Si, à la vue de l'étiquette et du nom prestigieux qui y figure, il commence à nous débiter l'histoire de ce grand terroir, de l'époque des moines cisterciens à nos jours, s'il est capable de définir avec précision la position, l'orientation et la déclivité des rangs de vignes dont le vin est issu, s'il peut nous réciter sans se tromper et sur quinze générations les différents descendants des grandes familles bourguignonnes, s'il tombe en pamoison devant l'extraordinaire complexité retenue du nez, la rigueur et l'austérité de la bouche, dont la grandeur ne peut être comprise que des véritables initiés, nous lui montreront la direction de la porte de sortie à grands coups de pompe dans le cul. S'il prend simplement la bouteille pour se servir un verre, le déguste en faisant une grimace, gencives rétractées, recrache instantanément et cours dans le jardin pour arroser la pelouse avec ce qui reste de la bouteille, alors il sera pratiquement des nôtres.
La troisième et dernière bouteille est un vin de table, répondant au doux nom de Léonie. On explique vaguement au candidat que le cépage dont ce vin est issu se nomme carignan, et on observe sa réaction. S'il rechigne à s'en servir un verre en nous disant qu'on ne peut tout de même pas lui faire boire une horrible piquette issue d'un cépage incapable de donner quoi que ce soit de buvable, de fin et de noble, si, après l'avoir dégusté, il reste sur ses positions en affirmant qu'il s'agit d'un vin lourd et indigeste, à l'alcool brûlant, qui n'a aucun avenir, comme tous les vins du sud d'ailleurs, et qu'il invoque pour sa défense les écrits de Michel Bettane, il sera immolé sur place. Par contre, si sa curiosité est piquée au vif, s'il se montre capable d'émerveillement devant la caresse satinée et alanguie d'un grand vin sudiste, et qu'il termine à lui seul la bouteille en nous implorant de pouvoir lui aussi admirer la robe et les belles jambes de Sylvie et s'enivrer de ses parfums envoûtants, alors son cas sera comme celui de chacun de nous désespéré, car il lui sera dorénavant impossible de manquer le moindre DBA dans les vingt ans qui viennent.
Luc
PS : Alfonso, rassure-toi, si tu as compris la moitié de ce que je viens d'écrire, et si cela a su te faire esquisser un sourire, alors il n'y a pas de doute, tu es le bienvenu parmi nous. Va dans la rubrique DBA VII, dis-nous si la proposition t'intéresse, il y aura toujours une place pour un passionné de plus.