« La Grange des Frères » est le nom dont nous avons baptisé notre petit groupe d’amateurs, en hommage à un domaine dont nous aimons les vins et où nous avions reçu un accueil inoubliable à l’occasion de l’une de nos premières visites dans les vignobles.
« La Grande Boucle » est ici utilisée pour qualifier la dégustation proposée à ces amis à l’occasion des mes trente ans. L’idée étant que chaque bouteille provienne d’une région spécifique (sans revendiquer une quelconque exhaustivité…et nous n’étions que 6). J’ai décidé de ne présenter que des millésimes en « 9 », clin d’œil à mon année de naissance et à ma fille Romane née en 2009.
La dégustation se fait sur deux repas, les vins sont initialement servis à l’aveugle en carafe, afin que les premières impressions de mes amis ne soient qu’en rapport avec le plaisir apporté par le contenu, avant la plus ou moins bonne surprise de découvrir le contenant.
Le tour de France débute en Champagne, avec un
Dom Pérignon 1999, à la robe jaune clair, à la bulle bien fine et au nez brioché classique, un peu grillé, assez « vineux » en bouche. Peut-être mériterait-il de jouer un autre rôle que celui d’apéritif, ceci dit d’autres cuvées moins renommées de Champagne m’ont déjà paru plus expressives et convaincantes.
Sur des brochettes de St Jacques accompagnées d’une crème de lentilles vertes, nous passons à l’Alsace avec un
Clos Sainte-Hune 1999. La robe est limpide, jaune paille. Le nez, d’une grande finesse, mêle des notes de citron à de subtiles touches pétrolées. La bouche est tranchante mais sans excès d’acidité, une impression un peu « pierreuse » se développe longuement en rétro-olfaction…Et si ce vin incarnait l’image de la minéralité tellement reprise actuellement ? Sinon, je n’ai toujours pas saisi le concept. En tout cas une vraie rencontre, un vin subtil, de grande classe, mais peut-être plus à « aller chercher » que dans le plaisir spontané.
Pour accompagner une côte de bœuf grillée et un écrasé de pommes de terre, nous commençons par un
Pommard Clos des Epenaux 1989 (Comte Armand) qui m’avait paru fermé lors du carafage, mais les copains me démentent en plongeant leurs nez dans les verres : « - ça pinote ! » Le vin est sombre et s’exprime sur les fruits mûrs et une petite touche animale, en bouche l’attaque est franche, on retrouve de la rondeur, il reste des tanins et une matière charnue. Nous pensons tous qu’il pourrait vieillir et se bonifier encore sur plusieurs années. L’appellation du vin suivant, un
Haut-Brion 1979, sera rapidement identifiée tant l’arôme de fumée est caricatural. Le vin présente une frange assez tuilée, et ce nez empyreumatique écrase tout. Cela s’estompera un peu avec l’aération mais rendra toujours difficile l’approche de notre premier Haut-Brion...
Sur un vieux comté, le
Château-Chalon Jean Bourdy 1949 épate même les plus réfractaires aux vins du Jura. Cette bouteille, la doyenne de la dégustation, nous rappelle que la seule matière organique qui peut ainsi s’améliorer avec le temps, c’est le vin. La robe est somptueuse, fauve aux reflets brillants ; le bouquet sur des notes torréfiées, la noix, les épices, le souk ; la bouche toujours fraîche se prolonge en une longueur impressionnante.
Mais déjà les yeux sont intrigués par la belle couleur miel du
Tirecul-la-Gravière cuvée Madame 1999, qui participera au meilleur accord de la journée en compagnie d’un dessert dont la recette figure sur le blog du domaine et sur celui d’Eric B., à savoir une verrine de coulis de mangue et mousse au chocolat blanc. C’est frais et fruité, à l’image de ce vin pourtant d’une liqueur et d’une puissance fantastiques. Il est difficile de savoir si les juteuses notes de fruits exotiques proviennent du verre ou du dessert, quoi qu’il en soit c’est sur cet équilibre gourmand que s’achève ce déjeuner mémorable.
Le soir venu, la Bourgogne est de retour avec un excellent
Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1989 servi sur des médaillons de langouste et un velouté de corail. Sur un fond doré, on distingue quelques reflets jaune-vert presque fluorescents à l’agitation. Le nez est à part, avec une touche d’ananas et un côté exotique, des arômes de cire et d’élevage bien intégrés. En bouche le vin est ample, tendu, long…Il semble pouvoir se maintenir encore quelques années.
Je place à présent trois verres devant chaque convive, pour accompagner des cailles grillées et un risotto au vin rouge. Les trois vins contiennent de la syrah mais proviennent de régions différentes. Le premier est un
Trévallon 1989. La robe, un peu évoluée, reste d’un beau grenat, le nez flatteur explose sur les fruits très mûrs, les herbes aromatiques, un registre tertiaire ; la bouche est fondante, savoureuse, la finale sans sécheresse…Tout le monde apprécie ce très bon vin à maturité, qu’il vaut mieux boire sans tarder cependant. La
Grange des Pères 1999 est reconnue à l’aveugle mais souffre de la comparaison avec les deux autres. Le nez est assez animal, la bouche un peu trop ferme et courte. Qui aime bien châtie bien…Notre préféré reste le charmeur 1995. Le troisième verre contient une encre dense aux reflets violets. Le nez racé s’ouvre doucement sur les petits fruits noirs, des notes florales et épicées. Le boisé est parfaitement équilibré par une matière phénoménale aux tanins raffinés, la finale est chaleureuse. C’est un monument mais il est sûrement trop tôt pour l’apprécier pleinement, du moins pour nous. Ce fut tout de même un plaisir de goûter
La Turque 1999.
Le repas se termine avec une tarte Tatin et un
Clos du Bourg 1989 de chez Huet, un moelleux un peu trop discret pour nos sens émoussés…La robe est or profond, le nez sur le coing et des notes de pâte de fruits, la bouche plutôt souple manque de puissance et d’allonge. Peut-être aurais-je dû choisir un vin plus liquoreux à ce moment de la journée.
Il est difficile de dresser un compte-rendu vraiment objectif de cette dégustation, car pour moi, aucune des bouteilles ne fut présentée à l’aveugle ; et pour mes amis, dès lors qu’une seule personne fournit les vins et prépare depuis longtemps l’évènement, il est délicat d’avoir la dent dure…Ma femme, en revanche, ne s’en prive pas, goûte bien et ne connaissait quasiment aucune des étiquettes présentées ce jour : selon elle le Bonneau du Martray et La Turque étaient vraiment au dessus du lot. Pour ma part, celui que j’ai vraiment envie de recroiser, c’est le Clos Sainte-Hune. Peut-être que Baba, Aurel, JB et Will nous livreront ici leurs impressions, en tout cas merci à eux pour leur générosité (j’ai reçu en cadeau une bouteille d’Hommage à Jacques Perrin 2001) et ce beau moment de convivialité et d’amitié.
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