J'ai participé le précédent week-end, les 5-6 février 2005, à cette fameuse percée du vin jaune, édition 2005, au cours de laquelle a été mise en perce le premier tonneau du nouveau millésime commercialisé, soit le 1998.
Annoncé à grand renfort de pub, voici une manifestation de grande envergure, qui râtisse très large. L'organisation de cette fête est à la taille de l'événement.
Parkings à des km de la manifestation; noria de plusieurs dizaines de bus pour amener les gens sur place; des centaines de volontaires dans leur veste blanche caractéristique. Une organisation rôdée comme une montre de précision jurassienne. Présence massive de la maréchaussée, histoire de bien marquer l'esprits des automobilistes qui seraient tentés d'abuser du jus de la treille.
Une fête ou vous n'êtes jamais seuls; plus de 40'000 de personnes attendues sur les deux jours qui envahissent les petites rues d'un charmant village, Saint-Lothain, de quelques centaines d'âmes.... bousculade garantie. A signaler que le village de Saint-Lothain ne dispose que de quelques rares hectares de vignes; le déroulement de cette fête ici semble plus s'expliquer par la présence dans le village d'un important négociant, André Bonnot, que par la présence du lieu au milieu d'un grand vignoble.
60 stands où une septantaine de producteurs présentent leur production. Quelques emplacements présentent les divers produits régionaux, de la saucisse de Morteau au comté. Voici une fête très populaire, voire populeuse.
La cérémonie de la percée proprement dite en fin de matinée du dimanche, qui a eu lieu dans un terrain en grande partie boueux, faute de place oblige, est conforme à ce que l'on peut attendre de ce genre d'événement, relativement sympathique pour les quelques centaines de personnes, qui ont pu trouver une place aux premiers rangs, gauloiseries, flonflons, discours convenus, remise de décoration à quelques amis du vignoble.
A l'entrée, du village, contre 10 euros, on vous remet une carte d'entrée à échanger un peu plus loin contre le verre spécial de la percée et dix tickets qui vous permettront de déguster dix vins, pas plus. En plus, vous n'avez pas le choix, puisque vous avez le droit de déguster 5 vins rouges, rosés, blancs ou mousseux, un macvin et seulement 4 vins jaunes.
Vous étes ainsi armés pour commencer le grand marathon. Si le samedi est une journée agréable avec une fréquentation dense mais encore raisonnable, le dimanche, la cohue devient telle, qu'il faut lutter, voire participer à la bousculade générale pour accéder au stand des différents vignerons.
Dans ces conditions difficile de déguster sereinement et encore plus de prendre des notes.... La température extérieure, peu au-dessus de zéro, ne facilite pas non plus l'exercice. Une fois que vous avez réchauffé le contenu de votre verre, vous avez les mains gelées...
Heureusement, comme j'y suis allé en compagnie d'un copain oenophile, nous avons tout de même pu déguster une quarantaine de vins en deux jours (deux personnes = 2X10 tickets, le tout x deux jours...)
Au chapitre, des vins blancs, qu'ils soient de chardonnay, de savagnin ou d'un mélange des deux, la difficulté est toujours de savoir à l'avance sur quel type de vin, vous allez tomber : oxydatif (de style proche du vin jaune) ou réductif.... et comme les vignerons sont pour le moins bousculés ces deux jours, pas facile d'obtenir le renseignement avant d'avoir dégusté.... A l'évidence, le renseignement devrait figurer d'une manière sur l'étiquette ou sur une contre-étiquette, ce qui n'est que malheureusement presque jamais le cas. Une fois soulever cet écueil, on trouve quelques chardonnays, notamment en 2002, ma foi de fort belle facture.
Parmi les vins rouges, la quête est plus difficile; n'étant pas un grand amateur de poulsard, restait à se rabattre sur les pinots noirs et autres trousseaux; beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Nous avons dégusté beaucoup de vins pâles, peu structurés, à boire bien frais en été sur une grillade. Le domaine Jacques Tissot nous a toutefois séduit avec un savoureux trousseau 2002 sur Arbois, assez dense, épanoui et explosant de fruit rouge. Toujours sur Arbois, le millésime 2003 nous a permis de déguster deux réussites auprès du GAEC Cartaux-Bougaud, superbe pinot noir gourmand, parfumé et solide, ainsi qu'un trousseau un rien austère, mais solidement installé dans des tanins denses, plutôt fins, le tout enrobé d'un joli gras, à des prix sages, 6-7 euros.
Les quelques macvins dégustés n'ont guère convaincu; cette mistelle ou vin de liqueur est visiblement un breuvage à part; tous ceux que nous avons testés étaient marqués par l'alcool brûlant et en général très dissocié du jus de raisin.
Il restait qu'à nous attaquer à la star du jour, le vin jaune, celui pour lequel nous étions venus en définitive.... Tant du point de vue de la typicité que de la qualité, le spectre est trés étendu; nous avons essentiellement dégusté des 1998, des 1996 et quelques 1994 et 1995. Certains vins peuvent, sans aucun doute, figurer parmi les meilleurs vins et les plus achevés du monde; d'autres sont terriblement rustiques, marqués par des acidités soit terriblement trachantes soit totalement inexistantes; d'autres sont marqués par des tanins de bois rédhibitoires....
Pas de surprise du côté de quelques stars, à l'image du 1998 du domaine Macle à Château-Chalon. Puissant, typé, complexe, racé et d'une longueur peu commune, 28 euros tout de même. Bon rapport qualité-prix quand même.
L'Arbois vin jaune 1996 de Jacques Tissot nous a également beaucoup plus, 28 euros également.
La Fruitière vinicole de Voiteur présente aussi un remarquable Château-Chalon 1997, pour 24 euros. Bon rapport qualité-prix.
La maison Henri Maire nous a étonnement séduit avec un Arbois vin jaune 1994, complexe, puissant, onctueux et d'une grande longueur, 28 ou 29 euros également. Dommage que leur méthode de vente soit tjrs aussi agressive et leurs représentants parfois à la limite du grotesque lorsqu'il s'agit de parler des produits qu'ils vendent, sans trop les connaître, autrement qu'en récitant un catéchisme trop bien appris par coeur, mais apparemment pas compris pour autant....
Nous avons fait une sympathique découverte, à prix doux, 18 euros, aurès d'Henri Guinand à Nevy-sur-Seille, pour son Château-Chalon; si le 1995, puissant, typé et onctueux est malheureusement marqué par des tanins asséchants d'une rusticité revêche, le 1996, un peu moins puissant est marqué par une très belle élégance au nez, beaucoup de typicité et un bon équilibre en bouche, soutenu par une belle acidité filigranée. Meilleur rapport qualité-prix de ces deux jours en vin jaune.
En résumé, une belle fête populeuse et populaire; chaleureuse ambiance, qui présente un intérêt foklorique, voire sociologique certain... Ce n'est toutefois bien évidemment pas la meilleure occasion pour l'oenophile pointu de faire son marché.
Bonne soirée.
RV