Rencontre avec Michèle et Jean-Yves Béchet, Château Fougas Maldoror, Côtes de Bourg, 15 juin 2013
Si demain la conscience rejoint le bon sens, l’évidence conduira le consommateur vers des vins issus d’une viticulture respectueuse de l’histoire naturelle des terroirs. « Histoire naturelle », quelle jolie expression associant deux mots lui conférant une connotation certes pléonastique, mais évoquant avant tout la nécessité d’apprendre la relation entre le temps et la nature. Une association appelant une attention minutieuse de l’homme qui peut l’accompagner, mais parfois aussi la dérégler, voire la détruire notamment lorsqu’il veut trop accélérer la première composante de l’expression ou plastifier la seconde.
Pour une histoire naturelle de la vigne et de ce qu’elle produit, les adeptes de l’agriculture biologique redeviennent paysans, ceux de la biodynamie le sont, avec toutes les croyances que certains rangeront dans l’occultisme, que d’autres lieront au terroir et au savoir transmis. Michèle et Jean-Yves Béchet ont suivi un chemin les ayant conduit, après une conversion à l’agriculture biologique, à la biodynamie. Ils sont désormais paysans, après avoir été viticulteurs. Michèle s’amuse avec cette petite provocation. Elle veut dire que le couple ne veut plus être ouvrier de la vigne suivant un rythme cadencé par le calendrier des chimistes industriels. Il veut écouter la nature et, ici, la vigne lui parler. Cette conception semble aux antipodes du management moderne, où le « time pacing » (calendrier qu’une firme peut s’imposer pour avoir un tour d’avance notamment dans les environnements hyper compétitifs où l’innovation permanente est la règle du jeu) prend le pas sur l’ « event pacing » (où l’intervention découle d’une observation conduisant à devoir agir). Bref, il s’agit de redevenir sage pour sortir le consommateur du stress qu’il vivrait le jour où sa conscience l’alertera des dangers de l’utilisation des produits phytosanitaires industriels.
Le moment passé avec Michèle et Jean-Yves Béchet n’a, à aucun moment, donné l’impression d’être en présence d’hurluberlus tendant la main, yeux fermés, pour ressentir quelques vibrations prophétiques. Michèle, qui a guidé la visite du matin alors que Jean-Yves travaillait dans la vigne (il nous a rejoint pour le repas), serait même plutôt rationnelle, voire cartésienne. Son doctorat de sociologie n’est pas sans lui avoir apporté une méthode de raisonnement dans laquelle l’expérimentation tient bonne place. Elle nous a raconté quelques essais dont les résultats ont finalement convertis le couple Béchet dans cette voie, cette philosophie, ou ce sacerdoce ; sans jamais oublier le bon sens évoqué au début de ce billet, mais en acceptant l’idée que la nature ne laisse pas encore la science tout révéler. Que l’amateur de vin y croit ou n’y croit pas, peu importe ; deux éléments sont primordiaux. Le premier est d’éviter au consommateur d’avaler des produits peu recommandables. Le second réside dans la qualité des produits. Sur ce point, l’équipe d’escapadoephiles présents ce 15 juin 2013 a aimé les vins du Château Fougas Maldoror.
Lorsque nous arrivons au Château,en cette journée où la météo annonce la pluie, Jean-Yves Béchet se prépare à travailler la vigne. Michèle nous accueille et nous emmène près des vignes pour évoquer la conception locale du travail. On remarque que les espaces se livrent aux herbacés et qu’un rang sur deux voit ces dernières aplaties, pas coupées de sorte à ce que les graines puissent tomber pour réensemencer un sol ainsi drainé par les racines. Le drainage est également aidé par deux ruisseaux, chacun à une extrémité de la propriété de 17 hectares.
Dans le propos de Michèle, les détails s’enchainent sans jamais nous lasser. La dégustation s’est faite sur la verticale suivante : 2000, 2003, 2005, 2008, 2009, 2010. Chaque bouteille a été débouchée devant nous, dans les chais. Sur l’ensemble, on retrouve un style, loin de la puissance qu’on m’a décrite. Certes, la matière est présente, mais le vin est plutôt suave, les tanins et le grain plutôt fins (ce qui n’est pas antinomique avec la matière présente, juteuse). Le fruit est joli, témoignant un beau travail à la vigne, certes accompagné techniquement au chai. Sur ce point, il me faudra compléter ultérieurement ce billet en discutant à nouveau avec les propriétaires pour comprendre la compatibilité entre la viticulture en biodynamie et ce qu’elle autorise techniquement aux chais. En effet, après avoir discuté une bonne heure et demie de la viticulture, nous sommes passés peut-être un peu rapidement au chai pour aller à la dégustation, gourmands que nous sommes.
Comme habituellement lors de ce type de sortie, les commentaires qui suivent ne sont que des premières impressions. A l’ouverture de la première bouteille, le 2000, et dès que le vin est versé dans les verres, j’en perçois les arômes. Les 2000 et 2003 ont un nez riche ; celui du 2003 offre une complexité accrue, ce millésime est d’une belle densité, pas trop mûr, il a beaucoup plu. En fait, tout était bon, hormis le 2005 où la bouteille était un ton en dessous ; il aurait fallu en gouter une autre. A avoir apprécié les 2000 et 2003, on peut sans risque certifier que les vins peuvent être conservés une décennie. Le 2008 possède une robe sombre. Il est un peu gras tout en étant droit. Il me semble dans une phase un peu fermée et nécessite sans doute d’être attendu pour s’en régaler car à nouveau on sent le beau fruit. Ce dernier a été sublimé avec le millésime 2009 où l’entrée en bouche satisfait une gourmandise que le nez a préparé. Une belle longueur. C’est très bon. Quant au 2010, je le mets sur la première marche du podium de cette dégustation notamment grâce à une acidité mesurée caractéristique du millésime, mais doux en bouche. C’est déjà très bon aujourd’hui, dans une phase fruitée, on s’en régale. Et que dire de la cuvée spéciale Organic Premium ou Forces de Vie (il faudra sans doute faire un choix dans le nom). Dans ce même millésime 2010, il est issu d’une parcelle qui révèle un vin plus élégant, au toucher de bouche velouté, doux, très bon. Il est hors concours ... Au déjeuner Jean-Yves Béchet en a mis quelques-unes à table, ayant vite perçu qu'il nous enthousiasmait. Si on leur ajoute les bouteilles (celles de la dégustation) que son épouse nous avait fait emporter du chai à la salle à manger où le pique-nique que nous avions prévu s’est finalement tenu (conditions météos), il a fallu remplir le bol alimentaire en conséquence…
Quel beau moment passé au Château Fougas, où Michèle et Jean-Yves Béchet nous ont ouvert les portes d’une propriété sympathique, dirigée par des passionnés, respectueux. N’hésitez pas une seconde pour les rencontrer. Ils prouvent que cette appellation Côtes de Bourg, qui regroupe une quinzaine de communes autour de Bourg sur Gironde (par ordre alphébétique : Bayon-sur-Gironde, Bourg, Comps, Gauriac, Lansac, Mombrier, Prignac-et-Marcamps, Pugnac, Saint-Ciers-de-Canesse, Saint-Seurin-de-Bourg, Saint-Trojan, Samonac, Tauriac, Teuillac et Villeneuve), mérite toute notre attention. N’oublions pas que celle-ci a grandement rayonné par le passé, et après une phase endormie, certains domaines la replacent parmi les meilleurs rapports qualite/prix que l’amateur puisse trouver. A ce titre, mettez du Fougas Maldoror dans votre cave et amusez-vous à le faire déguster à l’aveugle à vos amis amateurs.
Fougas Maldoror 75% Merlot + Cabernet Sauvignon ; Organic Premium 90% Merlot.
Le primeur 2012 est à 11.50 euros TTC