Cuisiner n'est jamais, pour moi, un acte gratuit. Pour celles et ceux qui me sont proches, pour ces personnes que j'aime et qui m'entourent, préparer un repas est un moment de bonheur, de reconnaissance ; c'est un don, un présent immédiat, un témoignage d'affection, une concrétisation du lien familial ou amical.
Hier soir, à l'occasion d'un succès aux concours des grandes écoles d'ingénieur, j'ai réalisé pour le lauréat, à qui je transmets depuis plusieurs années ma passion de la cuisine et des vins, quelques nouveautés culinaires pour accompagner deux vins de son millésime, 1986 : Chablis Grand Cru Blanchot du domaine Servin et Château Coutet.

Autour du premier vin :
en amuse-bouches : tagliattelles de concombre, mousse d'oignons rouges et toast de poireaux puis millefeuille de courgettes au thé vert, pêche jaune acide. Pour suivre : joues de lotte aux cinq épices, mousseline de chou fleur

Pour le second vin, plus d'originalité avec :
- Suprême de grouse à la goutte de sang, peau croustillante au miel, coulis d'abricot et camomille, poêlée de cèpes bouchons
- Foie gras poêlé
- Roquefort artisanal Gabriel Coulet
- Poêlée de figues grises, pêches blanches au miel de Bavella

Le Blanchot du domaine Servin m'a beaucoup séduit. On pourra lui reprocher une définition aromatique un peu simple. Le nez est profond, minéral, avec des notes miellées, grillées et butyriques discrètes. L'attaque est délicate, avec une certaine douceur. Mais la bouche est ample avec une finale longue, tenduee, minérale. Le vin a gardé de la vivacité et de la fraîcheur ; il ne montre aucun signe de faiblesse.
Les deux amuse-bouches jouent avec lui : la douceur du premier accentue l'acidité de la finale ; le second renforce les notes grillées, miellées et sa rondeur. Sur les joues de lotte, cela fonctionne globalement, entre douceur de la mousseline de chou fleur et expressivité de la sauce aux épices, sans que l'accord soit évident. Le vin ressort un peu austère, très droit et s'accomode des épices.

Le Coutet 86 est un Barsac qui évolue vite avec des notes d'agrumes déjà bien affirmées : zeste d'orange, pamplemousse. Les notes de miel sont évidentes ; la finale offre une très belle amertume et une longueur satisfaisante. C'est un vin bien fait, très plaisant, élégant.
La grouse est le premier gibier de la saison et présente un goût très faisandé. Le coulis à l'abricot vient l'adoucir, la camomille apportant l'amertume ; le Coutet enrobe l'ensemble dans un accord étonnant : la sauce (où une pointe de miel mille fleurs a été ajoutée au moment de l'émulsion) se révèle être une bonne réplique aromatique du vin et assure aisément le lien. La poêlée de cèpes complète le mariage avec facilité.
Le foie gras poêlé, servi à l'ancienne en entremets, était prévu avec des lamelles de céleri confites. Je l'ai finalement servi seul et c'était bien ainsi. Ce fut l'occasion aussi d'un cours de cuisine et il y eut un deuxième service !
Pour finir, les petites figues grises. Ce sont actuellement les plus mûres et les plus goûteuses. Découpées en quartier, elles furent juste poêlées ; j'ajoute au denier moment des dés de pêches blanches préalablement sautés avec un peu de miel corse du col de Bavella ; c'est simple, direct, sans chichi. Les pêches apportent de la fraîcheur et de l'acidité à l'ensemble. L'accord est facile.

Ce fut une belle soirée.

Jean-Philippe Durand

Ce fut une belle soirée.

Je veux bien te croire

L'idée du foie gras "servi à l'ancienne", ça t'est venu après nos discussions récentes, ou tu l'avais déjà fait auparavant?

Eric

Encore une fois, chapeau, Jean-Philippe, c'est incroyablement salivant !
Ta cuisine m'apparaît comme un tableau gourmand, précis, jouissif, ludique, extensible à l'infini.

Les aiguilles de Bavella, au centre de la Corse ?
Tu nous dis un mot de cette grouse ?

J'ai déjà dit ici à quel point le Coutet Madame 86 était d'un équilibre et d'une finesse fabuleux (18,5/20) :
... une ambroisie de caractère ataraxique (citron confit, cédrat, mandarine, coing, abricot, fruits confit, caramel, vanille, safran, pistache, menthol et agrumes) qui durera très longtemps (cette cuvée est bien moins évoluée que la cuvée que tu cites je pense et est très persistante) !

Sinon,

Coutet 1998 : 15,5/16
Coutet 1989 : 18/20
Coutet 1990 : 15,5/20
Coutet 1904 : 14,5/20

Merci pour ce compte-rendu détaillé et "salivant", comme le dit Laurent!

Je pense que Jean-Philippe parle du Coutet "Classique" 1986.
C'est une bouteille que je connais, très Barsac, élégante, sans aucune lourdeur.
Elle devait, en effet, être parfaite face aux mets...

Cordialement,
Thierry

Je pense que Jean-Philippe parle du Coutet "Classique" 1986.

Assurément !

J'avais déjà servi un foie gras poêlé en entremets auparavant.

L'élégance de ce Coutet "classique", cette belle amertume et sa finesse permirent de l'accompagner délicatement (bien que je prêche contre l'emploi de liquoreux sur le foie gras habituellement !).

Transmettre aux plus jeunes une passion, partager avec eux cet art et ce plaisir, dépasser la trivialité et apporter du sens, développer la sensibilité individuelle contre la normativité imposée à la multitude, c'est le défi d'un père ou d'un parrain.
Selon moi, la gastronomie est une voie qui fait sens car elle est une des éducations au beau. Ce n'est pas une vision d'esthète : la sensibilité et la perception de la Beauté relèvent de la pratique plus que de la disposition.

Jean-Philippe Durand

Une cuisine moderne, sensible, ouverte, à la fois méticuleuse (la rigueur) et agile (décontractée), référente (les maîtres inspirateurs) et autonome (le talent propre), touche-à-tout (dans le meilleur sens du terme), puzzle, mosaïque ...

Phénoménologique ?

Quel est leur retour concret, sur cette démarche ?

Face à ma passion, je ressens leur amusement et leur décontraction pour ce qui est aussi un jeu, leur émerveillement suscité par la magie de la création et de la transformation, la pointe d'admiration de la jeunesse, leur curiosité intriguée au moment de la dégustation, la sincérité directe de leurs critiques et leur désir de recommencer, de mieux comprendre, de poursuivre la découverte. Mais surtout, et ce qui est assurément le plus émouvant, leur capacité constante de mémoire qui rend bien compte de cette histoire transcendante qui s'écrit au delà des plats, des vins et des repas partagés.

Jean-Philippe Durand

Parfait ...

J'ai vu moi un néo élève ingénieur intéressé certes mais encore fort perplexe ...

Quand j'ai vu grouse et Coutet, j'ai dit oui, oui, oui !!!

Merveilleux récit à la hauteur de ton talent.

J'ai essayé chez Guy Savoy un col vert avec un Montrachet DRC 1976. C'était totalement excitant.
C'est effectivement une source de plaisirs inouïs que de se consacrer à ces multiplications que s'apportent mets et vins.

Bravo.

ET cette grouse, alors ?

Une grouse

Origine : Ecosse

Extrait de Seasons - La chaîne des chasseurs et des pêcheurs - www.seasons.fr :
"La grouse, cet oiseau gallinacé à corps épais qui niche dans les creux du sol, est une variété très recherchée de perdrix d'Ecosse. Dans l'univers des gros oiseaux, sa condition de gallinacé lui procure une place privilégiée proche de l'homme, peut-être bien parce qu'on la voit couramment au sol et que certaines espèces fréquentent les champs cultivés et au besoin les jardins. Cet herbivore pacifique est paisible, inoffensif, peu farouche et au fond facilement curieux. Il est de ce fait la proie naïve et favorite du faucon pèlerin et des renards, ainsi que du gerfaut Groenlandais de passage l'hiver."

Saison de chasse : 15 août au 20 novembre. Préférer, comme pour les perdreaux, le début de la saison, la chair est plus tendre.

Chair de couleur et texture similaires au pigeon, se cuit de la même façon mais choisir 6°C de plus à coeur. Goût très animal, typé entrailles, puissant.

Jean-Philippe Durand

Je suis absolument fasciné par la place et le traitement que Jean-Philippe donne au fruit dans sa cuisine.

Je parie qu’il est l’un des rares à « cuisiner » le fruit avec autant d’élégance, d’attention de légèreté et d’allégresse. Ce n’est jamais lourd…C’est aérien.

Et c’est pourtant « cuisiné » !!!. Ce n’est jamais un accessoire. Ça participe pleinement à la recette.

Les autres grands cuisiniers doivent se croire obligés de rester dans des registres plus conventionnels. Leur positionnement dans la logique économique les pousse à pratiquer une approche consensuelle, moins audacieuse vis-à-vis du fruit.

Chez Jean Philippe, ce n’est pas vraiment de l’audace, ni de l’originalité qu’il s’agit, ce serait trop simpliste…C’est bien plus que cela…Il a un rapport avec le fruit que je qualifierais de sensuel !

Il comprend le fruit.

Ce rapport se reflète dans la manière avec laquelle il le « cuisine ».

Chez lui le fruit devient un « légume » de la quatrième dimension.

Nidal

Tant qu'il n'attrape pas le melon après ces éloges !

Nidal, il faut maintenant que vous veniez dîner chez moi afin de goûter ma cuisine plutôt qu'en lire les compte-rendus et vous faire ainsi un avis concret. L'invitation est lancée.

Jean-Philippe Durand

Nidal,

A ta place, je n'hésiterais pas une seconde !

Quand les autres survolent le fruit, Jean-Philippe s’envole avec !

Merci beaucoup pour l’invitation, je suis sincèrement flatté !
Et si je vous disais que j’étais à deux doigts (vous pouvez me croire) de vous « lancer » la même invitation, mais cette fois-ci, dans la belle Bretagne. Laurent G. peut certainement et légitimement être du voyage…

Nidal

Je suis partant, Nidal, avec grand plaisir !
Et je connais par coeur la lagune et les dunes dorées chantées par Etienne Daho, sur la côte de Penthièvre.

Etant toulousain (qui peut aussi s'avérer une étape pour toi), et la rentrée scolaire étant imminente, cela complique un peu la logistique.

Mais pourquoi pas (la vie est courte) ?

Ganesh n°12 avait tenté de relater au mieux le voyage gastronomique mémorable que nous avait concocté Jean-Philippe, avec notamment un admirable champagne rosé servi en milieu de repas.
Moment suspendu, hors du temps !

J'admire chez Jean-Philippe un talent que je n'ai pas.

Quand les autres survolent le fruit, Jean-Philippe s’envole avec !
Ce n'est pas défendu...

LaurentG, sois gentil d'éviter ce genre d'évocations musico-culturelles qui annihilent toute la poésie de tes propos précédents, en associant aux côtes d'Armor, le nom d'un non-chanteur pseudo-breton, chroniquement aphone et dysarthrique. Qu'il ait grandi à Rennes constitue pour l'Armorique une véritable catastrophe naturelle !

Nidal, merci pour l'invitation que j'accepte avec plaisir à condition que vous me prêtiez votre cuisine. J'arrive habituellement avec un peu de matériel et quelques victuailles de mes fournisseurs attitrés. Je leur fais quelques infidélités si vous vous portez garant de la provenance des produits locaux ! Reste aussi à définir une liste de vins et à fixer une date.

Jean-Philippe

Oui, Jean-Philippe, mais la plage de Sables d'Or est une de mes madeleines de Proust.
C'est mon armorique à moi.
De plus, il se trouve que j'aime bien Daho et ses nuits martiennes !
Son chant est profane, hésitant mais touchant.
Et puis la Bretagne, c'est grand !

Nidal,
J'accepte aussi l'invitation, que tu (je m'autorise le tutoiement) prêtes ou non la cuisine à Jean-Philippe (qui amènera aussi sa musique, il est gentil )
Pour les vins, je pense avoir quelques propositions (notamment en VdP des marches de Bretagne des années 1980 : il faut en effet toujours faire confiance aux producteurs locaux).
C'est cela, Jean-Philippe, tu l'invites à manger et il se met illico et sans vergogne à squatter ta cuisine avec son sac à provisions et ses ustensiles cosmopolites !
Moi, je me contente d'apporter du liquide et de mettre les pieds sous la table (et d'inviter en retour, avec les moyens du bord, c'est à dire au moins les beaux produits du marché Victor Hugo).

Une date et un avion ...

Kenavo

Ca, c'est de l'échange

J'en suis tout retourné

Eric

Moi je m'invite aussi alors !!

même si j'ai djà honte de ne pas honorer mes invitations diverses et variées notamment en Belgique !!

En échange de la cuisine de JPD et des vins de LAurentG et Nidal je propose ma mauvaise foi bien connue, mon amertume chronique et ma propension à m'endormir sur la canapé à la fin du repas (mais plutôt à cause du vin)... ça marche ??

mes voisins dont le fils était le super pote du mien ont déménagé à Rennes, alors ça fait une raison de plus.

je peux aussi amener qq jolis vins de Lorraine !! Et une mirabelle aussi (à 45%)

C'est trop bien tout ça, mais c'est tout à fait jouable et dans nos cordes!

C'est Noël déjà!

Une affaire aussi sérieuse, ne doit pas être traitée à la légère, aussi je propose que ce soit carrément sur un week-end, de préférence sous le petit crachin breton , c'est là qu'elle est plus belle et plus tonique, la Bretagne.

Je me charge de la logistique et de l'organisation d'un petit programme de visites. Je fournie bien entendu l'andouille de Guémené, les petites crevettes pêchées le matin mêmes dans le golfe du Morbihan, les huîtres n°3 de Penestin...et plus, puisque affinité, il y a déjà !.

Nous tâcherons d'y associer d'autres locaux de l'étape...par contre question place dans la salle à manger...!!!

Allez, on cogite tout ça et on se donne surtout le temps de bien organiser les choses.

Maintenant que l'invitation est lancée....c'est comme un avion sur une piste de décollage....on ne peut plus arrêter les moteurs ni freiner !!!

Attachez vos ceintures…..

Nidal

Un petit coup de peinture dans le garage, car effectivement dans la salle à manger...!!!

attention !!!
vous ne savez pas à qui vous avez affaire : enfin si vous imaginiez que je puisse participer

chinbourg a écrit:

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> Un petit coup de peinture dans le garage, car
> effectivement dans la salle à manger...!!!

Je n'y suis pour rien Laurent...!

Quand on a achété la maison en 1995, LPV n'existait pas à l'époque...

Nidal

Je le sais bien Nidal, nous en avons parler, mais c'est aussi le charme de ces vieilles maisons.
Il y aura bien une solution, de toute façon tous problèmes a sa solution.

Quelque soit la date je suis là...
Ps: j'amène le pain ?

Je serai d’avis, si vous êtes d'accord, que l’on arrête de squatter le beau sujet initié par Jean-Philippe DURAND "Un petit repas de fête" et d’attendre que les choses se précisent dans nos esprits avant d’ouvrir bientôt un sujet spécifique à cette rencontre.

Merci de votre compréhension.

Nidal