17e rendez-vous des icônes : « Les meilleurs du Grand Sud Ouest face aux Illustres vins du Monde »
Presque tous les ans, Alain Brumont, grand vigneron du sud-ouest et propriétaire des châteaux Montus et Bouscassé en Madiran, organise une dégustation de prestige. Il y fait déguster 10 vins à l’aveugle : 2 ou 3 de ses grandes cuvées mélangées avec des grandes étiquettes de France et du Monde. L’idée étant de montrer que ses cuvées rivalisent avec ce gratin mondial.
Cette année j’ai eu l’opportunité de participer à cet événement. J’étais excité comme une puce à l’idée d’y participer et j’ai bien veillé à ne pas m’enrhumer les jours qui précédaient l’événement, malgré la grande mousson qui sévissait en Béarn en ce mois de Novembre.
Cette grande dégustation est souvent debriefée par un éminent journaliste ou vigneron. Cette année, cette tâche incombait à une belle triplette :
• Pierre Lurton, gérant du château Cheval Blanc et PDG de château Yquem, également propriétaire du château Marjosse en Entre Deux Mers ,
• Hervé Bizeul, ex-sommelier, ex-critique de vin et aujourd’hui propriétaire du Clos des Fées dans le Roussillon,
• Alain Chabanon, propriétaire du domaine éponyme en Languedoc,
qui sont de gauche à droite sur la photo ci-dessous, Alain Brumont étant lui tout à droite :
Nous commençons avec ½ heure de retard sur l’heure théorique, mais qu’à cela ne tienne, nos papilles n’en seront que plus affûtées.
Chaque participant a devant lui 10 verres avec les vins déjà servis, disposés sur un patron avec le numéro des vins :
Nous sommes plus d’une cinquantaine dans la salle, et ca sent bon le vin avec ces 500 verres pleins au contact de l’air
.
On nous explique que contrairement aux années précédentes, le but ne sera pas classer les vins de 1 à 10 car cela n’a pas vraiment de sens dans une sélection des 4 coins du monde (et je suis bien d’accord), mais qu’on nous demandera nos 3 vins préférés.
Pour intéresser un peu la dégustation, un petit jeu est organisé où l’on doit essayer de découvrir pour chaque vin le cépage, l’origine, le millésime et le domaine, 2 point étant potentiellement attribués par vin. Un mathusalem (6L) de Montus 2015 sera offert au meilleur devin.
Une feuille nous est fournie pour répondre, avec un espace dédié à la description beaucoup trop petit à mon goût
:
Allez, cette fois c’est parti ! Concentration et plaisir !
Rappel sur mes notations :
0 = raté 1 = médiocre 2 = correct 3 = bon 4 = très bon 5 = excellent
avec des demi points, des + et des – qui permettent d’affiner le jugement et de classer les vins entre eux.
Vin numéro 1 :
La robe est pourpre assez intense.
Le nez est sur le cuir, le cèdre, le bois noble, une touche de sueur.
La bouche est ample, fraiche, presque aérienne avec ses petits tanins. La retro est complexe, avec un beau mélange de cuir, de jus de viande, de cèdre et de piquillo. Le tout est d’une très belle longueur.
Ca commence très bien tout ça ! Un beau vin a maturité, très bon à excellent. 4,5+/5.
J’hésite entre un bordeaux assemblage cabernet sauvignon/merlot 2005 (pour le cèdre) ou un mourvèdre de type Bandol 2010 Tempier.
Evidemment, c’est faux : il s’agit en fait d’un
Coteaux du Languedoc Mas Jullien 2005
Vin numéro 2 :
La robe est pourpre orangée assez légère.
Le nez est fermé à double tour.
La bouche est ample et tannique, portée par une belle fraicheur L’aromatique est sur les fruits noirs et des notes crémeuses. Finale tannique de très belle longueur
C’est déjà bon à très bon, mais trop jeune en l’état. Les tanins doivent se fondre et l’aromatique évoluer un peu pour se complexifier. 3,5+/5.
Je suis complètement perdu pour situer ce vin. Je passe ne me disant que j’y reviendrai, mais je n’aurai pas le temps.
Il s’agit en fait d’un
Barolo Sperss 2013 du domaine Angelo Gaja
Vin numéro 3 :
La robe est bordeaux assez intense.
Le nez est ouvert avec un boisé marqué (planche, vanille, grillé) et des fruits noirs.
La bouche est ample et ronde, suave, presque crémeuse. La retro est sur la vanille, la noisette, les fruits confiturés. Le café s’ajoute en finale.
Très belle longueur.
C’est bon à très bon, mais presque un peu écœurant à ce stade avec le côté crémeux et les forts arômes issus de l’élevage. 3,5/5.
Le côté confituré allié à l’amplitude et à l’élevage marqué me fait pronostiquer un vin du nouveau monde. Je tente un assemblage bordelais avec la cuvée Paul Sauer 2014 du domaine Kanonkop en Afrique du Sud.
Mon errance continue puisque il s’agit en fait d’un
Côtes du Roussillon Villages La Petite Sibérie 2015 Clos des fées
Je découvre qu’il existe un « vin auto-proclamé grand vin en Roussillon, validé par le marché » à 200 euros. Mouais….
Vin numéro 4 :
La robe est pourpre à frange orangée, de faible intensité.
Le nez est discret : floral (pivoine), fumé, fougère.
La bouche est souple, fine, soyeuse, très élégante, fraiche. En retro, on trouve de la framboise, de la myrtille et du moka.
Longueur moyenne.
C’est très bon, un vin ne joue pas la carte de la puissance mais celle de l’élégance. 4/5.
Avec cette élégance, j’imagine bien un pinot noir étranger.
Que nenni
, puisque c’était un
Bolgheri, Sassicaia 2014, Tenuta San Guido
Quand l’identité de ce 4e vin est révélée, je me dis qu’effectivement on était dans la cour des vins illustres. Une belle première rencontre (et j’espère, pas la dernière) avec ce vin légendaire. J’étais à 1000 lieues d’imaginer qu’il s’agit de cabernet sauvignon ; le cousinage avec les médoc est au 8e degré…
Vin numéro 5 :
La robe est pourpre noire, profonde.
Le nez est ouvert, sur les fruits noirs, la café et la vanille.
La bouche est ample, concentrée, avec des tanins abondants mais déjà patinés, ce qui donne presque un côté soyeux à la bouche. La concentration est équilibrée par une belle fraîcheur.
Le tout est d’une très belle longueur en bouche.
C’est très bon à excellent, un vin concentré, puissant, frais, qui le temps a patiné pour l’amener à l’apogée. 4,5/5.
Sur ce vin, je me sens plus à l’aise. Je pense tenir un des vins de notre hôte. Sa concentration et sa rondeur me font penser au Madiran La Tyre 2010, que j’ai croisé plusieurs fois et qui est le meilleur millésime de cette cuvée d’après moi.
Ce coup-ci, je suis bien
, il ne me manque que le millésime puisqu’il s’agit du
Madiran La Tyre 2005, château Montus
Y’a pas à dire, il est plus facile de reconnaître ce qu’on connait bien…
Vin numéro 6 :
La robe est pourpre, assez intense.
Le nez est ouvert, dominé par un côté pharmaceutique.
Je passe en me disant que j’y reviendrai plus tard car je me suis mis en tête de trouver les 2 autres grandes cuvées d’Alain Brumont et je pars sur les vins n°7 et 8 qui ont aussi une robe presque noire et profonde.
Mal m’en prends car les copies seront ramassées au bout de 45 minutes à cause du démarrage tardif, et je n’aurai pas le temps de revenir prendre des notes sur ce vin dont je n’ai plus de souvenir.
La révélation de l’identité de ce vin ne fait qu’accroitre mon désarroi car il s’agisssait d’un autre géant, le
Ribera del Duero Vega Sicilia Unico 2009 ☹ :cry:
Mazette ! 10 ans d’élevage !
Vin numéro 7 :
La robe est bordeaux-noire, profonde.
Le nez est ouvert, sur le caramel, le fumé, la vanille, le poivron rouge et l’encens.
La bouche est ample, ronde et fraiche, et elle se développe large dans un second temps. La retro confirme le bouquet tout en y ajoutant des fruits noirs.
La finale est tannique, sur le poivron rouge, et d’une longueur exceptionnelle.
C’est déjà très bon mais clairement trop jeune. 4/5.
Poussé par l’intensité de la robe et la finale tannique, je pronostique une autre cuvée d’Alain Brumont, le Bouscassé Vieilles Vignes 2012.
He bien non, retour à la normalité avec un échec. Il s’agissait du
Ridge Vineyards, Montebello 2014.
Vin numéro 8 :
On accélère car ca commence à mettre la pression pour ramasser les copies.
La robe est bordeaux-noire, profonde.
Le nez est discret.
La bouche est ample, tannique, sur le café et les fruits noirs.
La finale est très longue et très tannique.
C’est bon à très bon mais trop jeune. Il y a du potentiel. 4/5.
Je suis toujours dans ma logique de trouver les 3 cuvées de notre hôte, je propose donc celle que je n’ai pas encore citée, le Madiran Montus Prestige, en millésime 2014.
Ce n’est pas trop mal, car c’est bien un vin du cru:
Madiran Bouscassé Vielles Vignes 2011.
Vin numéro 9 :
La robe est bordeaux, assez intense.
Le nez est ouvert, original, avec une dominante de chamallow et de rose.
La bouche est ample, souple et fraîche, avec des tanins corrects. La retro est sur le jus de viande, les fruits noirs, le café et le cuir. Très belle longueur.
C’est très bon, puissant et complexe, avec un début d’évolution qui marque l’entrée de ce vin dans son apogée. 4/5.
Il me vient une idée saugrenue. Et si nos 3 jurés avaient amené un de leur vin ? Je ne connais pas bien Cheval Blanc, mais le vin dans mon verre ne fait pas très bordelais ; je ne connais pas les vins du Clos des Fées, donc rien à jouer la-dessus. Par contre j’ai goûté les vins d’Alain Chabanon au domaine il y a 3 ans et demi, et sa grande cuvée L’Esprit de Fontcaude pourrait bien correspondre à ce que j’ai dans mon verre. Je propose donc cette cuvée en millésime 2012.
Bingo !
il s’agit du
Montpeyroux L’Esprit de Fontcaude 2010 du domaine Alain Chabanon.
Vin numéro 10 :
On finit au pas de course car on ramasse les copies !
La robe est bordeaux-pourpre, assez intense.
Le nez est ouvert, sur le champignon, le café et les fruits noirs.
La bouche est ample, fraîche, concentrée, avec une légère sucrosité. La retro confirme le nez. Très belle longueur.
C’est très bon à excellent, concentré et gourmand. 4,5-/5.
J’aurais aimé un peu plus de temps pour faire connaissance avec ce beau vin. Je pressens un vin du nouveau monde mais à part ça c’est flou dans la boule de cristal. Je jette Argentine Carmenere 2015 sur ma feuille.
Le nouveau monde étant trop grand, je me suis juste trompé de 12000 km (et de cépage). Il s’agit de l’australien
Grange 2009, Penfolds.
On finit sur un mythe… que je ne suis pas prêt de regoûter vu son prix (plus de 600 euros).
Quand la liste des vins a été dévoilée, j’ai pris conscience d’avoir participé à une dégustation d’exception. Je me suis penché après coup sur le prix de ces vins, pour constater seuls trois d’entre eux sont sous les 100 euros (et même sous les 50) et que 6 d’entre eux évoluent autour et au-dessus des 200 euros.
Voici donc une photo de luxe à environ 2000€ (servez-vous, il n’y a pas de droits d’auteur
) :
Je retiendrai une très belle dégustation, avec quatre camarades pour partager mes impressions.
Elle aurait pu être magnifique si on nous avait laissé plus que 45 minutes ; j’ai ressenti une grosse frustration de ce côté-là sur le moment. Malheureusement, il y avait un déjeuner prévu juste après pour certains, et le temps était compté.
Je retiendrai aussi la trop brève rencontre avec ces trois vignerons : Pierre Lurton, abordable et pétri d’humour, Hervé Bizeul, personnage entier et clivant (tel qu’il se définit lui-même) et Alain Chabanon, humble et authentique.
Et puis, vous savez quoi ? Avec ma note de 5,5/20 j’ai remporté le jeu des devinettes et je suis reparti avec le mathusalem .
Bibi