Discussion de café, glanée ce matin, alors que les nuages commençaient doucement de plomber le ciel parisien.
Lui Il paraît que tu t’es remis à boire du bordeaux?
Satristim Ouais, chassez le naturel, il revient au galop…
Lui S’il te plaît, ne parle pas de Nature. Le Bordeaux, c’est de l’Art, de l’artifice, de l’artefact, ergo de l’exo.
Satristim Tu veux dire que tu pourrais être mon exorciste?
Lui Très drôle… Qu’est ce que tu as bu, alors?
Satristim Des primeurs 2008, échantillon en cours d’élevage (Lavinia)
Lui Et tu vas me dire que c’est un millésime stupéfiant
Satristim Exactement! Enfin, pour être plus précis, je dirai que j’ai été vraiment déçu en bien, comme disent les Vaudois. Je ne m’attendais à rien, et bien… c’est un beau millésime, accessible, sensible, fruité, plus complexe qu’il n’y paraît. Franchement, vu les prix, ne te prive pas.
Lui Tu m’agaces quand tu es lyrique. Déballe un peu.
Satristim J’ai commencé par Malartic Lagravière, le blanc. Au nez, c’est très sauvignon, très variétal (le sémillon someille). En bouche, après une attaque bien vive, sur des arômes variétaux toujours, cela se déploie de manière assez étonnante, sur un certains gras, des notes anisées et une longueur qui m’a enchantée. Bref, un beau Pessac blanc, pour qui saura attendre… Quant au rouge de Malartic, c’est je dois avouer, très fin, soyeux, avec une attaque très belle, un panier de fruits rouges, de cassis et une vraie longueur aussi. Et Malartic donne le « la », avec une conviction : ne pas pousser trop avant l’alcool : un petit 13°. Comme si la digestibilité et la finesse revenait en force.
Lui Fais-moi rire… Parle-moi un peu de Figeac, qui vient juste derrière
Satristim Figeac tente de résoudre la quadrature du cercle. Nez discret. Mêlange de puissance et de fruit. C’est très tannique, mais avec un certain sens de l’enrobement. Et tous les oripeaux d’un vin moderne : notes chocolatées, mentholées, épicées, tarbiscotées, et pourtant, une belle longueur. Ce n’est pas mon style, mais cela reste cohérent…
Lui Et ton style, c’est quoi? Les bordeaux qui pinotent?
Satristim Mon style, c’est le bordeaux qui ont une finesse et une rigueur compassée, légère, profonde, comme cette femme au chapeau qui présentait son Brane-Cantenac. Un de mes coups de cœur de la soirée. Ah, ce Brane-Cantenac… Le nez reste discret, mais alors en bouche, c’est un quatuor : attaque ronde, tannins soyeux, notes épicées, développement en bouche complexe, élégance surannée et margalaise. Je te le conseille, les yeux fermés. Je passe ensuite vers les Saint-Estèphe. Et je suis agréablement surpris pas Phélan Ségur, qui surclasse allègrement Lafon-Rochet ce soir là, bien pâle… Phélan, c’est du fruit rouge au nez, déjà, avec une vivacité, une nervosité qui atteste d’une sorte de juvénilité assez touchante. Une bonne affaire, comme le sont depuis quelques temps les CB exceptionnels de cette appellation. J’ai toujours été assez conquis par les derniers millésimes des Ormes de Pez.
Lui Je te trouve assez complaisant avec nos amis bordelais… Ton sens critique s’étiole, très cher.
Satristim Tu veux savoir ma grande déception? Tu vas rires, ce sont les deux vins de Derenoncourt. Je veux dire, pour éviter toute polémique, deux vins « conseillés » par SD. Je me rends compte que d’Aiguilhe n’est vraiment pas mon style de vin : trop lourd, capiteux, opulent. Un vin de cardinal. D’ailleurs, la jeune fille qui le représentait a bien du avouer finalement que ce vin tirait à près de 14°. Et ces vins me fatiguent, ils commencent de m’écoeurer : c’est crémeux, c’est pâtissier, c’est très tannique, c’est alcooleux. Et au final, l’équilibre s’étiole. Tu les goûtes, tu ne sais pas avec qui tu pourras les boire, ou avec quels mets tu pourra les servir. Je me souviens alors avoir été déçu par l’évolution de mes Domaine de l’A 2004. Et je pense à la petite polémique sur Pavie Macquin 2004. Je passe à Canon la Gaffelière, même sensation générale, même si Canon est clairement plus fin et complexe. Mais encore une fois, je n’arrive plus à adhérer à ces vins. Je pense aux Smith Haut Lafite 2003 que je vais revendre, et autres Fombrauge, Giscours. Changement de paradigme…
Lui Tu te convertis donc à l’élégance anglaise…
Satristim N’oublie pas que ma femme est à moitié britannique… Et c’est vrai, les vins de Anthony Barton sont cette année très beaux. C’est mon deuxième coup de cœur de la soirée. D’abord, Langoa Barton, avec son joli nez sur les fruits rouges, sa tension, ses notes de tabac, ce mêlange de vivacité et de longueur. C’est un vin plus frustre que Léoville, mais terriblement bon, et qui vieillira superbement. Quant à Léoville Barton, c’est d’une finesse… Matière racée, élégante et dense. Développement complexe en bouche. Bref, du travail d’orfèvre, le bleu de Vermeer en plus.
Lui Tu as remarqué la pauvreté de ton vocabulaire d’adorateur de Bordeaux de la Rive gauche?
Satristim Je te demande pardon!?
Lui Oui, tes sensations sont d’un prévisibles, on dirait des balises… Toujours les mêmes clichés : épices, attaque vive, fruits noirs. Cela se réduit à un catalogue de sensations amidonnées.
Satristim Tu as peut-être raison. Tu crois que si je me mettais à l’hermitage, j’arriverai à parler de vin comme une symphonie? De la manière dont il se développe en bouche, comme une armada de notes qui attaquent, puis s’étirent, se tendent, reviennent en force, tout en rétro-résonnant.
Lui Crois moi, arrête tout de suite les métaphores. Qu’est-ce que tu as bu après, m-erde.
Satristim J’ai passe vite sur La Pointe, une caricature de Pomerol aux nuances de pâtisserie et de bonbons anglais. Je botte en touche Camensac, honnête vin sans ambition mais avec une certaine tenue. Je ne suis pas tellement plus convaincu par Chasse-Spleen, même s’il un petit quelque chose en plus. Par contre, j’ai découvert avec un plaisir assez rare Château Beauregard, un Pomerol que j’ai trouvé atypique, peut être à cause de sa grande proportion de Cabernet franc. Je l’ai trouvé racé, équilibré avec un joli nez discret et vif. Un bel élevage. Je tâcherais de m’en procurer, c'est superbe, et pas trop cher…
Lui Et c’est reparti pour un tour… Attends, je suis sur que Cos, c’est une belle attaque ronde et vive, de épices, du balsamique, du cèdre, du tabac, des fruits noirs… (Satristim ne relève pas l'insolence de son acolyte qui s'agace) Eh, tu dors?
Satristim C'est ça, pique moi l'oesophage avec ton cabernet. Je vais reprendre des forces, me ressourcer, avec du vrai, de l'authentique, du nature...
Je les ai laissés, ces deux là, à regarder le fond de leur verre. Il me semble que « lui » a commandé un vieille vigne de chez Alliet, du 2004. En tous cas, ils on lappé la bouteille en moins de 2. Allez comprendre, Alliet, c’est bien du Bordeaux, non?....
Cordialement
Frédéric
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