Je voudrais donner mon petit avis de petit amateur sur la discussion. Bien entendu, cet avis vaut ce qu'il vaut, c'est à dire peu : je n'ai jamais goûté de vins « biodynamiques », et je n'ai même aucune idée précise de ce qu'est concrètement la biodynamie.
Sur N.Joly (puisqu'il est beaucoup question de lui) : je le trouve obtus et sectaire, son intervention est navrante, et la manière dont sa mère et lui se comportent avec une de leurs domestiques (d'après l'un des intervenants) ne l'est pas moins. Je suis très sensible à ce genre d'aspect, et pour moi ça suffit à ruiner l'image du domaine.
Sur la biodynamie : ce qui a été dit de Steiner suffit à me détourner du mot lui-même. Je me suis bien marré également en lisant les interventions de Robert : effectivement, il est certainement plus facile de faire du biologique/100% naturel et apparenté quand tout le monde autour fait autrement. Et c'est vrai que dans une large mesure, on est protégé par les autres, alors qu'on les menace (en cas de problème, cf.cicadelle dorée), ce qui n'est pas vraiment glorieux…
Faut-il pour autant tout rejeter ?
La première dimension à considérer, c'est l'efficacité de la chose. A mon avis, la biodynamie est très largement inefficace. Certes, il y a la Lune (j'ai demandé la Lune…). Et je dois avouer qu'en tant que passionné de jardinage, j'essaie depuis longtemps de travailler avec elle… Sans faire appel aux ondes énergétiques et autres fariboles, il faut bien reconnaître que la lune est capable de faire les marées, qu'elle a une certaine influence sur la croissance de certaines plantes (luminosité, gravité, je n'en sais rien du tout), alors pourquoi ne pas imaginer qu'elle soit capable d'en avoir également une sur la vigne ? Tout n'est donc peut-être pas foireux dans la biodynamie. Mais bon… de là à la sanctifier… On reste encore largement dans l'ordre de la croyance. Et puis surtout, un paramètre comme l'influence lunaire est sans aucun doute négligeable dans la « recette » du bon vin par rapport à d'autres aspects (le terroir, le vigneron, le cépage, etc).
Résumons donc : la biodynamie émane d'un mec très foireux (Steiner), elle est largement portée en France par un type peu estimable (Joly, peu estimable du moins sur le plan humain, je ne nie absolument pas les capacités du vigneron, que je ne connais pas), et elle est très largement inefficace. Et pourtant… Et pourtant, j'apprécie la biodynamie !
Là , il faut faire intervenir une deuxième dimension : la dimension symbolique (on ne rigole pas dans le fond). J'aime le vin pour plusieurs choses. Pour lui-même bien entendu (le plaisir de boire du bon vin) mais également pour toutes les images qu'il transporte : principalement, pour moi, l'amitié (on boit des bonnes bouteilles entre amis), la fête (on marque les étapes importantes de notre vie avec), l'ivresse (on se pochtronne également avec) et… et le lien à la nature. Voilà , on y est : pour moi le vin est la boisson qui symbolise le plus le lien homme/nature en tant qu'harmonie. Et je tiens à cette symbolique. Je ne m'étends pas sur tout ça, vous connaissez, ce sont les poncifs du genre : la vigne, les saisons du vigneron (la taille, la vendange, etc), le « sang de la terre », le bois des tonneaux, le verre (sable+silice+…) des bouteilles et des verres, le liège des bouchons, etc. Quand je bois un verre de vin, j'ai tout cet imaginaire dans la tête, et je vous l'assure, ça compte beaucoup dans le plaisir que je peux éprouver. Bien entendu, je suis conscient de ce qu'est souvent la poésie de la vigne aujourd'hui : le cri langoureux de l'enjambeur au crépuscule, le grain inimitable de la cuve inox, l'écoulement scintillant des insecticides, etc. Et c'est justement pour ça que je trouve la biodynamie intéressante : parce qu'elle s'efforce de remettre la nature au cÅ“ur du métier du vigneron. Je pense que c'est absolument fondamental. Je ne suis ni nostalgique, ni réactionnaire : le vigneron que j'ai en tête, ça n'est pas celui de Pétain (« le retour à la terre » comme ordre moral ancien), c'est celui de Giono (celui qui s'insère dans un ordre naturel atemporel). Je sais bien qu'on est largement dans l'utopie, mais pour moi, c'est le modèle vers lequel il faut tendre, tout simplement parce que c'est le plus beau. Peut-être pas le plus efficace mais le plus beau. C'est pour la même raison que je suis plutôt contre les bouchons en plastique, le levurage ou même l'adjonction de soufre… tout en sachant qu'un vin 100% naturel 100 jus de raisin fermenté c'est certainement pas possible (cf. le soufre – oui, je suis pas maso non plus, le plaisir gustatif a aussi son importance). Donc voilà , la biodynamie a, pour moi, au moins ce mérite : elle redonne au vin la « charge » symbolique qui fait toute sa beauté, elle replace au centre du métier du vigneron ce qui fait « LE VIN ».
Pour terminer, je voudrais faire un peu d'anticipation, pour essayer de montrer pourquoi cette question est importante (enfin, pour moi elle l'est). Le vin, aujourd'hui, c'est beaucoup, et de plus en plus de tune. Imaginons donc que demain, Coca Cola s'intéresse au secteur et se mette à faire du vin… Haha, me direz-vous ! Oui mais voilà : avec les ressources financières que cette entreprise a, je pense sérieusement qu'ils sont capables de faire du très bon vin. Du vin certainement très technologique, mais d'un point de vue gustatif très bon. Aurais-je autant de plaisir à boire ce vin ? Pour certaines personnes sur LPV, il semble que oui (« ce qui compte, c'est ce qu'il y a dans le verre »). Pour moi, non, incontestablement. Ce qui compte, c'est non seulement le vin, mais également, une fois de plus, toutes les images qu'il transporte : l'amitié, l'ivresse, la fête, le lien à la nature. Avec mon vin Coca Cola, je suis persuadé que toutes ces images ne peuvent que s'effondrer pour laisser la place à d'autres : la marque, la mode, la technologie employée, etc. Coca Cola au service du vin (de l'image que je m'en fais), je n'y crois pas. Du vin Coca Cola, ça n'est plus du vin (pour moi). Le problème, c'est que ça existe déjà et que ça se développe (avec comme archétype les grandes firmes australiennes de type Southcorp). Conclusion : je veux bien que le millésime 2015 de Coca Wine Premium éclate tous les autres vins à l'aveugle, même pour moi, mais ça ne m'empêchera pas de lui préférer un vin fait (et non « produit ») par un vigneron amoureux de sa vigne genre Robert. Et pour moi, l'existence de ces vignerons, c'est la grande fierté des vignobles français, italiens, allemands, et des autres là où ils existent (en Espagne, aux Etats-Unis, en Scandinavie (bah oui, Odin, il boit que du vin) ou ailleurs), même si selon Business Week c'est leur grande faiblesse (ce qui est peut-être vrai également mais on s'en fout). Et pour moi, la biodynamie, c'est utile pour ça ; pour promouvoir une vision de ce qu'est le vin, une vision à laquelle je tiens. Bon, ça va ça va, excusez-moi, j'arrête…
Amicalement,
Horacio