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Ma première visite au domaine de la Romanée Conti

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Comme certains d'entre vous ne dédaignent pas de lire mes aventures, je vous copie le récit de ma première visite à la Romanée Conti.
Je n'ai pratiquement pas visité de domaines, car comme je n'achète pas de vins récents, je n'aime pas déranger les gens.
ça commence par des remarques diverses, pour se mettre l'eau à la bouche.
Bonne lecture, mais ne vous endormez pas avant la fin !

A l’occasion d’un dîner impromptu je dégustai à l’aveugle un Corbières 1999 Château d’Auzines que j’ai largement surestimé. J’étais en train de rêver à je ne sais quel premier cru. Peu importe que je me trompe puisqu’il le mérite. Mais il fut confronté à Lafite Rothschild 1983 et j’ai mesuré l’évidente différence. Je ne regrette pas d’avoir succombé au charme d’un Corbières bien fait. Ce qui justifie l’anecdote, c’est un phénomène assez troublant : ayant devant moi les deux vins, j’ai essayé de me souvenir pourquoi j’avais tant estimé le Corbières. Et après avoir eu en bouche le Lafite, j’étais incapable de retrouver les sensations initiales. Même en me concentrant, en essayant de ne voir que le positif, je ne retrouvais rien du charme qui avait justifié ma flamme. Le vin restait bon, mais n’avait plus cette étincelle que je lui avais trouvée. Intéressant de voir comme le goût devient influencé soit par la proximité d’un autre vin, soit par la connaissance de son origine. C’est une expérience à refaire, pour analyser cette transformation du goût subjectif.

Continuant les rangements de cave avec des bras forts et secourables, j’ouvre à la pause du midi un Haut-Brion rouge 1974. Quel étonnement. Il ne faut plus jamais dire que 1974 est une petite année ! Ce vin inspiré avait un nez dense, une expression de beau Haut-Brion, et respirait à plein poumon son envie de briller. Bien sûr, en dégustation comparative en verticale, il serait classé dans le troisième quartile au sein de millésimes traditionnels, mais là, sur une petite pause de travailleurs, ce fut un vin de réel bonheur.

Parmi les vins ayant souffert que j’ouvre pour ne pas les jeter, un Rausan Ségla 1924 à niveau bas. Un nez magnifique de porto, de caramel de vin. En bouche, sous les blessures évidentes, de jolies évocations de saveurs soyeuses. C’est difficile à boire longtemps, mais on lit avec émotion le dernier cri de la bête blessée. Le vin central du repas est un Pichon Longueville 1970. Ce qui frappe immédiatement, c’est son caractère intemporel. Il a atteint un équilibre assumé. Il respire la sérénité. Belle longueur, belle rondeur, jolie appropriation des papilles. La deuxième caractéristique, c’est qu’on serait bien en peine de lui donner une région dans le bordelais. L’équilibre atteint est celui des vins accomplis, et dans ce cas, toute aspérité ou tout type disparaît. C’est un androgyne complet. Un vin bien agréable à la technique parfaite.

Alors que je ne visite quasiment jamais les domaines qui font du vin, je me rends par une maussade journée d'automne au Domaine de la Romanée Conti. Un caprice du temps dégage un beau soleil froid au moment où Aubert de Villaine me montre les vignes du Domaine. Les pentes sensuelles de la Tâche, la discrétion apparente de la parcelle de la Romanée Conti, alors que l'on pressent tout ce qui a pu créer cette exception, magique travail en sous-sol, tout cela s'étale devant mes yeux conquis. Je suis tellement respectueux du sens de l'histoire que ce spectacle me laisse muet. Les limites de la Romanée Conti n'ont pas été modifiées d'un pied depuis 1580 et cela rassure. Il y a tant de beaux esprits qui pensent qu'avant eux le vin n'existait pas. L'or des Scythes nous montre l'ancienneté du génie humain. Par les couleurs d'automne des feuilles de vignes, l'or des sites du Domaine de la Romanée Conti montre la prééminence du terroir mis en valeur pour l'éternité.

Tous les locaux du Domaine fleurent l'austérité. Pas question de montrer que l'on est les plus grands. Cette pudeur me convient. Aubert de Villaine me rappelle que la bataille de la qualité se joue sur les grappes, et donc dans les vignes. C'est la sagesse. Je goûte les 2002. L’Echézeaux est assez limité, Grands Echézeaux très plaisant, Romanée Saint Vivant un peu perlé ce qui gène l'analyse, Richebourg magnifique de rondeur élégante et de longueur, La Tache énigmatique et brutal, combinant un nez féminin à un corps de brutal guerrier, et enfin la Romanée Conti, chef d'oeuvre de complexité, mais c'est la diva en nuisette et non fardée qui n'est pas prête à entrer en scène et exprimer son talent que l'on sent présent. Je ferai de ce parcours deux remarques : comme je n'ai pas de repères pour les vins jeunes, je ne peux pas dire comment 2002 se situe par rapport aux autres années. Et je m’interroge sur la faculté de prévoir ce que ces vins seront dans dix ans, tant la seule ébauche que j'ai bue est frêle. Tout jugement à long terme est une spéculation, tant il est évident que les pièces du puzzle de chaque vin vont patiemment et lentement s’assembler.

Après cette visite en cave, dans un autre caveau, on goûte une Romanée Conti 1975. C'est une des années les plus faibles du Domaine, mais on sent la complexité de la Romanée Conti. Il y a des cotés flamboyants qui rappellent les plus belles Romanée, et une blessure qui tend à limiter le plaisir. Le reste de bouteille va se modifier aussi bien au déjeuner qu'au dîner.

A table un Montrachet 1967 du Domaine de la Romanée Conti se présente sur une assiette de charcuterie. C'est amusant, car ayant pensé avant le voyage à ce que je boirais, je m'étais mis à rêver d'un Montrachet sur du saucisson. Etait-ce prémonitoire ? Je l'avais devant moi. Très Meursault citronné à l'ouverture, ce blanc magnifiquement doré de cuivre jaune décoche des flèches redoutables. Puis quand il s'ouvre, quelle bombe de goûts étranges énigmatiques et excitants. Richebourg 1965 du Domaine de la romanée Conti, c'est intéressant, un peu déstructuré, et sans grande longueur. Un Richebourg 1964 lui succède, et là, quelle explosion ! On a tout le charme de la Bourgogne, avec ses subtilités extrêmes. La Romanée Conti 1975 est en train de s'épanouir et de se restructurer. On sent tout ce qui fait le charme de ce grand vin, même si c’est encore timide. Un Grands Echézeaux 1948, dès la première gorgée, me rappelle combien le monde des vins anciens est une réserve de bonheur. Il est diablement complexe, et apporte une dimension qui n'existe pas dans les vins plus jeunes. J'avais pris dans ma musette un Yquem 1966 pour qu'on se souvienne qu'en une autre région, on fabrique des lingots d'or du plus pur plaisir. Nous avons devisé sur la valeur des choses, les passions que provoquent et procurent les vins et j'ai pensé en rentrant à Paris combien est grande la magie des terroirs, puisqu’il suffit de quelques mètres de distance pour que des parcelles offrent au palais des sensations si différentes et si typées.

Je quitte le domaine pour aller rencontrer Nicolas Méo dont je n'arrête pas de vanter les vins. Nous ne nous connaissions pas, mais nous avions conversé par e-mail, car je voulais lui faire savoir l'admiration que je porte aux vins de son domaine. En cave, il ouvre un Corton 1959 Méo Camuzet. Dans une cave froide, le vin à peine ouvert, il ne faut pas s'attendre à des miracles. Et tous les vignerons qui font goûter leurs vins dans ces conditions savent-ils bien les hauteurs que peuvent atteindre leurs vins ? Comme nous avions beaucoup de choses à nous dire, nous avons attendu que ce vin s'exprime, mais ce fut long. Et quand il atteint, vraiment lentement, sa fenêtre de tir, quel régal ! Un vin rond, féminin, de plaisir.

Je quitte ces deux domaines, ravi d’avoir touché de près le rêve et la perfection. Comme on m’avait proposé de garder des flacons, pour que les fonds de bouteilles égayent mon dîner, j’appelle au plus vite un ami à partager ces merveilles. Et ce soir là, caprice du vin, les surprises sont au rendez-vous. D’abord les vins sont très nettement meilleurs. Ils ont pris de l’oxygène, ce qui leur a fait du bien, et n’ont pas souffert du voyage. Le Richebourg 1965 est complètement transformé. Il est devenu accompli, brillant, et a gagné une longueur extrême. On l’a ressuscité alors que le 1964, qui avait brillé au déjeuner avait sans doute estimé qu’il en avait suffisamment montré. La Romanée Conti 1975 avait perdu toutes ses petites faiblesses et l’on comprenait vraiment tout ce qui fait le charme de ce vin. Avec mon ami, nous nous faisions la remarque qu’il s’agit d’une des plus belles bouteilles de la Romanée Conti que nous ayons bues. Comment après cela se fier aux hiérarchies écrites dans les livres ? Le Grands Echézeaux 1948 brillait encore mais légèrement moins, tout en confirmant l’extrême complexité de ces magiques vins anciens. On s’amusa à classer les vins, le 1948 étant en tête, ex aequo avec le 1965. Le 1975 venait ensuite puis le 1964, alors qu’à midi, j’aurais classé 1948, 1964, 1975, 1965. Bienheureux les dégustateurs qui peuvent donner des jugements péremptoires et définitifs.

J’ai ouvert au cours de ce même dîner une bouteille de Rausan Ségla 1924 du même lot que la bouteille bue quelques jours plus tôt (voir ci-dessus). Elle apparut brillante, sans trace de blessure, et trouvait toute sa place à coté des vins du Domaine.

Pour finir ce dîner où les vins du midi étaient devenus nettement plus brillants, je voulais porter un toast en hommage à mes hôtes du Domaine. Ce fut avec une Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979, sensuel alcool qui mettait un point final à une journée de rêve absolu.
09 Oct 2005 23:25 #1

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Eh bien pour une première visite,je note que Mr de Villaine n'a pas été chiche.
au delà de l'intérêt que j'ai pris à lire ce magnifique compte-rendu si bien écrit,
j'aimerais savoir si l'oenophile lamda a une chance de se voir déboucher d'aussi belles bouteilles lors d'une visite(si cette dernière reste possible?)
je suis prêt à apporter ma contribution en apportant également une bouteille d'YQUEM
de millésime respectable.
vous m'avez fait saliver et c'est déjà ça!
bertrand
bien à vous.
10 Oct 2005 13:50 #2

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François,

J'ai commenté il ya peu l'Echézeaux 2002 (vs le même cru sur 99 et 89) ainsi que l'immense Montrachet 2002, insucrpassable semble-t-il !
L'Echézeaux 2002 nous a fait forte impression.

Vous trouverez aussi dans les archives un très beau commentaire de IVV sur la Romanée-Conti 1975 (la formulation de Pierre Citerne, muet sur ce site malheureusement, devrait particulièrement vous plaire).

Malheureusement, je ne suis pas en mesure de rebondir sur les autres pistes de prestige que vous citez !
10 Oct 2005 17:01 #3

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L'amateur lambda n'a aucune chance d'avoir cette réception, et la Romanée Conti ne se visite pas, sauf exception.
Je crois qu'il faut lire mes histoires comme des histoires.
Si de Kersauson raconte ses aventures sur des bateaux de 30 mètres de long et 20 mètres de large, je n'ai aucune chance d'y être dessus.
Il faut prendre ça comme ça vient, sans forcément penser à soi-même.

Quand j'ai été reçu à Bonneau du Martray, Jean Charles de la Morinière m'a fait ouvrir (car il a tenu à apprendre mes méthodes) un Corton Charlemagne 1930. On imagine volontiers que l'amateur lambda n'y aura pas droit.

Moi-même, je n'ai pas droit à ce qu'on ouvre pour Michael Braodbent, et c'est bien ainsi. Je ne le mérite pas.

Une remarque qui a son importance : je reçois tout cela comme des cadeaux du ciel, et ça ne me donnera jamais la grosse tête. Je le raconte parce que c'est peut-être intéressant.

Je reviens juste (d'où l'heure tardive) du concours du meilleur caviste mondial indépendant. C'est un prix donné par Laurent Perrier. Le jury de six personnes comprend des personnes éminentes dont Enrico Bernardo, et je suis dedans. Ce n'est certainement pas pour ma compétence que je suis dans ce jury. Donc je me calme. Mais je raconte ce que je vis, parce que beaucoup de gens aimeraient vivre ce que je vis. Et autant le dire plutôt que de le cacher.

Je précise pour le cadeau. Apporter un vin de la DRC à la Romanée Conti, ce serait assez nul. Même si j'ai des RC que le domaine n'a pas. J'ai pensé que Yquem, puisque je suis lié d'amitié avec les deux hommes qui font ces vins, c'est plus adapté. Dans un cadeau, c'est sa personnalité que l'on projette.

Je suis content si ce récit vous a plu, même si la probabilité que vous ayez le même accueil est variable selon les lecteurs.
11 Oct 2005 01:05 #4

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François,

j'apprécie bcp vos récits, votre perception poètique ainsi que votre sensibilité aux différentes lumières. Je trouve aussi passionnant d'assister à l'évolution de (vieux) vins dans le verre. Je me suis toujours demandé comment faisaient les prof. de la dégustation pour analyser/cataloguer un vin en 40 sec ... tout en recrachant.

amicalement
11 Oct 2005 11:04 #5

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Claudius,

Ils font comme ils peuvent, dans d'autres modes d'analyse du vin !
11 Oct 2005 11:17 #6

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