Visite au domaine François et Julien Pinon
J’avais rendu visite il y a une bonne quinzaine d’années à ce domaine, au top de l’appellation Vouvray. Je suis depuis client et j’en achète régulièrement, même si pas tous les ans (il faut bien varier les plaisirs
et tout en se limitant à Vouvray et Montlouis on a une belle offre à notre disposition), mais j’avais vraiment envie d’y retourner.
Un déplacement Nantes – Bourges en a été l’occasion même si quelqu’une m’a fait remarquer que cela avait fait un détour total d’une heure plus une heure et demie de dégustation…
C’est Sandrine qui m’accueille et va m’accompagner au cours de cette belle dégustation. Fort conviviale, elle s’avère surtout très compétente et je vais comprendre plus tard pourquoi : elle a obtenu le certificat de spécialisation en viticulture biologique à Amboise, a fait un stage à cette occasion au domaine Pinon puis y a été embauchée il y a cinq ans. C’est le même certificat qu’a obtenu Julien, fils de François, un an plus tard avant de reprendre la direction du domaine. Le biseau entre père et fils s’est très bien passé et François, maintenant à la retraite, est toujours là pour donner un coup de main en cas de besoin.
Julien n’a pas fait la révolution, ni à la vigne ni en cave, et il est au contraire dans la continuité mais il faut dire que François avait mis le domaine sur de très bons rails ! Il a juste introduit deux nouvelles cuvées de pétillant naturel avec deuxième fermentation en bouteille sans liqueur de tirage, en utilisant les sucres restants après blocage de la fermentation alcoolique.
Le domaine est conduit en agriculture biologique depuis 2003. Des essais de biodynamie ont été réalisés par François il y a quelques années et Julien pourrait être tenté mais ce n’est pas à l’ordre du jour, la priorité étant de chercher à s’adapter aux changements climatiques avec de nombreux gels, épisodes de grêle et de sécheresse.
Le tableau des rendements est d’ailleurs intéressant de ce point de vue ; il montre également que le domaine est dans une moyenne plus que raisonnable sachant que les limites de l’appellation sont de 52 hl/ha pour les vins tranquilles et 70 hl/ha pour les vins pétillants et que le domaine produit à peu près autant des deux types.
La répartition des ventes est d’environ 45 % à l’export, 35 % pour les particuliers et 20 % pour les cavistes et CHR. Les USA prenant une part importante de l’export, c’est donc dès 2019 que les difficultés ont commencé pour la commercialisation.
La salle de dégustation est creusée dans le tuffeau et le contraste de température est saisissant : 35 ° dehors et sans doute environ 15 ° dedans ! J’aime bien les dégustations de ce type par temps de canicule ! Au fond sont creusées des galeries pour la conservation des vins en bouteilles.
Et la veine de silex noir dans cette galerie permet de visualiser une partie du terroir d’un vin qui va ensuite être dégusté.
Allez, c’est parti pour une large dégustation, même si je vais rester raisonnable et ne pas tout goûter ce qui m’est proposé… Eh oui, on peut faire des choses très différentes avec du chenin, mais je ne vais pas l’apprendre aux LPViens…
Vouvray méthode traditionnelle – Brut – 2017
Elevage de deux ans sur lattes. 10 g de SR, 5 g/l d’acidité totale et pH 3,22.
Une belle aromatique de fruits secs agrémentés de notes grillées, une bulle franche et abondante et de fins amers en finale, juste ce qu’il faut pour la soutenir.
Bien +
Vouvray sec – 2019
Sol d’argile à silex avec sous-sol calcaire, élevage de quatre à cinq mois en tonneaux de plusieurs vins. 12,5 °, 6 g de SR (on est donc à la limite du sec-tendre), 5 g/l d’acidité totale et pH 3,2.
Le nez ravit par son aromatique intense et avenante, mêlant tisane (tilleul), citron et fruits blancs.
La bouche combine judicieusement volume, sapidité confortable et acidité, avec une finale longue et salivante.
Très Bien (+) : on commence très fort pour ce premier vin tranquille !
Vouvray sec – Les Déronnières – 2019
Parcelle sur argile avec sous-sol calcaire, élevage de quatre à cinq mois en vieux foudres de grande contenance. Mêmes caractéristiques analytiques que pour le sec générique.
Le nez est plus racé, des notes crayeuses d’un bel effet apportant de la complexité, donnant une impression de puissance contenue.
La bouche est dans la lignée, concentrée et classieuse, mais demandant plus de temps pour se libérer.
Très Bien à l’instant mais devrait aller bien plus haut.
On passe aux secs 2018 et c’est l’occasion de faire une comparaison entre ces deux millésimes. S’ils se ressemblent assez du point de vue climatique (années chaudes et surtout sèches), 2019 a permis de sauvegarder plus d’acidité dans les vins, grâce à des dates de vendanges légèrement avancées tout en trouvant le bon équilibre entre maturité alcoolique et maturité phénolique. De ce point de vue, 2018 a sauvé l’essentiel car Sandrine a constaté, heureusement seulement sur les derniers raisins rentrés, que l’acidité s’écroulait, mais c’était très net !
Vouvray sec – 2018
13,5 °, 8 g de SR (on est donc sur un sec-tendre), 4,1 g/l d’acidité totale et pH 3,27.
Si le supplément d’alcool n’est pas ressenti, les deux grammes de SR le sont nettement. L’aromatique est également plus riche et c’est la tension en finale qui remet le vin sur ses rails.
Bien +(+) mais moins mon style alors que d’autres pourraient encore plus apprécier.
Vouvray sec – Les Déronnières – 2018
13,5 °, 8 g de SR (on est donc sur un sec-tendre), 4,7 g/l d’acidité totale et pH 3,14 (pi, il y a pire comme pH !).
Le nez est bien ouvert, fin et complexe.
La matière généreuse en bouche est plus libérée que sur le 2019, donnant certes un équilibre cossu avec coffre et volume mais sans aucune pesanteur.
Bien ++ / Très Bien
Vouvray demi-sec – Les trois argiles – 2017
Sol composé d’argiles et d’argiles à sable, avec sous-sol calcaire.
12,4 °, 17,3 g de SR, 5,3 g/l d’acidité totale et pH 3,22.
Le nez très fruité puise dans la gamme des fruits jaunes avec notamment le coing, et des fruits exotiques (mangue).
Le sucre est bien intégré à la matière irréprochable, le support acide procurant une bonne persistance.
Bien ++
Vouvray demi-sec – Silex noir – 2019
12,5 °, 25 g de SR, 5,1 g/l d’acidité totale et pH 3,15.
Sol d’argile à silex noir avec sous-sol calcaire.
Le nez est complexe, avec sur une base bien fruitée des arômes plus légers, floraux et minéraux.
La sucrosité se ressent forcément plus mais ce n’est pas aux dépens de l’équilibre grâce à une belle vivacité et une matière pleine et bien assise. L’allonge n’est pas en reste.
Très Bien
Vouvray demi-sec – Les trois argiles – 2019
Mêmes caractéristiques analytiques que pour le Silex noir 2019.
Au nez comme en bouche, cette cuvée est plus charmeuse et ronde mais un peu moins complexe et tendue que la précédente.
Bien ++ / Très Bien
Vouvray demi-sec – Le 2016 – 2016
Cette cuvée est ainsi nommée car les raisins récoltés, en faible quantité en raison du gel, ont tous été utilisés dans cette seule cuvée de demi-sec. Il s’agit donc d’un assemblage de terroirs d’argiles et de silex.
13,1 °, 22 g de SR, 5,9 g/l d’acidité totale et pH 3,07.
Le nez apparait logiquement plus évolué et complexe, ajoutant des notes fumées et presque truffées à une aromatique basée sur les fruits confits, témoins de la richesse de la matière.
Celle-ci se retrouve en bouche avec une opulence que seule une acidité pointue vient maîtriser dans la longue finale.
Très Bien
Vouvray moelleux – 2016
Sol composé d’argile avec sous-sol calcaire.
11,85 °, 74 g de SR, 5,5 g/l d’acidité totale et pH 3,12.
Le beau nez exhale un beau fruité en explorant la gamme des fruits exotiques mais aussi des fruits jaunes, avec de l’abricot et du coing.
La bouche n’affiche absolument pas ses SR qui se fondent dans une matière pleine sans beaucoup de développement aromatique. La vivacité alerte participe à l’harmonie de l’ensemble.
Un vin de nez plus que de bouche qui est peut-être dans une phase de semi-fermeture, mais tous les éléments structurels sont bien présents pour être confiant dans l’avenir.
Bien ++ / Très Bien
Vouvray – Brut spontané – 2019
Il s’agit d’un des deux pétillants naturels, celui-ci à base de chenin et le rosé à base pour moitié de côt et pour moitié de grolleau.
4 g de SR, 5 g/l d’acidité totale et pH 3,15.
Je n’avais pas prévu de goûter ce vin mais ma chère et tendre m’a rejoint, sans doute pour me signifier qu’elle commence à trouver le temps long… Du coup elle se montre intéressée par cette cuvée…
Sans doute en raison de l’effet de séquence, le caractère sérieux de ce vin (en fait un extra brut) est renforcé pour paraître rigoureux, avec notamment des amers trop prononcés.
Il est temps de repartir, non sans avoir mis quelques cartons dans la voiture et surtout d’avoir remercié Sandrine pour son accueil et ses réponses détaillées et argumentées. Je lui renouvelle chaleureusement mes remerciements car elle a su faire oublier l’absence de Julien et François Pinon, pris par ailleurs.
Il est d’ailleurs remarquable que le domaine dispose dans la salle de dégustation d’un tableau donnant toutes les caractéristiques analytiques des cuvées à la vente. Cela me permet de rebondir sur la remarque d’Eric, faite un peu plus haut, qui annonçait que le domaine avait eu de bonnes acidités jusqu’au millésime 2015 compris. Certes ce tableau ne donne pas ces caractéristiques pour une même cuvée sur les millésimes 2015 à 2019 mais il me semble que 2016 a encore de très belles acidités, sans doute au niveau de 2015 voire au-delà. Il est vrai que cela chute en 2017 et surtout 2018 avant une remontée bienvenue en 2019.
Jean-Loup