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des vins comme je les aime

  • François Audouze
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des vins comme je les aime a été créé par François Audouze

Ce message est écrit dans l'esprit de mes bulletins, pas dans l'esprit de ce forum. C'est la façon dont j'aborde les vins, plus intéressé de les voir briller sur une cuisine exacte que de les juger.

Une idée avait pris corps. L’ami qui nous avait enseigné l’art de Marc Veyrat viendrait cuisiner dans notre maison du Sud pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. Il arrive par avion, les bras chargés de cadeaux.

Il est donc opportun d’ouvrir un champagne Salon 1988. Très différent du 1985, il est d’une rare élégance. Il est évidemment puissant, mais ne le montre pas. Il préfère décliner des parfums et des saveurs de pure distinction. Un très grand champagne floral, fruits frais, charmes orientaux. L’option de la poutargue va le typer, sans lui enlever une once de charme. Seule la longueur est à peine affectée.

Une omelette au foie gras et cèpes va se marier à ravir avec un Pavillon sec du Château Guiraud 1964. L’étiquette est amusante, car son design est assez primaire. Mais elle est aussi assez gravement mensongère, car on met en avant : « premier grand cru Sauternes », alors que ce vin sec ne l’est pas. C’est un peu comme si Mouton-Cadet mettait « premier grand cru classé ». En fait ça n’a pas d’importance, car ce vin est extrêmement bon. Très expressif, citronné, fruits jaunes, il montre une forte empreinte en bouche et une longueur rare. Vin de grand plaisir comme le fut le Côtes du Jura blanc 1969, il émerveille par son insistance en bouche. J’aime quand de tels petits vins brillent au moment opportun.

Le matin, à J-2 du réveillon, j’organise un briefing pour définir les accords, les plats, les achats et les approvisionnements. Les bouteilles de ce dîner sont montrées, pour que l’on sente ce qui va leur convenir. La Mission Haut-Brion que je situe vers 1915 appelle obligatoirement une truffe, c’est le consensus unanime de notre conseil d’administration. Je suggère pour le Gilette crème de tête 1949 des mangues et des agrumes, pamplemousse rose par exemple. Notre chef ami a envie d’essayer ce soir un dessert. L’idée séduit. Je range les bouteilles, les plans sont faits.

Nous voilà le soir. Sur une pissaladière, tarte aux oignons agrémentée d’olives, anchois et autres goûts provençaux, le champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 glisse fort aimablement. Champagne agréable, sans histoire, qui se boit bien. Mieux que cela, c’est un grand champagne.

Le faux-filet venu de Paris provient d’une limousine de l’Aveyron élevée en liberté. La viande a rassis cinq semaines. Des tagliatelles de courgettes au thym citronné et un jus provençal donnent à cette viande au goût intense une originalité rare. Le Mas de Daumas Gassac rouge 1999 est d’un fruit chantant. On sent le cassis et la mûre qui dansent en bouche. Mais c’est le thym citronné qui met en valeur le vin, le rendant d’une émotion qui se combine astucieusement au discours des fruits joyeux. En bouche le vin est beau. On ne peut pas imaginer à quel point le thym citronné l’a encouragé.

C’eut été dommage d’essayer le vin suivant sur la viande. Des fromages dont certains étaient adaptés, mais surtout des restes de la pissaladière ont accompagné le Terrebrune, Bandol 1990, animal, intense. Le fruit n’est plus là. Le vin s’est développé, a pris une trace un peu austère. Mais quel grand vin. Il a simplifié son message, comme le graphisme d’un Gauguin qui résume la sensualité d’une femme, et il en est encore plus grand. Selon les circonstances, on jugerait l’un des rouges devant l’autre. Point n’en est besoin. En fait, le Terrebrune est plus majestueux. Mais la pétulance généreuse du vin de l’Héraut lui donne un charme rare.

La mangue, qu’il fallait bien essayer avant le réveillon - tout prétexte est bon - se présente sous la forme d’un millefeuille de mangues poêlées et pamplemousses roses au miel d’acacia, coulis exotique amer. Et le Monbazillac Louis Bert 1962, bouteille d’une beauté absolue, par l’étiquette au design étonnant et la couleur intense de ce liquide doré trouve dans le plat la même exactitude que celle que l’on avait ressentie dans l’alliance du homard de Yannick Alléno avec un divin Duhart-Milon 1962. Tiens, c’est la même année ! Le Monbazillac, s’il était jugé dans des jurys froids et cliniques serait analysé comme léger, simple, limité en puissance et en trace. Là, avec ce dessert absolument divin, celui qui centré sur des goûts primaires, sait servir le message des vins, le Monbazillac devient sublime. Quand on a la bouche vide, si l’on siffle l’air avidement dans le palais, on est incapable de dire si le goût que l’on ressent est celui du dessert ou du vin, tant l’osmose est parfaite.

Comme pour me narguer, comme pour afficher la fierté du créateur, mon ami déclara : je ne refais jamais deux fois le même plat. Tu auras autre chose dans deux jours sur le Gilette 1949. Je tenais une perfection. Je devrai donc attendre. Nous verrons.

Nous avions précautionneusement gardé pour le déjeuner suivant la moitié du Monbazillac. Le chef le sent pour se remettre en tête son organigramme. Il nous sert des foies gras poêlés et coings, émulsion à la mandarine qui sont la représentation la plus exhaustive d’un vin qui aurait pu être liquoreux mais avait laissé son sucre en chemin. L’accord est éblouissant. C’est sublime. Et l’on voit à quel point une cuisine exacte permet à un vin de devenir grandiose. Le plat l’a vêtu d’habits de lumière. Ce Monbazillac 1962 fut, sur une mangue et aujourd’hui sur un foie gras, un vin de bonheur.


Cordialement,
François Audouze
30 Déc 2005 17:33 #1

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Voici la suite, car il ya certains LPViens qui la liront.

Le soir, veille du réveillon, des envies culinaires se débrident. Un foie gras cru sur du simple pain se grignote sur les premières gouttes d’un champagne Salon 1995 en magnum. Le champagne, juste ouvert, est un jeune homme bien poli. Très BCBG, le foie gras le rassure, sans le faire sortir de son conformisme ouaté. Nous passons à table et des huîtres n°2 de Quiberon de pleine mer font éclater le Salon. Je deviens fou, tant l’iode et le sel propulsent le Salon dans des séductions de première grandeur. Que cette association est grande ! Le Salon 1995 est évidemment un gamin, mais la taille magnum le rend accessible. Et cette huître ! Quel accord incomparable. Les mêmes huîtres, mariées à un sabayon de camembert à la cardamome ont fait surgir de nouvelles saveurs d’un champagne prêt aux accords les plus compliqués. La cardamome donne au Salon une longueur rare.
Le dos de chevreuil de Sologne, sauce aux olives noires et groseille, purée de céleri rave, d’une incomparable dextérité, va côtoyer deux vins. Le Rimauresq, Côtes de Provence 1993 est un vin au fruité expressif. C’est la chair d’une perfection rare qu’il adore. Et le Bandol, Moulin des Costes 1983, d’une animalité affolante, et d’une justesse rare, a épousé la groseille. L'olive noire est évidemment son compagnon naturel. On le sent vibrer sur la viande délicieuse. Et la folie vient de la groseille. Quelle jouvence culinaire ! Et ces deux vins du Sud, si complémentaires, ont chacun capté une composante du plat. La chair pour l’un, la groseille pour l’autre. Et le céleri adoucit tout cela.
Des fromages font appel à d’autres caractéristiques de ces grands vins du Sud, et le dessert arrive. Poêlée de coings, caramel d’absinthe, tuiles au miel d’acacia. Le champagne Salon 1995 va s’imposer lentement, car il faut que nos palais s’adaptent. Et quand on a compris que c’est l’absinthe qui sublime le Salon, alors on nage en pleine perfection.
Ce soir ce n’était pas les vins qui avaient la vedette, mais les vins par les accords. L’huître sur le Salon est un choc total, un coup de poing dans le cœur. La groseille sur le Bandol 1983, c’est un instant de bonheur pur. Et l’absinthe qui révèle le Salon, c’est l’atteinte d’un nirvana culinaire. Ce soir, les vins avaient besoin d’un partenaire. Mon ami était là.


Cordialement,
François Audouze
01 Jan 2006 18:42 #2

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Réponse de Winer Jammer sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Bu il y a un peu plus d'un an, j'avais trouvé le Terrebrune 90 animal et intense, effectivement, avec toutefois de la figue aussi. Puissant et explosif au nez, très solide en bouche, il m'avait plus impressionné que séduit finalement.

Winer

La Pomerol Attitude
winerjammer.site.voi...
01 Jan 2006 22:26 #3

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: des vins comme je les aime

C'est là qu'intervient le goût personnel, car je suis très sensible à ces vins, au discours assez simple, mais qui ont du sentiment.
En plus, bus dans le Sud, ils ont une autre dimension.
Nota : je ne me remémore pas la figue. Il faudra que j'y pense lors d'une prochaine occasion.


Cordialement,
François Audouze
01 Jan 2006 23:05 #4

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Réponse de RaymondM sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Voici ce que j'avais noté en décembre 2004

Champagne Salon 95
Blanc de blancs
Robe or , bulles très fines , lentes à remonter , signe de vin concentré .
Nez très aromatique, brioché, mûr, arome de pomme au four, vanille, abricot
puis camomille.
En bouche attaque franche, minéralité, rondeur , mais en même temps vivacité et fraicheur.
Très grand vin. Presque trop riche à mon gout comme champagne.
Tout de même près de 3 fois le prix de Bollinger 96 : on peut réfléchir!

Ce vin accompagnait remarquablement bien un"Godiveau de bar aux coquillages jus de piquillos" excellent plat préparé par Yannick Alleno.
Bien que je n'aime guère les bulles au cours d'un repas. Mais Salon c'est effectivement autre chose que simplement du champagne.
01 Jan 2006 23:36 #5

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Raymond,
Votre message est intéressant.
La description est très belle.
Puis il y a une considération financière.
Paris Madrid vaut trois fois moins cher que Paris les Seychelles. On ne peut pas toujours aller à Madrid.
Et pour le plat de Yannick Alléno, pas de considération financière, alors qu'un seul plat vaut plusieurs repas à d'autres endroits. Or on peut de temps en temps se faire plaisir.

Personnellement j'essaie de garder les considérations financières au moment de l'achat : ce vin vaut-il que je l'acquière?
Et quand je décide de l'ouvrir, j'essaie de ne plus penser au prix. Un vin est bon s'il est bon. Pas s'il n'a coûté que peu d'argent.
Je sais que c'est difficile de toujours faire abstraction, mais je cherche à bien séparer les deux fonctions : achat (on parle de prix) et dégustation (on n'en parle plus).

Sur le sujet du Salon 1995, lorsque je l'ai goûté, le jour de sa sortie officielle, j'ai trouvé le vin en bouteille très vert, et presque imbuvable (parce que c'est trop tôt). Mais la différence avec le magnum était spectaculaire : le magnum se buvait bien.
C'est un phénomène fréquent en champagne, le magnum embellit le champagne.
Objectivement, c'est encore trop tôt de boire les 1995.


Cordialement,
François Audouze
02 Jan 2006 20:57 #6

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Réponse de RaymondM sur le sujet Re: des vins comme je les aime

François,

Il n'y a considération financière que dans la mesure ou j'aime beaucoup le style Bollinger et qu'entre ces 2 vins que j'ai bus ,j'hésiterais vraiment beaucoup .
02 Jan 2006 21:19 #7

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: des vins comme je les aime

C'est quelque chose que je peux complètement comprendre.


Cordialement,
François Audouze
02 Jan 2006 22:38 #8

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Réponse de Guest sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Champagne - Salon 1995 : au domaine, juin 2005
JP18 - PP18 - LG18,5

Des saveurs spécifiques, d’un raffinement très attractif, font ici florès : minéral, mangue, abricot sec, poire tapée, fruit confit, bergamote, végétal discret, épices (badiane, girofle, cannelle). Irrésistible présence crémeuse, concentrée mais aérienne, toute en finesse corsée et rémanente, dans un style moins musculeux que celui des meilleures cuvées de Jacquesson ou Selosse. Une splendeur, assez inimitable et tellement digeste, qui prouve que le chardonnay (on l’a déjà vu pour certaines cuvées précédentes) sait aussi produire sur la Côte des Blancs (à l’instar du pinot noir en Côte de Nuits), d’éblouissants vins arachnéens, c’est-à-dire denses et légers à la fois (si l’on veut bien accepter l’oxymore), complexes et minéraux.
03 Jan 2006 09:44 #9

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: des vins comme je les aime

Oui, mais il va largement évoluer, et en plus, c'est un champagne de repas.
Les Salon aiment le chocs gustatifs d'une belle cuisine.


Cordialement,
François Audouze
03 Jan 2006 10:01 #10

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Modérateurs: GildasPBAESMartinezVougeotjean-luc javauxCédric42120starbuck