Chose promise chose due, je me suis engagé à noircir quelques feuillets (9 en fait !) pendant la soirée afin d’en faire le compte rendu, donc je me lance.
Avant toute chose, un immense merci à un mec immense lui aussi, qui « fait » la cuisine comme peu « « « d’amateurs » » » la font. Hier pour reprendre une des expressions de la soirée, « ça valait un deux mac’ !! ».
Merci aussi à Jean Philippe de nous avoir réunis, ce n’était « que » la quatrième fois que l’on se voyait, et il n’a pas hésité à généreusement nous inviter pour un repas franchement pas facile à orchestrer.
Les soirées comme ça sont très rares et vu le plateau vinique prévu, il « en fallait » pour être à la hauteur, ce qui fût fait avec énormément de brio et d’instinct !
Voici donc le déroulé de cette orgie de bonheurs successifs ‘zé’ complémentaires
(tous les vins sont servis à l’aveugle sauf Rayas) :
1er VIN : Champagne Veuve Clicquot, La Grande Dame, 1995
La robe est d’un joli or pâle, dorée, sans être trop évoluée. La bulle est parfaitement fine, presque évanescente. Elle n’est là que pour souligner le vin et nous fait bêtement dire qu’« à ce niveau là, c’est vraiment du vin ! ».
L’ouverture se fait sur des notes d’agrumes fraîches évoluant rapidement sur des notes d’orange amère, de zeste confit. A ce moment là, je pense à un champagne plutôt typé chardonnay mais je vais me raviser tant la palette va évoluer et changer rapidement, ce vin va se mettre à vivre d’une façon impressionnante dans nos verres. Rapidement, le breuvage prend des accents mentholés, réglissés avec un côté miellé des plus beaux ! On bascule alors vers une palette aromatique de « champagne-pinot ».
La bouche paraît un peu étriquée à la première gorgée mais avec l’aération dans les grands verres, elle va franchement gagner en longueur et complexité.
Plus tard, le vin évoluera sur des notes surprenantes de « tarte au quetsches » magnifiquement gourmandes et surprenantes ! Merci à Luc d’avoir trouvé cette « note » qui met tout le monde d’accord tant on retrouve cette odeur si appètente.
AVEC : Soupe de montagne comme dans mon enfance
Le vin fonctionne de façon surprenante sur le premier plat. Le côté rustique de ce dernier (jambon de montagne) prend un résonance singulière au contact de ce vin distingué. Une alliance rustico-mondaine étonnante et très agréable. Mise en bouche qui m’a personnellement beaucoup plu.
PUIS : Huître Gillardeau à la cardamome, gelée de pommes virtuelles
Avec ce deuxième plat, on assiste à un accord « d‘affrontement », le vin venant tempérer la violence du plat. La Grande Dame raisonne assez bien avec la gelée de pommes virtuelles, mais peine un peu face au côté iodé de l’huître. Jean Philippe n’est pas très content de son plat, et notamment de son dosage en sel (un peu élevé il est vrai), mais c’est quand même très bon !
2ème VIN : Champagne Krug, Vintage 1988
La robe de vin est sensiblement plus dorée, teintée, que celle de la Grande Dame avec un effervescence plus marquée. On a la sensation en regardant le vin dans son verre qu’il y a plus de matière. La violence aromatique du premier nez impressionne avec des fragrance d’orange, de miel et de pralin. On pense à une majorité de pinot. Le nez est franchement « monstrueux » ! Emmanuel dira « raisin de Corinthe » et c’est vrai qu’il y a vraiment de ça !
En bouche, on retrouve les agrumes avec une longueur persistante et rectiligne. Le vin est plus ouvert au nez, la bouche est serrée, très droite, mais laisse apparaître beaucoup de potentiel et surtout une très grande jeunesse ! Insolente même ! Une expression de champagne très CISTERCIENNE qui me plait beaucoup !
La finale un peu amère est très racée, signe d’une vraie minéralité et d’un extrait sec considérable. On retrouve parfaitement le style du millésime.
Le fond de la carafe en fin de repas m’évoquera l’ananas et la truffe blanche. A noter que c’est un vin qui a peu évolué et tient remarquable à l’air.
Emmanuel : « éblouissant ! »
Luc : « j’ai la larme à l’œil ! »
AVEC : Turbot "au champagne" version d'aujourd'hui, sojotto au parmesan
Le vin fonctionne assez bien avec le plat, et notamment le parmesan qui trouve un écho à sa puissance en la personne de ce Krug 88. Association étonnante et puissante. Jean Philippe nous explique que le parmesan est le fromage de l’austérité et c’est vrai qu’avec le vin, « ça raconte » !
3ème VIN : Meursault Narvaux, Jean-François Coche Dury, 2001
La robe est relativement claire, or pâle, avec de jolis reflets verdâtres.
Au nez la première impression est celle d’un grillé marqué qui va évoluer rapidement sur des notes légèrement pétrolées, mentholées, un peu empyreumatiques aussi.
L’aération annonce le retour du fruit avec des senteurs d’agrumes, de citron vert, le vin retrouve son expression « classique ».
Olivier : « je suis un peu ému… »
On pressent un vin « de cailloux », on a l’impression d’entrer littéralement dans le sol en le humant tant les notes minérales frappent.
En bouche, le vin montre une grande fraîcheur avec une acidité haute typique du millésime et du vigneron mais il est bien équilibré, moelleux et sec à la fois, comme souvent sur Meursault. La longueur en bouche rappelle qu’il s’agit d’un Villages mais c’est tout de même très beau. La même bouteille bue le soir précédent se montrait nettement moins à son avantage, là le vin se goutte très bien.
Plus tard, belle évolution du nez sur des notes sucrées/épicées (spéculoos), puis de fleur de vigne (un arôme auquel je suis très sensible et que je trouve personnellement magnifique !).
AVEC : Noix de St Jacques en carpaccio, tiges de pourpier au vinaigre de poire
L’accord fonctionne ici sur le « frais », la finesse, le silence se fait… On assiste à un échange entre la finesse de la noix de st jacques un peu noisettée, croquante/fondante et la fraîcheur du vin. Accord subtil, intéressant même si le végétal des tiges de pourpier me dérange un peu.
PUIS : Noix de St Jacques juste saisie, endive confite
L’accord se fait évidemment ici sur l’acidité (endive) même si celle ci est légèrement caramélisée donc un peu sucrée. Je dois dire que ce côté légèrement sucré de l’endive me gêne un peu avec le vin, mais prise tous seul, je trouve l’endive délicieuse et parfaitement cuite ! Sinon, la St Jacques juste saisie s’accorde très bien avec le vin qui l’enveloppe à merveille.
PUIS : Ris de veau aux épices douces et au citron de menton, céleri rave et saveurs grillées
Voici L’ACCORD DE LA SOIREE !!! Un exercice d’équilibriste d’une grande justesse parfaitement réussi mêlant des saveurs difficiles à marier, tout y est, la cuisson, les assaisonnements, un plat de maître et un accord d’anthologie avec le Meursault de JF Coche.
Le plat sent magnifiquement bon. Le citron de la cuisson du ris avec le meursault ne font qu’un, le ris est cuit à la perfection, moelleux et fondant, très savoureux ! C’est la super-perfection, même le céleri est à sa place. Le service du plat laisse à ce moment là place à plus de 2 minutes de silence ! A table, je peux vous dire que c’est long et surtout lourd de sens ! Woaw !
4ème VIN : Nuits St Georges Meurgers, Henri Jayer, 1981
Sans parler de l’émotion qui accompagne l’ouverture d’une telle bouteille, peu de temps après la mort du maître, notamment pour l’amoureux fou de la Bourgogne que je suis, ce vin a largement fait honneur à son producteur ! Ce Nuits était tout sauf un vieillard !
Robe encore bien jeune, nez de fraise des bois, violette, rose fanée. Le vin évolue sur les épices, la griotte.
En bouche, c’est extrêmement gourmand, frais, dynamique. On retrouve un peu la liqueur d’orange. J’ai vraiment l’impression de vivre un petit moment d’éternité ! Comment ce diable d’homme dans un « petit » millésime arrive-t-il a produire un tel vin, se goûtant encore bien pour ses 26 ans ??? Vraiment un VIN DE TEMOIGNAGE… A noter qu’il continuera pendant les minutes qui suivront à rajeunir à l’aération, c’est sidérant !
ENORME MERCI à Luc d’avoir amené cette bouteille ainsi qu’à son parrain qui lui a offerte. C’est ça le vrai partage !!!!
AVEC : Filet mignon jus court à la cerise douce, poêlée de fèves
Le plat est vraiment délicieux mais c’est la seule fois de la soirée où je trouve que l’accord ne fonctionne pas vraiment, notamment à cause du côté végétal des fèves et de la texture serrée même si moelleuse du filet mignon. Peut être que cela eu mieux fonctionné avec un Bourgogne plus jeune, avec plus de matière…
5ème VIN : Château Rayas 1998
Et voici la « grosse bébête » de la soirée ! La robe est spectaculairement sombre, qui plus et pour un vin 100% grenache ! Premier nez légèrement torréfié mais cet arôme va très rapidement s’estomper. Le vin paraît jeune, très concentré, intense.
Notes de poivre blanc et de garrigue très puissantes et surtout très nobles ! En bouche, vin de caractère, très dynamique, fraîcheur hallucinante, toucher de bouche parfait, civilisé, mais qui garde néanmoins sa délicieuse touche sudiste. L‘équilibre est parfait !
A noter qu’à l’aération apparaîtront des notes de laurier qui personnellement me toucheront beaucoup, quelle noblesse, quelle race !!! C’est vraiment le grand vin méridional dans toute sa splendeur !!
Jean Philippe : « J’ai jamais bu ça ! La bouche est fabuleusement en accord avec le nez. On a envie de le garder dans un écrin pour le ressentir tous les matins ! L’équilibre entre toutes les composantes du vin est parfait ! »
Emmanuel : « ça me souffle ! un vin entre deux âges, Janus, protéiforme ! »
AVEC : Suprême de pigeon à la goutte de sang, coulis à la rose et aux fraises des bois, salsifis à la lavande
Deuxième accord d’anthologie de la soirée !! Quel diable de cuisto ce Jean Philippe ! Le vin respecte totalement la chair fine et goûteuse du pigeon, la cuisson est parfaite ! Que dire de la sauce qui s’accorde de façon anthologique avec le vin. La surprise vint des salsifis qui par leur croquant rappellent le côté jeune et nerveux du vin, et quelle bonne idée de les « aromatiser » à la lavande ! Non, franchement c’est parfait, vraiment parfait ! Décidément ça vaut vraiment les deux mac’ !!
6ème VIN : Château Guiraud 1976
Robe de vieux sauternes magique, presque « rosée », orange-saumoné.
Premier nez de café, moka, une pointe de menthe (qui d’après X. Planty est la signature du cru). Evolution sur les épices avec des notes résineuses.
Le vin est peu sucré, il n’est pas d’une fabuleuse longueur en bouche mais se goûte quand même fort bien, la petite amertume en fin de bouche lui confère un joli caractère. Se prolonge sur des saveurs de marmelade d’orange. Probablement pas un vrai millésime de botrytis (notes et saveurs « sèches » plutôt qu’exotiques et fraîches) mais un côté thé agréable en fin de repas. Un vin qui n’est pas d’une grande pureté mais qui a quand même beaucoup de personnalité.
AVEC : Stilton & Bleu de Termignon
L’accord avec le
Stilton fonctionne très bien, ce dernier étant ce soir là d’une grande qualité, parfaitement affiné, violent, il n’avait pas à rougir face aux plus grands roquefort français tant il affirme une haute personnalité et un vrai caractère.
Un très grand fromage acheté par Jean Philippe chez une orfèvre Parisien de l’affinage dont j’ai malheureusement oublié le nom… Les épices du vin résonnent parfaitement avec le côté corsé du fromage. Si le vin avait été un peu plus jeune, c’eut été peut être encore plus « fort » (mais peut être aussi plus rapidement saturant).
Le
Bleu de Termignon est un vraie découverte pour moi, car je ne connaissais absolument pas l’existence de ce très beau fromage.
Bleu de Termignon : Fromage à pâte persillée, à croûte naturelle, au lait cru de vache et fabriqué en Savoie. Il est fabriqué uniquement en alpage à partir d’un caillé aigre mêlé à un caillé du jour. Il n’existe que peu de producteurs fabriquant ce fromage pourtant très prisé à tel point que les fromages sont souvent vendus avant d’être fabriqués. C’est un cylindre de 30 à 35 cm de diamètre et de 15 à 20 cm de haut, pesant 8 à 10 kg. Comme pour d’autres fromages savoyards, la reconnaissance du bleu de Termignon est due à un italien. Dès 1816, il est connu dans la vallée de Suse, en Italie ; on le nommait alors “mauriennais” ou persillé du Mont-Cenis ou encore bleu de Bessans. Les gastronomes français ne semblent s’y intéresser qu’à partir de 1933. Aujourd’hui encore, l’essentiel de la production est écoulée dans la vallée de Suse et en Haute Mauricienne. On l’utilise en plateau, dans des salades ou en préparations culinaires. Affinage : 4 à 5 mois. 50 % MG. www.fromag.com/dicoB...
Mais si le fromage est excellent, l’accord fonctionne moins bien, la texture du fromage étant moins grasse, plus granuleuse, plus sèche. Il eut sans doute mérité un sauternes plus jeune, plus fringuant, pour enrober son caractère plus « sec ».
PUIS : Mangues poêlées, jus de pamplemousse, kumquat confit et clémentine au miel de Bavella
Passons donc à « la » douceur avec ce dessert parfaitement rafraîchissant qui permet d’évoquer tous les registres du vin. Les senteurs de miel de Bavella (Corse) sont envoûtantes et trouvent un écho particulier avec ce vieux Guiraud (menthe, thé, aiguilles de pin, garrigue). Le côté sec et solaire raisonne particulièrement bien avec ce dessert aux accents sudistes, notamment avec le kumquat confit.
ET POUR FINIR : Bas Armagnac 1980, 100% Folle Blanche, Dne Boingnères, 49°
Je ne suis vraiment pas un amateur d’alcools « forts » mais force est de constater que celui-ci était particulièrement beau et bon !
Premier nez sur le caramel au lait, vanille, épices douces. A l’aération senteurs de date envoûtantes, nez pénétrant, oriental. Evolution sur l’amaretto, fascinante.
La bouche est puissante, presque fulgurante, une grande vitalité et fraîcheur, une finale en queue de paon qui vous (re-)donne de l’énergie.
Un repas qui commença à 20h et s’acheva à 3 heures du matin, 7 heures d’anthologie,
un grand moment de partage et de plaisir, une vraie expérience au sens le plus noble du terme…. (et 5h pour rédiger ce CR !!!).
Vive le vin et surtout vive l’amitié !
…et encore merci à Jean Philippe pour ce moment inoubliable.
Pour rependre sa citation préférée : "La cuisine n'est que passion et partage",
cette soirée en fût une magnifique illustration !