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un dîner avec un La Conseillante 1947 et autres

  • François Audouze
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un dîner avec un La Conseillante 1947 et autres a été créé par François Audouze

J'ai fait un de mes dîners hier soir au Pré Catelan.
Je vais faire le compte-rendu, mais je donne des indications.
Voici le contenu:
Vins :
Champagne Pâques Gaumont (Trépail) Brut SA (vers 1970 ou avant)
Champagne Dom Pérignon Œnothèque (dégorgé en 2002) 1988
Château Rayas blanc Châteauneuf du Pape 1997
Domaine de Chevalier blanc 1947
Château La Conseillante Pomerol 1947
Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919
Léoville Las Cazes 1979
Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979
Château d'Yquem 1960
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997

Menu :
Amuse-bouche, Royale de foie gras
Oursin, fine gelée au paprika, aromates vinaigrés, Zéphyr
Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe »
Os à moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci d’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti
Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits
Chevreuil, poêlé, sauce poivrade « Poivre et Genièvre », pâtes au beurre demi-sel et truffe noire
Fromages bleus
Mangue aux épices

Olivier Poussier est intervenu. Il a chamboulé l'ordre des vins que j'avais prévu. J'ai laissé faire, pour voir. Il y a manifestement des choix de sommelier (et Olivier est un homme dont je respecte l'immense savoir). Je fais plutôt des choix dans l'optique de la gastronomie, ce qui conduit à des voies différentes.
J'ai plutôt eu confirmation de ma préférence pour les voies que j'explore.

La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin 1919 ont été absolument sublimes.
Je les ai ouverts à 17 heures et j'avais envie de mettre une pancarte comme sur des pavillons : "sam suffi". Car ces parfums invraisemblables me comblaient de bonheur.
J'ai bien fait de les boire quand même car ils furent immenses (c'est la meilleure Conseillante de ma vie). Mais l'odeur de ces deux vins m'avait tétanisé.
Le Léoville a été très au dessus de ce que j'attendais.
Le Henri Jayer en dessous.
Yquem immense.
Le Gewurz est une bombe. Invraisemblable. C'est tellement puissant !
Je vous raconterai cela.
Très beau dîner avec un Frédéric Anton très bon, mais un cheveu en dessous du dernier dîner que j'ai fait chez lui. Maison attentive, service impeccable. Je me suis régalé, et mes convives apparemment aussi.


Cordialement,
François Audouze
18 Jan 2006 16:09 #1

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: un dîner avec un La Conseillante 1947 et autres

Nous étions dix, dont quatre femmes.
Il y avait deux luxembourgeois, un grec, un canadien, et six français.
Brassage d'idées, ambiance chaleureuse.
Pas un seul vin en manque de qualité.
Tout a été dans la joie et la bonne humeur.


Cordialement,
François Audouze
18 Jan 2006 16:14 #2

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: un dîner avec un La Conseillante 1947 et autres

Voilà le premier jus du compte-rendu que je retravaillerai en le relisant.
J’arrive au restaurant du Pré Catelan pour ouvrir les bouteilles du 62ème dîner de wine-dinners. Une chose me trotte dans la tête. Je venais de déjeuner chez Laurent il y a quelques jours et j’y avais rencontré par hasard Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde, conseiller du groupe Lenôtre. Il m’avait dit alors : je vais mettre les deux rouges de 1979 ensemble et les deux anciens ensemble. Jusque là, ça va. Opposer sur un plat un bordeaux et un bourgogne, et ce deux fois de suite, j’accepte, car on apprend de chaque expérience. Ce sera une première. J’en tirerai des leçons. Mais finir le repas sur un Gewurztraminer quand il y a Yquem au programme, là, on secoue mes habitudes.
Je voulais donc voir à l’ouverture si cette innovation se justifie. Le Gewurztraminer est une explosion d’odeurs. Pour moi c’est du litchi alors qu’on lui destine un dessert à la mangue. Voilà qui va compliquer les choses. Et l’Yquem dégage un parfum d’une telle distinction qu’on ne voit pas pourquoi ne pas lui donner le mot de la fin. D’autant qu’un fromage calmerait l’ardeur du tout fou Hugel, quand la mangue irait logiquement au cœur d’Yquem, avec ces arômes de mangue et abricots si rassurants. Mais j’aime les découvertes, alors, on ira.
La plus belle bouteille, malgré la déchirure de l’étiquette, c’est celle de Domaine de Chevalier blanc 1947. Et les senteurs les plus éblouissantes sont celles de La Conseillante 1947, d’une pureté de ton invraisemblable, et celle du Grand Chambertin, odeur prodigieuse. Ces deux vins seraient à montrer dans les écoles, pour qu’on puisse apprendre ce qu’est une odeur parfaite. Assis devant ces deux flacons d’immédiat après-guerre, La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin qui est de 1919 et non de 1929 comme annoncé, je songe : j’ai devant moi ce qui peut se rêver de mieux, quand il s’agit de l’odorat. Et ça me suffit. Je n’y trempe pas mes lèvres, ce sera pour ce soir, mais ces senteurs quasi irréelles suffisent à mon bonheur.
Le Henri Jayer attend son heure et n’en révèle pas trop. Le Las Cases lui aussi cache ses cartes (il a un joli bouchon efficace). Le Rayas a déjà le pied sur l’accélérateur.
Frédéric Anton est venu plusieurs fois sentir ces vins magiques et cela me plait qu’un chef s’y intéresse. Ce fut sans doute une des plus belles séances d’ouverture des vins, moment que j’apprécie, car je vois comme chaque vin se présente, dans le simple appareil olfactif de sa sortie de sommeil, et je m’en souviendrai quand il fera son exposé, orateur à la voix posée quand le plat le lui demandera. L’émotion des ouvertures est enrichissante et très forte pour moi.

Le menu mis au point par Frédéric Anton et Olivier Poussier est le suivant : Amuse-bouche, Royale de foie gras / Oursin, fine gelée au paprika, aromates vinaigrés, Zéphyr / Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe » / Os à moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci d’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti / Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits / Chevreuil, poêlé, sauce poivrade « Poivre et Genièvre », pâtes au beurre demi-sel et truffe noire / Fromages bleus / Mangue aux épices. C’est une très large palette des talents de Frédéric Anton.

L’assemblée est composée d’un couple de luxembourgeois amateurs de vins, d’un ami grec et armateur, ce qui est presque un pléonasme, accompagné d’un autre armateur mais canadien, une journaliste qui travaille pour une revue américaine de luxe, la plus fidèle participante de ces dîners arrivée la première pour une fois (incroyable) et son ami qui accueillaient un autre couple. A part mon amie, huit novices de ces dîners ont repoussé de très loin l’année du plus vieux vin qu’ils aient jamais bu.

Le Champagne Pâques Gaumont (Trépail) Brut SA que je situe vers les années 70 montre qu’un champagne profite de l’âge. Il a gagné une harmonie, un équilibre de ton qui lui donnent du charme. Une trace finale qui m’évoquait un fruit confit à la fraise se mariait courtoisement avec le foie gras et son délicat bouillon.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque (dégorgé en 2002) 1988 est une bouteille magnifique. Le nez est expressif, la bulle est belle et fine, et sa classe est évidente. La gelée d’oursin est divine, et donne du Dom Pérignon une image iodée. La fine crème à la granny-smith appelle une autre facette de la personnalité de ce beau champagne. Le plat est absolument exquis, mais cette dissection qui est faite du champagne lui enlève un peu de son ampleur et de sa longueur. Plutôt que l’analyser, j’aurais volontiers opté pour un plat qui le propulse. Car il en a à dire, ce champagne éblouissant.

Le Château Rayas blanc Châteauneuf du Pape 1997 est un animal piaffant. Il a de la réserve. Quelle puissance pour son année. Il démarre sur du miel, du pain d’épices, et fort astucieusement, le ravioli de langoustine libère des accents plus distingués où l’on perçoit du thé. Cet accord m’excite beaucoup plus, car le plat fait dire au Rayas des choses qu’il n’avait pas envie de dire. Il est surpris, attaquant en force, à devoir trousser le madrigal devant Madame du Deffand.

J’avais prévenu mes convives qu’avec le Domaine de Chevalier blanc 1947, plus aucun repère gustatif n’existe. La couleur est d’un brun assez rose, le nez est envoûtant d’épices, et en bouche, la complexité est immense. On ne reconnait plus rien, et pourtant, cela m’a valu d’entendre deux commentaires radicalement opposés. Le premier dit : « c’est déroutant, mais au moins on reconnait le Graves ». Et l’autre : « à l’aveugle, je dirais sans hésiter un Sauternes ». Comme quoi… Je penche plutôt pour une gamme de goûts vers les Barsac secs. Avec la délicieuse moelle, un « must » de Frédéric Anton, l’accord est d’une justesse parfaite. Les saveurs innombrables de ce plat goûteux et délicieux font chanter le blanc sec inclassable. Un tel accord est un dépaysement absolu, car il n’existe aucun repère possible.

Olivier Poussier avait vraiment chahuté tous mes programmes. J’attendais les Bordeaux d’abord, il mélange les régions. L’ayant accepté, j’attendais les jeunes d’abord, et voilà que David, excellent sommelier, sert le Château La Conseillante Pomerol 1947. Je veux l’arrêter. « J’ai eu des instructions ». Alors, allons-y. La truffe noire est expressive. Mais les deux vins qui l’accompagnent sont de véritables chefs-d’œuvre. Je n’ai jamais bu une Conseillante de ce niveau. Immense, absolument immense. Si on cherche, on va évidemment trouver un cousinage avec l’impression de fort Porto du Cheval Blanc 1947. Mais cette Conseillante est d’une élégance ! Au premier contact en bouche, La Conseillante me parait plus ferme sur ses positions que le Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919. Mais attention ! dès qu’il s’ébroue, il n’y a pas de plus grand vin. Une émotion, une persistance aromatique, une longueur, une sensualité, une mâche de gamin, tout cela se récite pour notre émerveillement. Qui dira qu’un vin de 86 ans peut être aussi expressif ? Nous avions deux vins absolument immenses et je ne suis pas d’accord sur le choix de l’ordre des vins : il faut séparer bordeaux et bourgognes, parce que la juxtaposition des deux n’apportait rien l’un à l’autre, et il faut finir sur les plus miraculeux. Si l’on donne le nom de l’assassin en plein milieu du film, comment Hitchcock va-t-il maintenir le suspense ? Nous avions, sur la truffe, deux vins éblouissants, où l’échelle de Parker devrait inventer des barreaux nouveaux.

Par une chance qui n’arrive qu’à ceux qui la méritent, le Léoville Las Cazes 1979 se présente avec une qualité inimaginable pour son année. Charnu, joyeux, il rit sur un chevreuil délicieux. Ce vin a une densité que je n’attendais pas. Tant mieux. En revanche, le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979, dont on devine toute la subtilité de sa création, joue un peu à contrecœur. Ce n’est pas le flamboyant que l’on attendrait. Mais c’est évidemment un très grand vin. Et là aussi les deux régions se boudent, alors que le plat voudrait les réconcilier.

L’arrivée de Château d'Yquem 1960 est comme un phare qui illumine un monde de joie. Quel or pur ! Ce 1960 est magnifique. En ne l’associant qu’à des fromages bleus, on lui donne un beau tremplin mais qui ne lance que dans une direction. Abricot, confiture de fruits jaunes, il eut fallu aussi le chatouiller par un dessert. Ce fut le rôle dévolu au Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997 qu’Olivier avait voulu après Yquem, du fait de sa puissance. Olivier a raison, ce Gewurz est une bombe. Je le trouvais litchi au premier nez, mais avec le très intelligent dessert, l’accord se fait. Mais le vin est tellement complexe que je pense immédiatement à des plats qui s’opposent à lui au lieu de l’épouser. Ce vin mérite des provocations culinaires fortes. A lui les sardines, les anguilles fumées, pour qu’on voie ce qu’il a dans les tripes. Mais évidemment, là où il est, le dessert a un sens.

Il était temps de voter, et on avait le choix. Aussi, tous les vins sauf le Rayas eurent au moins un vote. Pour le Rayas, c’est normal, c’est l’enfant le plus sage de la classe, qui brillerait au milieu de jeunes. Le Grand Chambertin a eu sept votes dont quatre de premier, La Conseillante a eu neuf votes dont trois de premier, Yquem a eu six votes dont deux de premier et le Domaine de Chevalier a eu cinq votes dont un de premier. Et le petit champagne de début a eu un vote, un vote de premier.

Mon vote a été le suivant :
1 Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919,
2 Château La Conseillante Pomerol 1947,
3 Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997,
4 Léoville Las Cazes 1979.
J’ai voulu encourager l’alsacien et le jeune Léoville, même si cet Yquem 1960 fut immense, pour encourager des performances au dessus de ce que j’attendais.

L’atmosphère de ce groupe cosmopolite fut charmante, enjouée, décontractée, passionnée. La cuisine fut d’une belle exactitude même si aucun accord ne m’a fait bondir sur ma chaise de bonheur, comme ce fut le cas lors du précédent dîner avec Frédéric Anton, et l’ordre des vins va justifier un débriefing d’après match avec Olivier Poussier, car j’ai perçu ses intentions toutes justifiées, qui méritent d’être examinées à l’aune de la ligne directrice de mes dîners.

Une passionnante soirée avec des convives avides d’apprendre. Une atmosphère rare de pure joie.


Cordialement,
François Audouze
18 Jan 2006 18:18 #3

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Beaucoup de très belles choses..
Las Cases 79 nous avait beaucoup étonné (déçu en bien comme on dit en helvétie..) lors de la grande verticale de Leytron. Une très belle bouteille en effet.
Il doit me rester 2 ou 3 SGN de Hugel 97 (gewurtz et riesling). Je me dis qu'il est peut-être temps d'en goûter bientôt... hé..hé.!

Yquem 60.. je rêve d'en acquérir (mon année) mais c'est quasi introuvable.
François, si vous en voyez passer lors d'une prochaine vente, je me porte acquéreur!

Je suis de plus en plus attentif aux accords mets-vins lors de mes repas privés. Alors que je n'y prètais que peu d'attention il y a 10 ans, je trouve que c'est un facteur absolument essentiel pour la sublimation, ou au contraire l'exécution sommaire, des vins à table. L'épisode avec Poussier est intéressant à cet effet.

Amitiés
Alain
19 Jan 2006 08:54 #4

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Les SGN 76 de Hugel sont superbes ! (j'avais aussi 16 ans, Alain, cette année-là, et je fais monter les enchères !) :
Gewurztraminer fût 28 SGN 1976 (goûté 2 fois)
Rieling SGN 1976 (très intellectuel, méditation)


Le Riesling Hommage à Jean Hugel 97 est très bon.
19 Jan 2006 11:31 #5

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"j'avais aussi 16 ans, Alain, cette année-là, et je fais monter les enchères !"

Grrrr..

Grand coup de trompe sur la tête à Ganesh..!

A.
19 Jan 2006 18:14 #6

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Réponse de BlackbullBelge sur le sujet Re: un dîner avec un La Conseillante 1947 et autres

Merci Mr Audouze pour ce superbe récit. Cela me fera rêver à la place de les goûter.
07 Fév 2006 12:35 #7

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Modérateurs: GildasPBAESMartinezVougeotjean-luc javauxCédric42120starbuck