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A l'Est du nouveau: l'émergence de petits domaines viticoles de qualité au Liban - 2ème partie sur le domaine "Coteaux de Botrys"

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Suite à la visite de Musar (1ère partie, voir sous la rubrique de ce domaine), nous gardons le rythme avec la visite, deux jours plus tard, de ce beau domaine...

DEUXIEME PARTIE "Coteaux de Botrys: innovation et hospitalité dans le respect de la tradition libanaise"

Avant la visite de Musar qui est un domaine un peu intemporel, je me suis posé la question suivante: quels autres domaines visiter ?

Il y a bien sûr les deux autres grands domaines Ksara et Kefraya. Ces domaines sont des entreprises commerciales dynamiques qui ont développé leurs activités dans les années 1970. Pour Ksara, ceci est intervenu suite au Concile Vatican II qui a interdit aux ordres religieux de posséder des entreprises commerciales, ce qui a eu pour conséquence que des actionnaires privés ont pris les commandes de ce domaine . Pour Kefraya, c'est grâce au dynamisme de son fondateur qui a décidé de faire du vin lorsque le volume de production de raisin s’est avéré trop important. Auparavant, ce raisin était destiné à une consommation immédiate car le domaine est situé près de la réserve naturelle des cèdres de Barouk, dans le Chouf, qui est une partie du Liban où cohabitent notamment des druzes (qui ne consomment pas de vin) et des chrétiens. La production de ces deux domaines est de plus de deux millions de cols pour Ksara et un peu moins de deux millions de cols pour Kefraya (chiffres approximatifs) et est donc moins artisanale.
Ces domaines ont, de plus, décidé dans les années 1990 (notamment sur les conseils d'oenologues français renommés ou d'oenologues libanais ayant travaillé dans de prestigieux domaines français) de remplacer progressivement les cépages utilisés traditionnellement en Méditerranée par d'autres cépages plus "internationaux" (notamment Cabernet Sauvignon, Syrah, Merlot, Chardonnay…). C'est une démarche bien différente de celle de Musar qui a conservé (en partie, apparemment) des cépages traditionnels.
Enfin, Ksara s'approvisionne aussi notamment chez de petits viticulteurs. Contre l'achat garanti de leur récolte sur une longue période (vingt ans parfois), Ksara leur fournit des plants importés, certifiés exempts de maladies, ainsi qu'une assistance technique. Je ne sais pas quelle est la politique de Kefraya en la matière.

Je dois aussi avouer que je rejoins l'avis d'Yves Zermatten qui avait mis sur LPV un compte-rendu de sa visite au Liban il y a quelques années; il me semble qu'il avait été un peu déçu de sa dégustation de la cuvée Ksara (sur le millésime 1998, en tout cas). J'ai, quant à moi, été un peu rebuté par l'austérité des Ksara 1990 et Kefraya 1989 qui m'étaient apparus un peu en retrait à côté d'un excellent Château Musar 1991 (la dégustation de ces trois vins fut effectuée fin 1998).

L'article de "Decanter" (dont la référence a été postée début novembre par Oliv) étant du 9 octobre 2009, je ne pouvais en prendre connaissance car nous sommes partis ce jour-là pour le Liban. Avant ledit départ, je me suis donc mis à rechercher sur Internet des domaines de petite taille et produisant des vins de qualité. Nous ne voulions pas rater le domaine Musar, qui est un cas à part, mais nous voulions faire des découvertes, afin notamment de voir du pays.

Notre attention a donc été attirée par le domaine des Coteaux de Botrys. Sur Internet, nous avions retrouvé un article plus général sur le tourisme libanais (publié par "L'Express" en mai 2009, apparemment) qui mentionne ce domaine comme "une petite vigne et de délicieux crus soignés à l'ancienne", ce qui a attisé notre curiosité. A la lecture du site de ce domaine, j'avais constaté que ce domaine produit notamment des cuvées de vins mono-cépage (Mourvèdre et Syrah), ce qui est relativement rare au Liban (où on assemble le plus souvent des cépages bordelais et méditerranéens).

Je suis aussi impatient de découvrir un domaine viticole qui ne soit pas situé dans la vallée de la Bekaa qui m'a toujours été présentée comme étant le meilleur endroit pour y cultiver la vigne au Liban (en raison de son altitude élevée et des précipitations qui permettent de produire des vins à maturité et avec de l'acidité). A priori, un domaine situé en hauteur et face à la mer devrait pouvoir faire aussi du bon vin (je me rappelle que les bons vins de Bandol, essentiellement composés de Mourvèdre et sur des terrains face à la mer, sont d'ailleurs dans ce cas).

Une autre raison, non négligeable, est que nous avons pu acheter, un peu par hasard et dans un petit supermarché de Beyrouth, la fameuse cuvée de Syrah repérée sur Internet (la bouteille était perdue au milieu d'autres bouteilles et largement tâchée de vin rouge…). Nous avons beaucoup apprécié ce vin (que je vais décrire en détail ci-dessous) en compagnie d'un délicieux "kebbé" (mélange de bœuf haché et de blé concassé (borghol) finement assaisonné avec de l'oignon émincé, du sel et du poivre doux). Un délice cuit au four avec une farce généreuse de viande et de pignons de pin, réalisé magistralement par la maman de Rita (merci Martha !). Un seul "problème" avec ce plat: il faut en reprendre au moins quatre fois!!! Martha est inquiète, sinon...

Quelques kilomètres avant d'arriver à Batroun (Botrys en grec, d'où le nom du domaine), nous quittons l'autoroute côtière qui va vers Tripoli pour nous diriger vers Eddé, là où se trouve le domaine des Coteaux de Botrys. Un petit panneau indique la présence de ce domaine avec la mention 10 kilomètres mais rien de plus. Après quelques détours, nous arrivons au domaine qui fait bien face à la mer.

Les gérantes du domaine, Josiane et Neila El Bitar, sont les filles du créateur du domaine (décédé en 2007) et nous accueillent à bras ouverts alors que nous n'avions pas pris rendez-vous. Ce matin, elles viennent de terminer la mise en bouteille d'une de leurs cuvées et stockent les bouteilles debout pendant un jour avant de les transférer en cave.

Nous visitons les locaux techniques; le vin est en cuve et vient de terminer sa fermentation alcoolique. Les cuvaisons sont de vingt et un jours, environ. Il sera transféré en plus grande cuve inox ou en tonneau sous peu. L'oenologue, Yvan Jobard, travaille au domaine depuis 2008. Il nous explique qu'il a fait procéder à une certain nombre d'achats de matériel technique qui me semble désormais tout à fait moderne (il y a notamment une pompe oenologique). L'hygiène du chai me semble également irréprochable. Nous visitons les caves de vieillissement qui sont bien fraîches (grâce à des climatiseurs) mais aussi bien remplies. Le domaine prévoit ainsi de procéder à des travaux d'agrandissement et à l'achat de barriques neuves, dans le futur.

Ce domaine a été créé en 1998 par Joseph El Bitar qui voulait proposer des produits de qualité (notamment de l'arak et du vin). Il se plaisait à rappeler que "La région de Batroun était la « cave » de l’empire romain et il faut qu’elle redevienne celle du Liban"…Il faut ajouter que la signification du nom "Botrys" équivaut en grec… à la grappe de raisin ! Joseph El Bitar, qui était militaire de formation et de profession, a bénéficié pour ce faire des conseils de viticulteurs de Châteauneuf du Pape (notamment la famille Brunier qui possède le domaine du Vieux Télégraphe) dans le choix des cépages qui proviennent de France. La densité de plantation est de 3.300 pieds par hectare; les rendements sont d'environ 22 hectolitres par hectare en 2009. Le domaine compte environ 16 hectares de vignobles et la production actuelle est d'environ 40.000 bouteilles. L'objectif est d'atteindre 60.000 cols, à terme. Les sols sont essentiellement argilo-calcaires. En plus d'Yvan Jobard, quatre autres employés travaillent à temps plein mais la famille El Bitar s'investit à fond dans ce domaine. Il y a bien sûr l'apport de travailleurs saisonniers, notamment pendant les vendanges.

Nous gagnons la terrasse, d'où nous avons une superbe vue sur la montagne environnante et la mer. et où Yvan Jobard (ci-dessus avec Neila El Bitar) nous fait goûter différentes cuvées. Nous commençons par une cuvée de Marsanne Chardonnay 2008. Ce vin a une robe assez claire et allie vraiment la fraîcheur de la Marsanne (notes de fleurs blanches avec une pointe d'acidité) aux arômes beurrés et de noisette du Chardonnay. Un beau vin (cinq ans de potentiel de garde selon Yvan Jobard), dont la provenance serait difficile à deviner à l'aveugle (prix: environ 8 Euros).

Nous continuons par la cuvée de Mourvèdre 2007. Ce vin a une robe assez sombre. Le nez est sur les fruits noirs et rouges. En bouche, il me semble sur la réserve, avec des tanins assez fermes mais pas agressifs. Ce vin n'est pas mis en barrique. Un bon vin mais un peu difficile à décrypter actuellement (le vin vient d'être ouvert mais nous nous demandons par ailleurs s'il n'y avait pas un léger problème de bouchon pour ce flacon). C'est une curiosité car il s'agirait de la seule cuvée composée exclusivement de Mourvèdre au Liban, selon le domaine. Prix: un peu plus de 8 Euros.

Nous poursuivons par la Cuvée de l'Ange 2007 qui est, dixit Neila El Bitar, le "cheval de bataille" du domaine (assemblage de Syrah, Mourvèdre et Grenache). La robe est toujours assez sombre. Le nez est sur les fruits noirs et rouges. En bouche, il est très équilibré avec des tanins très suaves et une belle structure (pas aussi imposante que le précédent vin mais bien plus aimable). Dix ans de potentiel de garde selon Yvan Jobard. Prix: moins de 10 Euros.

Nous terminons par le Château des Anges Syrah 2007; c'est mon vin préféré car il combine une structure tout en puissance et une bouche soyeuse. D'une belle robe pourpre sombre, le nez révèle des fruits noirs et un peu de réglisse. Difficile à nouveau de le placer au Liban à l'aveugle; je le verrai sans problèmes dans le Languedoc Roussillon (en raison de ses arômes de garrigue et de sa charpente alcoolique), voire dans le Rhône nord (en année un peu chaude, cependant). Quinze ans de potentiel de garde selon Yvan Jobard. Un grand vin pour environ 12 Euros !
Goûté à Bruxelles, le vin est assez différent et se livre moins facilement, sur des notes fumées et de goudron au nez; en bouche, on retrouve ce côté un peu goudronné et l'alcool est bien présent. Après un jour d'aération, on perçoit même des notes de carton mouillé, ce qui me fait pencher pour un défaut de bouteille.

Le domaine propose également une cuvée de Mourvèdre et Grenache ainsi que le Château des Anges décliné en Cabernet sauvignon (goûté ultérieurement, ce vin de 2007 a une robe un peu moins sombre que le précédent; son nez est sur les fruits noirs et rouges; bonne structure en bouche mais j'aime un peu moins ce vin qui a peut-être pour seul tort de passer après la Syrah).
D'autres cépages sont aussi cultivés (comme le Rolle ou le Melon de Bourgogne) mais en petite quantité (ils ne sont donc pas isolés dans des cuvées spécifiques). Le domaine propose également de l'arak (distillé apparemment cinq fois!) et de l'huile d'olive.

Alors que nous nous apprêtons à partir, Josiane (ci-dessous à gauche sur la photo) et Neila nous invitent à partager leur table. Encore une manifestation de l'hospitalité et de la gentillesse des libanais!!! Nous les remercions, de même que Maya, de tout coeur!!!

Lors de ce repas, nous avons l'opportunité de goûter à nouveau ces vins (un des convives fait même le rapprochement entre la cuvée de Syrah et les vins d'Hervé Bizeul car notamment le côté soyeux de leurs tannins est assez comparable).

Nous discutons aussi avec Yvan Jobard qui nous confirme les spécificités du millésime 2009: de gros orages vers la mi-septembre et un peu de pluie vers la fin des vendanges ont perturbé celles-ci mais également quelques difficultés lors du cycle végétatif qui ont eu pour conséquence qu'il n'y aura pas de cuvée de Mourvèdre en 2009 car la production a été plus faible. Yvan (dont le nom est bien connu dans le secteur viticole bourguignon) a fait des études à l'Institut Jules Guyot à Dijon (il est notamment le camarade de promotion de Carel Voorhuis que j'ai rencontré en 1999 au Château de Monthelie et qui travaille désormais au domaine d'Ardhuy -qui possède notamment le Clos des Langres-) et fait donc partie de cette nouvelle génération d'œnologues de pointe formés en Bourgogne. Il est arrivé au Liban en 2004 et précise qu'il fait aussi un vin de garage dans la Bekaa.
Concernant ce vin, il nous raconte qu'il avait en fait repéré de belles parcelles de Cabernet Sauvignon et de Merlot. Il s'est associé donc avec le propriétaire de ces vignes, Marwan El Mechelany, et un autre collègue œnologue (Louis Tannoury). Ce domaine (Le Noble) est situé près de Jdita. Comme nous l'informons du fait que nous allons le lendemain dans la Bekaa, il nous propose de prévenir Marwan El Mechelany de notre visite et nous conseille également d'aller visiter le domaine Khoury, près de Zahlé (il connaît Jean-Paul El Khoury qui a aussi fait des études d'œnologie en France). Nous suivrons ses conseils en toute confiance.

Le site Internet du domaine devrait être restructuré dans les prochains mois. Son adresse actuelle est: coteauxdebotrys.com/. J'ai récemment essayé de le consulter et il ne fonctionnait hélas pas.

A l'occasion du salon VINIFEST qui a eu lieu début octobre, un film a été tourné par la BBC sur le domaine. Voici le lien: news.bbc.co.uk/1/hi/...

Nous rentrons vers Beyrouth, impatients de partir le lendemain vers la Bekaa (en vue de visiter notamment le site de Baalbek) et les deux domaines prévus pour ce voyage, à savoir le domaine Le Noble où est élaboré le vin de garage précité et le domaine Khoury.
01 Mar 2010 20:23 #1

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je me régale, merci.
Concernant la qualité des vins des années 80 et début 90, et même si c'est un peu enfoncer des portes ouvertes, il n'est pas inutile de rappeler que certains domaines ont beaucoup souffert des "évènements": manque de matériels, peu ou pas d'aides ou de conseils extérieurs, difficulté pour s'approvisionner ou pour écouler les productions, etc. Je pense à Ksara notamment qui, de mémoire, est situé à l'entrée de la plaine de la Bekaa où il n'était pas simple (c'est le moins qu'on puisse dire) de se rendre à cette période de conflits.
Merci encore,
Cdt,
thierry

Thierry
01 Mar 2010 20:54 #2

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Thierry,

Je vais (brièvement) évoquer ceci par la suite; j'ai encore trois messages a poster et c'est le dernier (=5ème partie) qui va me permettre d'essayer de faire le point sur l'ensemble des domaines viticoles actuels du Liban et de faire part de ces problèmes qui n'ont finalement pas empêché les domaines (à l'époque moins nombreux) de produire presque chaque année (à l'instar de Musar). Nous ne sommes cependant pas restés longtemps au Liban (un peu plus de dix jours) et je sais bien que je ne connais pas ce pays de façon suffisante...

Les destructions de Beyrouth sont encore visibles (même si la reconstruction est admirable) et les libanais se rappellent encore tous très bien des difficultés de survivre pendant ces années si noires... Ils sont néanmoins si dynamiques que l'on se prend parfois à oublier que la situation économique et politique reste incertaine, à mon humble avis.

Amicalement,

Laurent Lab
01 Mar 2010 21:18 #3

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Quel plaisir que de lire des textes de cette qualité, qui plus est sur des vins de régions peu défrichées par les guides !

Laurent, bravo... et vivement la suite ! (:D

Oliv
01 Mar 2010 22:11 #4

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