Bien qu'autochtone, je ne suis pas un très grand connaisseur des vins Suisses.
Pourquoi? Parceque j'en gardais, jusqu'à peu, une image totalement déplorable, principalement à cause de la production générique déplorable des cépages traditionnels (je ne parle pas de certaines "spécialités" locales dont de nombreuses sont succulentes depuis fort longtemps).
Jusqu'au début des années 90, n'importe quelle piquette venant d'ailleurs paraissait succulente en comparaison des crus locaux. En rouge, le Gamay local n'avait jamais le gouleyant des Beaujolais. Le Pinot noir était maîgre, deséquilibré et sans âme au point d'être méconnaissable au palais bourguignon le plus tolérant. Quelques timides tentatives sur du Chardonnay ou d'autres cépages blancs étaient très loin d'être concluantes.
Voici 15 ans, deux des principales régions romandes (Valais et Genève) ont effectué une révolution. Les Vaudois, de nature moins réactifs, s'y mettent enfin avec 10 ans de retard sur les autres. Mais qu'est-ce que a fait évoluer les choses? Probablement la conjonction de plusieurs facteurs dont les deux principaux, à mon avis, sont:
- l'arrivée d'une nouvelle génération de viticulteurs mieux formés et plus curieux des techniques et approches modernes
- la concurrence accrue des vins étrangers. En effet, il ne faut pas oublier que la Suisse a eu, jusque dans les années 90, une politique extrêmement protectionniste en termes d'importations de vins - surtout pour les vins blancs étrangers qu'il était quasi impossible de trouver dans le pays. D'ailleurs, en me remémorant ceci, je me dis que l'Europe et la concurrence a parfois (eu) du bon..!
Bref, ces producteurs novateurs se sont inspirés des meilleures tendances qualitatives qui se dessinaient à l'étranger. Les premiers pas sont faits par l'analyse des études géologiques afin de comprendre leur sous-sol et surtout d'y mettre des plants adaptés. La sensibilité "bio" a rapidement pris pied en Suisse depuis 10 ans (mise en place de labels bio etc..). La viticulture n'y échappe d'ailleurs pas et nombre de viticulteurs s'y sont mis avec un certain bonheur. Dans les vignes, beaucoup de choses ont également changé. Les rendements sont mieux contrôlés, la maturité des fruits est optimisée. Tri et sélection sont devenues relativement courants. Du fait de la configuration des terrains et de la taille des exploitations, l'ensemble des travaux se font de manière manuelle. Considéré il y a 20 ans comme une tare, ces contraintes sont aujourd'hui vues comme des atouts qualitatifs. Dans les chais, les techniques de vinification et d'élevage se sont maintenant mieux ajustées aux potentialités de la vigne etc.. A tous les niveaux, il y a eu de profondes remises en cause qui s'avéraient indispensables.
Bien sûr qu'il y a toujours une proportion majoritaire de produits suisses médiocres et sans intérêt. Mais je ne pense pas qu'elle soit supérieure aux autres régions viticoles européennes. La crise actuelle du secteur devrait encore contribuer à nettoyer le vignoble des canards boîteux avant la fin de la décennie.
Au niveau des blancs, si le Chasselas demeure aujourd'hui encore le cépage majoritaire, il ne représente à peine plus que 50% du volume produit (contre plus de 70% au début des années 90). Et puis, si ce cépage ne s'accorde que difficilement avec la gastronomie "à la française", il reste cependant incontournable sur les spécialités alpines telles que fondue, raclette ou encore viande des grisons. Probablement qu'une production de Chasselas de qualité représentant un quart du volume produit suffirait à couvrir la demande. C'est pourquoi je pense que la mue entreprise il y a quelques années n'est pas encore terminée.
Depuis quelques années, certains viticulteurs suisses de talent se frottent à la concurrence étrangère en participant à des concours à l'étranger. Il n'est plus rare aujourd'hui de lire dans la presse que des vins suisses ont obtenu des distinctions méritoires, devancant des vins cousins provenant de régions traditionnelles.
Cependant, la faîblesse - mais qui pourrait également se révéler une force - du vignole suisse (également savoyard / jurassien) est son hétérogénéité dans la diversité des variétés offertes. Comme le relevait Yves, c'est encore un peu anarchique à ce jour, chacun faisant ses petites expériences individuelles dans son coin, mais je suis confiant qu'un équilibre et une dynamique sera trouvé à terme.
Enfin, pour bien saisir la situation, je ne peux que t'encourager à venir rencontrer quelques producteurs helvètes compétents, ambitieux et amoureux de leur travail. Tu comprendras que la situation est loin d'être aussi simple et réductrice que ce que tu indiques dans tes premiers messages.
Amicalement
Alain