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rencontre de forums, jour 2 (suite et fin avec de beaux vins)

  • François Audouze
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Il fait une chaleur anormale dans le délicieux jardin du restaurant Laurent. Les bouteilles que j’ouvre sont immédiatement portées en chambre semi-froide, pour éviter des évanouissements d’arômes. Deux phénomènes se sont conjugués pour me pousser à élargir mon apport de vins. Le premier est qu’une participante ayant déclaré ne pas aimer les bourgognes, et ayant apprécié mon Richebourg 1973, la tentation était grande d’enfoncer le clou. La seconde est qu’un photographe est venu photographier ma cave pour une revue de gastronomie. J’ai erré dans la cave pendant les réglages. J’ai repéré une bouteille intéressante et une en dessous du niveau de vidange. L’envie de faire de la pédagogie s’offrait. Je l’ai suivie.
Pendant l’ouverture des bouteilles, j’ai composé avec Philippe Bourguignon un menu tenant compte de la chaleur et des vins. Le voici : volaille de Bresse et foie gras en gelée au vin d’Arbois / filet de saint-pierre, moelle, rôtie, sauce matelote / agneau de lait des Pyrénées, épaule confite aux épices d’un tajine, côtes caramélisées et bayaldi d’aubergines / bleu de Sassenage / clafoutis aux cerises. Ce fut délicat, sain, adapté comme il convient à un éventail de vins très large.
Le Vieux Château Chauvin 1998 ne me parle pas au premier abord, tant je sens la structure moderne qui crée chez moi comme une allergie. En laissant le vin s’ébrouer on sent une certaine intelligence, mais ce n’est pas pour moi. Au contraire, le Château Léoville Las Cases 1997 me plait, et encore plus, du fait de cette association avec le 1998. Léger, frêle, tout en suggestion, j’adore sa distinction. Pourquoi faudrait-il que les vins fassent boum-boum ? Très agréable vin tout droit sorti de mon imaginaire des salons littéraires du XVIIIème siècle. J’avais tenté de mettre sur l’entrée en troisième vin le Château Ducru-Beaucaillou 1978 et ce fut un bon choix. Même si sa couleur est déjà marquée, le vin chante d’équilibre et ne paraît pas « vieux » à côté des bambins. Très belle réussite de l’année 1978 d’un vin que je sais solide, sérieux et constant. Son 1961 est légendaire.
La Mission Haut-Brion 1985 en magnum a été carafé. L’image qui me vient est celle de l’étudiant qui pendant l’année scolaire a les carnets de notes les plus brillants, faisant la joie de ses professeurs, et qui, paniquant le jour de l’examen, perd le bénéfice de son travail. Ce Mission que l’on sent bien structuré n’est pas présent au moment où il le faudrait. Trop tard, c’est trop tard. A l’inverse, l’équilibre éblouissant de Château La Lagune 1982 impose le respect. Ce vin est la définition de ce que devrait être le bordeaux. Il est en ce moment à un point d’équilibre parfait. C’est tellement bon qu’on ne peut même pas imaginer le moindre petit défaut. Mais le Château L’Eglise Clinet 1964 parle à mon goût des vins anciens. Ce vin est chaleureux, joyeux, chantant, très peu conforme au schéma classique des Pomerols. J’adore ce vin plein de vie, qui emplit la bouche avec bonheur. La Lagune est plus construit, L’Eglise Clinet est plus séducteur et charmant.
Viennent ensuite pour notre assemblée de onze dont la composition avait un peu changé, sans réduire son cosmopolitisme, mes trois bourgognes. Le Chambertin caves Nicolas 1953 arrive trop froid de la chambre froide. Il faut lui laisser le temps de s’ouvrir. Et quand il s’ouvre, quel gentil bonheur. Il est bourguignon, un peu coincé, n’a pas la noblesse d’un Chambertin des plus hauts niveaux, mais c’est vraiment adorable. Ma voisine que je cherchais à convaincre commence à se poser des questions. C’est bon signe. Le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966 se présente à l’ouverture beaucoup plus civilisé que le Chambertin. Il tient la corde pendant quelques minutes, mais dès que le Chambertin a changé de braquet, l’aimable Volnay à la complexité folle et à l’énigme intéressante n’a plus suivi le sillage de son aîné.
La surprise que je voulais didactique, vint du Beaune Marconnets Remoissenet 1937. Nettement sous la vidange, il était à jeter. J’ai donc annoncé à cette noble assemblée que je ne me battrais pas pour le défendre, mais pourquoi ne pas l’essayer ? Déjà, le nez annonce que ce vin est buvable. A la première gorgée, il y a du caramel, du torréfié qui trahit la fatigue du vin. Mais dans le verre, par un phénomène aussi impressionnant que lorsqu’un honnête garçon de bureau se transforme en superman pour sauver la planète ou en Hulk pour effrayer les foules, nous avons assisté à l’éclosion d’un vin que je qualifierais volontiers d’immense. Bien sûr, ne rêvons pas, il n’a pas repris l’intégralité de sa forme. Mais c’est sans doute le plus racé des bourgognes de ce soir. Je ne le mettrai pas dans mon classement, mais avec quelques convives nous nous faisions la réflexion que les dernières gouttes de ce vin étaient éblouissantes.
Le retour sur terre se fit beaucoup plus facilement que ce que l’on pouvait craindre. Le Clos Vougeot Henri Rebourseau 1998 plut à beaucoup de convives, car il est facilement compréhensible. En dégustant ses notes de cassis, de poivre, et ce goût juteux fort plaisant, je mesurais à quel point la complexité est chez les vins anciens. Je suis heureux d’explorer les vins anciens. Car quelles que soient les blessures que l’on rencontre, il y a un monde de complexité qui vaut la démarche.
Note ami ayant récidivé avec le Clos de Papes Châteauneuf du Pape 2003, je ne rajouterai pas au commentaire d’hier, sauf à dire que celui-ci me paraissait plus civilisé (si c’est possible) que le même de la veille.
Le Château Filhot crème de tête 1990 est une curiosité, car Filhot ne fait jamais, en dehors de ce millésime, de crème de tête. Aussi, l’étonnante couleur ambrée s’explique par la concentration. C’est prodigieusement étonnant. C’est tellement sucré et concentré qu’on pense à un Essencia de Tokaji. L’accord avec le délicieux bleu est magique. Mon goût va plutôt vers des sauternes moins lourds. Mais c’est un très grand vin.
Je suis très heureux d’avoir suggéré à Philippe Bourguignon de faire des clafoutis. Car avec le Porto Taylors Flagdate Vintage 1977, l’accord est fusionnel. Ce Porto est lourd comme le plomb, flatteur, rassurant, et je comprends pourquoi je n’en mets quasiment jamais dans mes dîners : ça plombe la bouche et le cœur pour l’éternité de la nuit. Mais quel plaisir !
Voter pour des vins aussi disparates est un exercice difficile. Je m’y risquerai pour le fun. Je mets en premier l’Eglise Clinet 1964, car trouver un Pomerol aussi joyeux est un grand plaisir. En deux, ce sera le Chambertin 1953, car son émotion est belle. En trois le Filhot 1990, car son goût est d’une rare séduction. Et en quatre La Lagune 1982 pour la précision de sa définition. Donc : 1- L’Eglise Clinet 1964, 2 – Chambertin caves Nicolas 1953, 3- Château Filhot crème de tête 1990, 4- Château La Lagune 1982.
Sur deux jours, avec des amis de tous pays qui échangent des anecdotes et avis sur les vins dans plusieurs forums, nous avons approché de très grands vins de tous âges et de toutes régions. Un grand succès de l’amitié internationale que crée l’internet.


Cordialement,
François Audouze
11 Jui 2006 20:06 #1

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Réponse de Winemega - Alain sur le sujet Re: rencontre de forums, jour 2 (suite et fin avec de beaux vins)

En préambule, un immense merci à François pour la prise en main de cette soirée somptueuse dans un cadre presque irréel. Des jardins de Babylone, suspendus comme le temps, au coeur de Paris, dans la douceur presque irréelle d'une première soirée estivale. Les accords de mets avec un panel de vins si varié, presque disparate, n'était pas simple à mettre sur pieds. Et bien, ce tour de force fut pourtant réalisé de main de Maître par Philippe Bourguignon et François. Une cuisine inventive, légère et goûteuse, parfaitement adaptée à la situation.. Un moment de grand plaisir!

Belle tablée, conviviale et joyeuse, mêlant conversations en Anglais, Français et même quelques phrases dans la langue de Goethe. Cosmopolite et diverse, l'assemblée se retrouve avec complicité autour de passions communes: le vin, la belle cuisine et surtout, le partage d'instants magiques!

Chacun ayant amené dans ses valises, de bien belles bouteilles, je reviendrai plus en détails prochainement avec des CR détaillés sur nombre de ces vins, à plusieurs égards, exceptionnels!

Cependant, autant je me retrouve, à la virgule près, le vendredi dans les commentaires de François au Dauphin, que je digresse quelque peu de ses avis du samedi chez Laurent..!

Pour faire court, Château Vieux Chauvin (que j'avais amené), me laisse l'impression inverse de François. Après une aération d'un petit quart d'heure dans le verre, effectivement il se dévoile au nez et je le trouve enchanteur par sa concentration et le velouté de ses tannins. Grande ampleur en bouche. Une base Merlot vinifiée de façon dynamique et moderne, mais sans excès. Comme souvent à table, je garde un verre de côté et, vers la fin du repas, je lui trouve alors un faux goût de plastique et une amertume désagréable en fin de bouche.. bizarre.. bizarre.. Peut-être un méchant coup de chaud?

Las Cases 97 ne m'a pas parlé. Pour cause, il ne raconte pas grand chose. C'est pas mauvais, mais pas vraiment très enthousiasmant, surtout en regard de ce qu'a démontré savoir faire le domaine sur d'autres années.

Ducru 78 est d'un plaisir très raffiné au nez, avec de délicieuses sensations tertiaires. Par contre, la fin de bouche trahit une certaine fatigue. Un vin qui devait être remarquable il y a 5 ou 10 ans.

Eglise-Clinet, malgré ses 42 ans, est un vin sérieux et complèxe. Un bien belle bouteille en vérité. Seule la fin de bouche, un peu fuyante, trahit quelques rides. Mais la classe d'un grand Pomerol à maturité transpire dans le verre.

Mission Haut-Brion 1985 méritait assurément quelques travaux d'approche avant de se laisser aller à quelques confidences. Les notes de réduction en ouverture, s'estompent heureusement au second verre (c'est l'avantage de servir des magnums!). On est alors en plein dans les caractéristiques habituelles des Pessac matures, avec des arômes de cuir de selle de cheval, d'épices, d'ambre, de truffe.. nous nous délectons avec mes voisins de table, de ce vin au caractère affirmé. Mais ce vin a été assez diversement apprécié, selon qu'on apprécie ou non ces vins plutôt "virils".

Mon vin de la soirée fut sans conteste le La Lagune 1982. Si les passionnés que nous sommes acceptent de faire preuve de patience pendant 25 ans, c'est pour toucher à la quintescence du Graal. Ce Lagune 82 s'en rapproche presque à la perfection, mêlant fruit à point, rondeur, équilibre, densité, longueur, complexité de nobles arômes tertiaires.. la copie parfaite d'un vin à son apogée!

Direction les Pinots anciens. Une expérience émouvante pour le Chambertin 53, qui innonde de sa classe un Volnay 66, certes bon mais aux moyens à la base plus limités. Le Beaune Marconnets Remoissenet 1937 fut vraiment étonnant.. malgré un premier nez oxydé, ce qui est bien normal vu le niveau "dramatique" de la bouteille, de fins et complèxes arômes émergent rapidement du verre. La bouche est encore bien structurée et d'une harmonie étonnante. Les dernières gouttes du verre semblent encore meilleures..

Le Clos Vougeot Henri Rebourseau 1998, issu d'une petite parcelle de 2ha au coeur du Clos Vougeot était tout à fait remarquable. Dense et équilibré.. expressif avec du tempérament.

Filhot Crême de tête 1990 ne ressemble effectivement pas à ce dont on a l'habitude avec ce domaine qui produit des vins plutôt délicats et fins. Mais j'ai beaucoup aimé son côté sensuel, presque exotique..

N'étant pas un grand connaisseur des Porto, j'ai respectueusement écouté ce Taylors Flagdate Vintage 1977. Malgré un très léger problème de TCA au nez, la matière est impressionnante et enrobe l'excellent clafoutis de cerises en un accord improbable, mais parfaitement réussi!

A plus tard pour les CR plus détaillés..

Alain

Alain Bringolf
"Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. Et lorsque le vin est bu, il faut se tirer.." - Le Chat
12 Jui 2006 17:57 #2

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Haut-Médoc - Château Grand La Lagune 1928 : mars 2004 (et en inversant les 2 derniers chiffres)
L’ancêtre du château La Lagune. Bouquet pour lequel le grand âge gomme l’origine : café, fleurs, réglisse, cuir. La matière austère est usée mais en aucun cas cacochyme et se révèle encore correctement corsetée. Moins de tout (truffe, charpente) que dans Cos d’Estournel 1928 bu au cours de l’été 2003 quelque part en Gascogne. Cela dit, on est tombé de près de 40 ans sans presque s’en apercevoir : longévité insolente.
12 Jui 2006 18:16 #3

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  • François Audouze
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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: rencontre de forums, jour 2 (suite et fin avec de beaux vins)

Très joli commentaire, Alain. Joliment tourné.
Il est très normal que nous n'ayons pas les mêmes goûts.
Je le constate chaque fois que je fais voter à mes dîners : la diversité est extrême.
Mais l'intérêt c'était le partage.
Et nous avons tous été généreux.

Je suis content d'avoir tenté de vous montrer par le 1937 au niveau vidange qu'il ne faut jamais condamner un vin avant de lui avoir laissé sa chance.
S'il ne la prend pas, tant pis.


Cordialement,
François Audouze
12 Jui 2006 18:53 #4

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