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rencontre de forums - un immense La Tour Milon 1926 et d'autres...

  • François Audouze
  • Portrait de François Audouze Auteur du sujet
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Sur des forums internet, des liens se sont créés, et des rencontres de moins en moins virtuelles nous réunissent. Ce soir, c’est un dîner à la brasserie Dauphin qui rassemble onze passionnés de vins, dont un couple d’allemands, un couple de texans, un couple de suisses, un hollandais et le reste de français. L’idée est de partager nos vins et nos impressions.
Faute de temps, je n’ai pas pu me concerter avec le chef sur le menu. Aussi, la cuisine, que j’apprécie souvent, va ici jouer son numéro sans se soucier de ce qui se passe du côté des vins. Cela permet de prendre conscience du fait que les beaux accords ne sont pas le fruit du hasard. Voici le menu : langoustines rôties, vinaigrette de pomelos et melon / raviole de crabe au jus de bouchot / gâteau de cèpes de printemps au foie gras grillé / suprême de pigeonneau rôti au jésus de Morteau, jus simple / la tomme de chèvre au raisiné / le cakaille pistache aux fruits rouges. Rien ne fut mauvais, rien ne fut bon. Mais c’est ma faute : pas de concertation suffisante. Regardons du côté des vins.
Un champagne Salon « S » 1983 dégorgé le matin même et non dosé, voilà un beau début. Champagne à la forte personnalité, original, typé, vineux, dense, présent en bouche, il forme un contraste absolument intéressant avec le champagne Bollinger R.D. 1982 dégorgé en 2000 et très faiblement dosé. Le Bollinger est un vrai champagne, à la bulle active et puissante. Si l’on devait désigner des deux lequel est du champagne, c’est sans hésiter le Bollinger, magnifique de jeunesse, de rayonnement et de pureté. Le Salon, c’est autre chose. C’est du vin. C’est un vin qui appelle une cuisine, pour se frotter avec des saveurs étranges qui vont le mettre en valeur. Faut-il en préférer un ? Bien sûr que non. Il faut aimer les deux.
Ayant ouvert toutes les bouteilles (ça devient une habitude) qui avaient été apportées à ma demande en avance, j’avais ouvert le Montrachet Bouchard 1980 vers 19 heures. Sa couleur fort ambrée et son nez fatigué m’avaient poussé à annoncer aux convives de se méfier de ce vin là, et de l’approcher avec précaution : tout jugement hâtif prononcé sur l’instant empêcherait de comprendre ce vin. A ma grande surprise, le vin existe. Et non seulement il existe, mais il parle. Ce n’est évidemment pas un Montrachet flamboyant et fougueux. Mais il est élégant, centré sur ses valeurs de base, et il joue sur un registre de finesse qui le rend plaisant. On ne joue pas à plein régime, on suggère en délicatesse.
Le Château L’Evangile, Pomerol 1998 plait instantanément à cette assemblée qui ne vit que de vins jeunes. Beau nez épicé, belle structure joyeuse en bouche. C’est un vin serein, dans la plénitude absolue de ses moyens. Vin très bon. A côté de lui, le Château Magdeleine 2001 fait plus sénateur, bourgeois. Il est confortable. Ah, il ne va pas faire l’école buissonnière ! Mais comme il est, déjà accompli, propre sur lui, c’est un agréable compagnon de jeu.
Le Gruaud-Larose 1986 est trompeur. Car il joue en sourdine en début de verre. Et quand il s’installe, quelle merveille de joie de vivre. C’est un vin sans défaut. Il ne brille pas par des risques insensés. Il fait son devoir. Servi en même temps, le Château Ausone 1983 éclipse le beau Gruaud-Laroze. Car cet Ausone est immense. Est-ce cette bouteille qui est particulièrement brillante ? Toujours est-il que l’amoureux d’Ausone que je suis prend un plaisir incontrôlable. C’est immense, je le redis une nouvelle fois. Comment décrire cette petite merveille de précision ? Un vin qui chante, qui s’installe en bouche comme en un canapé profond. Si Saint-Emilion a un type, ce n’est pas avec ce vin étonnamment charmeur qu’on le reconnaîtra. Je le désignerais volontiers comme vin de la soirée si n’apparaissait le Château La Tour Milon Pauillac 1926. D’un niveau dans le goulot, d’une couleur irréellement jeune, au nez fruité et joyeux, ce vin, s’il était bu à l’aveugle ferait se tromper tout dégustateur de plus de vingt ans. On me dirait 1964, voire 1961, je ne dirais pas non. Toute la table est estomaquée. Et ce d’autant plus que nous parlions de la courbe de la vie du vin. Je défends un parcours sinusoïdal à périodes irrégulières, alors que le schéma traditionnel commande un plateau de maturité et un déclin. Quand on voit ce 1926, quand était son pic de maturité ? Aucun schéma politiquement correct ne s’applique à ce vin. J’avoue qu’il constitue pour moi une énigme, car il est grandiose. Décidément, l’année 1926 que j’adore ne m’apporte que des surprises extrêmes.
Je suis servi en premier du Richebourg Charles Noëllat 1973. Ce sont donc des gouttes très légères et pâles qui se déversent dans mon verre. J’annonce donc un grand danger (je préfère toujours commencer par un discours pessimiste pour que mes convives aient de bonnes surprises. Et le Richebourg, objectivement fatigué, séduit par son message bourguignon authentique. Il joue manifestement à 80% de sa valeur, comme une équipe de France sans Djibril Cissé, mais ce qu’il raconte est loin d’être sans intérêt. Il aurait dû être bu il y a au moins dix ans. Mais il est là, écoutons-le.
Alors, quand arrive le Clos des Papes Châteauneuf du Pape 2003, ça décoiffe. Car là, ce n’est plus pareil. C’est Monsieur Robert Parker en smoking. Tout y est. C’est le kit complet du petit Parker illustré. Vous voulez du poivre ? Il y en a. Vous voulez du jus de cassis, ça baigne. Vous voulez du copeau, il infuse. Du clou de girofle, c’est une pleine moisson. On ne peut pas dire que c’est désagréable. Car ça flatte et excite la papille. Mais on est entré dans un monde du vin qui pourrait sortir d’un laboratoire et n’a plus aucun besoin de terroir. Je dis ça d’autant plus volontiers que j’adore les vins de Paul Avril quand ce sont des Châteauneuf du Pape.
Le nez du Christoffel WS Riesling Auslese 1976 est d’une promesse quasi irréelle. Magique. C’est le champion du Monde du nez. Hélas en bouche, on en est loin. Il y a de belles variations sur le thème du Riesling, avec des suggestions de complexités ravissantes. Mais c’est l’intégration du tout qui manque. Le nez et l’attaque en bouche annoncent un triomphe, et ça finit comme Clearstream.
Il faut aimer les vins de glace. J’en ai aimé la découverte. A l’usage, c’est comme avec les muscats de Beaumes de Venise, on en a un peu fait le tour. Alors, ce Karlsmühle Eiswein 2002 est amusant par ses évocations étranges où le litchi prend sa part. Mais ça s’arrête là.
Le Malaga Larios, solera 1780 a forcément quelques molécules du 18ème siècle. On s’amuse de cette datation généreuse. Mais ce vin mérite d’être pris au sérieux. Il y a assurément une part non négligeable de ce vin qui a plus de 150 ans, et certainement plus de cent ans de fût. On sent que cette date n’est pas qu’un baptême ambitieux. Il y a un charme qui ne peut provenir que d’un grand âge, et le rapprochement gustatif avec les Commandaria de Chypre indique l’authenticité de la vétusté respectable de ce grand vin doux de pur charme, que l’on siroterait pendant des heures si l’on avait encore une petite place dans son cœur, après tant de belles bouteilles.
Si l’on parle de goût pur, c’est Ausone 1983 que je placerai en premier. Mais si l’on intègre d’autres dimensions de rareté, de surprise, d’étonnement, c’est le La Tour Milon 1926 qui ramasse la mise. Mon classement sera donc : 1- La Tour Milon 1926, 2 – Ausone 1983 3 – Malaga 1780, 4 – L’Evangile 1998.
Les forums gagnent en intérêt dès qu’ils cessent d’être virtuels. Cette assemblée qui n’est plus virtuelle se revoit ce soir pour de nouvelles agapes.


Cordialement,
François Audouze
10 Jui 2006 15:04 #1

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Merci François pour ce récit très alléchant, fort drôle, et ce style audouzien si inimitable (même Loup n'y arrive pas ;))!

Bon week-end!

Eric

mon blog
10 Jui 2006 15:56 #2

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Eh oui.. j'y étais bien à ces rencontres "internationales" de passionnés d'un forum américain cousin de LPV (Bordeaux Wine Enthusiasts).

Cette première soirée au Dauphin dans le XIIème à Paris a placé la barre très haut.. au niveau des vins. Si le service est attentionné, aimable et efficace, la cuisine n'est malheureusement pas au diapason des flacons ce soir. Quelques tentatives culinaires pour le moins.. étonnantes rendent tout accord mets-vins quasi impossible. Bon.. pas bien grâve tout ça.. l'essentiel étant vraiment ailleurs!

Par rapport au commentaire de François, dont je n'enlèverai pas une seule virgule, mes émotions les plus marquantes furent sur le Salon 1983.. wow! C'est la première fois qu'un champagne m'emplit les papilles de la sorte..! Une sacré expérience..

Ensuite, l'Evangile 1998.. c'est la grande classe! La grâce d'un millésime exceptionnel pour la Rive Droite. Ce vin a tout.. et plus encore!

A peine remis de ses émotions, en voici une plus marquante encore: Ausone 1983! Il a perdu de son austerité caractéristique du cru pour s'exprimer avec grâce et grande distinction. Et quelle profondeur!

Gruaud-Larose 1986 est lui-aussi de la fête. Bien représentatif de son année, les tannins sont encore marqués, mais en cours d'intégration. C'est équilibré et expressif. Une très belle bouteille.

Mais voici une des "curiosités" de la soirée: un La Tour Milon 1926 amené par les bons soins de François. Bon sang.. quelle robe.. presque sanguine avec à peine le bord tuilé. Des arômes merveilleux s'échappent par volutes du verre.. et la bouche est incroyablement structurée pour un vin de 80 ans! On n'en revient tout simplement pas.. un moment proprement magique! La seule chose qui trahit son âge est une légère altération dans le verre après une quinzaine de minutes. Gourmand, je m'en ressert cependant un fond de verre et là.. comme par miracle, j'y retrouve mes sensations initiales. C'est comme si j'avais volé un peu de temps à l'horloge céleste qui rythme le cours de l'humanité. Si c'est ça que cherchent ces doux dingues, avec leurs vins "antiques", je veux bien me convertir à cette curieuse secte de joyeux Académiciens! Même si de pareilles émotions n'arrivent assurément pas à chaque tentative.

L'illustration de ce qui précède ne tardait pas à venir, cinglante, avec un Richebourg Charles Noëllat 1973 de très pâle expression. Il fallait vraiment un grand silence très respectueux pour entendre le léger murmure émanant de cette bouteille. Et comme la soirée était plutôt festive, l'assemblée passa rapidement au suivant.. un Clos des Papes 2003. Annoncé avec tambours et trompettes par une note Parker exceptionnelle (97/100 je crois?), je le trouve totalement en décalage avec ma propre définition d'un bon vin. Tout y est excessif, au point d'y perdre tout équilibre. En bouche, sa structure massive, hyper-tannique et hyper-acide me fait venir les larmes aux yeux.. mais pas de bonheur! Non vraiment.. trop "over the top" comme le relevait un convive texan. Par souci d'objectivité, la même bouteille ouverte le lendemain chez Laurent me semblait un chouia plus civilisée. Je me console en me disant je garderai mes sous pour autre chose, hésitant avant ce week-end dernier, à en acheter quelques unes chez mon caviste préféré.

Quels beaux arômes que ce Christoffel WS Riesling Auslese 1976 mais la bouche n'est pas de la même trempe, peu expressive et effacée. Le Eiswein Karlsmühle 2002 est lui excellent, pur et vraiment expressif.

Enfin, je ne m'étend pas sur ce Malaga 1780 puisqu'en j'en étais le propriétaire. C'est émouvant de penser qu'une portion de ce vin date de Marie-Antoinette. L'imagination des convives vagabonde quelques instants.. mais c'est vraiment drôlement bon! Mmmh.. ça me donne envie d'un bon havane pour siroter mon verre.. mais je sais nos hôtes américains allergique à toute fumée tabacologique. Donc par politesse, je m'abstiendrai pour cette fois-ci.

A une heure trente du matin, nous repartons vers nos hotels respectifs, repus et de fort belle humeur. Vivement demain soir chez Laurent!

Alain

PS: CR plus complèts suivront en temps voulu dans les rubriques ad-hoc.

Alain Bringolf
"Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. Et lorsque le vin est bu, il faut se tirer.." - Le Chat
12 Jui 2006 17:51 #3

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Je connais Christoffel Eben à Ûrzig

Mais pas ce Christoffel WS ?!
12 Jui 2006 18:07 #4

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