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J'ai bu Pétrus 1915

  • François Audouze
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J'ai bu Pétrus 1915 a été créé par François Audouze

Quand on boit Pétrus 1915, on ne peut en aucune façon ignorer l'étiquette.
Comme la veille j'avais bu un vin inconnu, sans étiquette qui m'avait transporté à des cieux infinis, je joins ces deux compte-rendus pour qu'on sente bien que je suis ouvert à l'étiquette, quand elle se présente, et à l'inconnu, quand il se présente.

Voici le récit :
J'ai retrouvé ce collectionneur incroyable que j’avais rencontré à une dégustation de champagnes . Nous ne nous connaissions que furtivement, nous avions lutté sur quelques bouteilles phares, et nous avons mis au point un accord cadre de ce premier événement commun. Il avait apporté au restaurant Laurent une bouteille. J’en apporterais une autre et je l’inviterais. Et j’étais en charge des ouvertures. Lors de mon périple en cave j’avais estimé devoir rajouter une demi-bouteille, car sa couleur m’interpelait. Nous voilà partis dans cette aventure.

J’arrive à 10h30 au restaurant Laurent et je découvre une belle bouteille ancienne de Château Pétrus Arnaud 1915. La capsule d’un rouge flamboyant porte l’indication « château Pétrus Arnaud Pomerol » et s’orne du dessin d’un château à trois tours, fines comme des minarets. Je n’ai vu rien de tel à Pomerol. L’étiquette indique les médailles gagnées aux expositions universelles de 1878 et 1889. Elle est barrée d’une écriture manuscrite rouge : année 1915 avec la signature A. Arnaud. Est-ce un Petrus ? Je demande à Philippe Bourguignon qui s’interroge comme moi. La propriété confirmera les assurances données par mon convive : c’est bien ainsi que s’appelait le vin de Pétrus. J’en aurais perdu des paris ! Car pour moi Pétrus n’est pas un château. Or il le fut. J’ai d’ailleurs vérifié que mes plus vieux Pétrus s’appellent bien château. Je décapsule et une lourde terre noire confirme un bouchon d’origine. Il se brisera mais je pus le reconstituer, bouchon d’une qualité irréprochable. L’odeur est immense. Un parfum capiteux rare. Je pense tout de suite à Cheval Blanc 1947 qui a de ces lourdeurs. Je décide de remettre un bouchon neutre pour ne pas voir s’altérer cette perfection olfactive. J’ouvre mon apport non prévu, une demi-bouteille de Château Arman sauternes 1926. Sa couleur m’avait donné envie comme un beau fruit que l’on veut cueillir. J’ai eu raison. Le bouchon est beau, l’odeur est précise. Quand je casse la cire du Chypre 1845, avant même que je ne plante le tirebouchon, le parfum lourd envahit la pièce. Le bouchon est infime, minuscule petit objet parfaitement ajusté à la forme du verre imprécis. Le vin respire, je suis heureux.

Celui qui allait devenir un nouvel ami arrive. Quelle impression étrange d’avoir trois vins de légende que je vais aborder avec un quasi inconnu. Nous portons nos lèvres au Pétrus 1915. Sa couleur est d’un joli rouge à peine fatigué mais le vin n’est pas limpide. L’odeur est belle mais plus discrète qu’à l’ouverture. Mon ami est dubitatif. Il a moins de tolérance car c’est son vin. Il pense que son vin va s’affaiblir. Je pense qu’il va s’améliorer. Alors que mon expérience est inférieure à la sienne, c’est l’optimiste qui eut raison. Le vin est évidemment de belle race. Il est un peu fatigué, un peu bridé. Mon convive est gêné par une odeur de vernis que je ne sens pas. Et je ressens l’éveil progressif. La fine galette de cèpes bouchon dorés à la plancha est absolument délicieuse et son coté sous-bois émoustille le Pétrus que je sens grandir. Je deviens laudatif quand mon ami est calme. Tant pis. Je profite de cette opportunité unique de boire un vin d’une année de guerre dont il ne reste presque plus de témoignages.

Le foie gras de canard et truffes noires, pochés dans un bouillon de pot-au-feu à la mélisse est une merveille. Tout ici est d’une gentillesse extrême. Le foie se mange comme une langue de chat. Il fond dans la bouche. La truffe est déjà expressive pour la saison. Le bouillon est chaleureux. Et le céleri est un conciliateur de raison. Le sauternes est époustouflant. Ce 1926 est la définition la plus précise du vrai sauternes. Et ce n’est pas un gamin frêle. En fermant les yeux on a en bouche la puissance d’un Yquem 1990. Ce sauternes sans défaut est traité comme une question de cours. Un vrai sauternes qui glisse sur le foie comme au manège.

Comme le plat a été prévu pour le Chypre, il est temps de le goûter. Je pensais qu’il danserait sur les truffes à cause de son intense trame poivrée. Mais en fait c’est, lui aussi, sur le foie qu’il s’exprime le mieux. On sait que ce vin de Chypre est l’expression gustative la plus aboutie pour mon palais. Car il a une longueur qui n’a aucun équivalent, sans avoir la moindre lourdeur, car la réglisse et le poivre fort le rendent léger. Philippe Bourguignon le but avec nous. Et nous convînmes qu’il n’existe aucun arôme, aucune saveur auxquels on pût penser qui ne se trouvât dans ce vin à la complexité infinie.
La glace au zan joua un beau duo avec la réglisse du Chypre. Belle signature finale.

Le cadre du restaurant Laurent est toujours aussi charmant, la personnalité de Philippe Bourguignon ajoutant beaucoup à cette séduction. Mais cette cuisine exacte, d’un chef épanoui, adaptée à des vins de légende, quel bonheur !

Un détail, un seul, suffit à me pousser à refaire de nouvelles expériences avec cet esthète érudit : quand nous avons fait la synthèse de nos impressions, nous sommes convenus que le vin le plus beau de ce repas, c’était le moins gradé, celui qu’aucun de nous deux ne connaissait, cet Arman 1926. Une telle décontraction de jugement me plait. A bientôt la prochaine folie !


Cordialement,
François Audouze
12 Déc 2005 13:42 #1

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Réponse de Thierry Debaisieux sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

François,

Merci pour ce récit et pour les informations sur l'histoire de Pétrus:
Bernard Ginestet dans son Grand Bernard des Vins de France ne donne aucune précision antérieure à l'époque de madame Loubat.

Cordialement,
Thierry
12 Déc 2005 20:59 #2

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Réponse de Guest sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Tiens.. moi aussi j'apprend quelque chose à cette lecture!

Vous avez fait des photos de l'étiquette, François?

Amitiés
Alain
13 Déc 2005 09:09 #3

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Oui, j'ai fait une photo de l'étiquette.
Je vais essayer de la mettre sur mon site (si j'y arrive), car ici, ça me parait compliqué, si c'est envisageable.


Cordialement,
François Audouze
13 Déc 2005 12:31 #4

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Réponse de gmartin sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

pour la photo, il est possible de la mettre sur le site www.imageshack.us/
ensuite il suffit de copier ici le lien fournit par le site.


Guillaume.
13 Déc 2005 14:29 #5

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

[img][/img]


Cordialement,
François Audouze
13 Déc 2005 19:54 #6

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

img248.imageshack.us...

avec ça, je pense que ça marche.
Vous verrez en rouge barrant l'étiquette, la notion de l'année.


Cordialement,
François Audouze
13 Déc 2005 19:57 #7

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Réponse de Thierry Debaisieux sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

C'est parfaitement au point,
merci!

cordialement,
Thierry
13 Déc 2005 20:01 #8

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

13 Déc 2005 20:42 #9

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Réponse de Guest sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Géniale la photo!
On peine un peu à distinguer les fines tours du "château".

A noter que Petrus a complètement refait ses bâtiments il y a deux ans. La baraque très quelconque qui adossait les chais a été rasée et a fait place à des locaux fonctionnels plus vastes et tout sur un seul étage.

Alain
14 Déc 2005 09:10 #10

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Les fines tours du chateau ne sont pas sur l'étiquette.
Elles sont sur la capsule.

sur l'étiquette, ce sont les médailles gagnées aux expositions.
Ce qui serait intéressant de savoir, si quelqu'un a le contact avec Pétrus, c'est depuis quand Pétrus indique sur ses étiquettes :
"premier des grands vins", ce qui est une auto attribution assez particulière.

Car si Gruaud Larose dit : "le roi des vins le vin des rois" (ou l'inverse), c'est un plaidoyer pro domo plutôt sympa.
Mais s'appeler "premier des grands vins" ressort d'une volonté d'être différent.
ça serait amusant de le savoir.


Cordialement,
François Audouze
14 Déc 2005 12:08 #11

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Réponse de Yves Zermatten sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Chez d'Issan, on vise très haut : la transcendance ! ;) :

"Regum mensis aris que deorum" (pour la table des rois et l'autel des dieux)

Yves Zermatten

Yves Zermatten
14 Déc 2005 20:25 #12

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Réponse de Didier sur le sujet Re: J'ai bu Pétrus 1915

Alors là Bravo!!!
Merci François de nous permettre de rêver :)
Un jour peut-être nous aussi.....................

Cordialement

Didier

Didier
"L'ennui naquit un jour de l'uniformité"
Antoine HOUDAR de la MOTTE
14 Déc 2005 21:59 #13

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