L'Art de la dégustation est le forum ou, comme dans un nid, le coucou que je suis vient déposer ses oeufs.
Comme j'ai relativement peu contribué sur ce forum depuis quelque temps, je vous transmets ce bulletin que j'ai écrit en 2002. Je l'ai choisi comme cela, pour montrer qu'il n'y a pas que mes vins anciens qui m'intéressent.
Bonne lecture. Et évidemment, si ça crée un dialogue, je serai le dernier à le refuser.
L'Apicius auquel il est fait référence est évidemment celui du 17ème arrondissement, de l'époque.
Des vignerons venus en capitale s’appellent « Rhône en Seine ». C’est bien joli comme titre. Je retrouve dans les somptueux salons du George V André Roméro et ses si bons Rasteau. Je mange du chêne à pleine bouche avec un Côte Rôtie 1996 du domaine Gangloff, et, comme les vins récents ne sont pas mon domaine de prédilection ou de spécialisation, je me limite à comparer Château Rayas 2000 avec Beaucastel 2000. Contrairement à un expert, au jugement unanimement reconnu, je ne suis pas d’accord de juger en « blanc / noir ». Ce Rayas 2000 semble avoir laissé faire la nature, et à l’aveugle, je suis à peu près sûr que j’aurais dit un ancien Aloxe Corton. Quand au Beaucastel 2000, c’est la générosité du fruit d’un terroir gâté par la nature.
Faut-il préférer un Chateauneuf du Pape à l’autre, quand on goûte les deux plus beaux et les deux plus célèbres en même temps ? Non pour moi. Ce sont deux philosophies distinctes et je les respecte autant, même si l’un perd un peu de sa puissance et l’autre gagne peut-être un peu trop en goût moderne, malgré le résultat si réussi.
Bien évidemment, mon avis sur ces vins n’a pas de valeur, quand je vois le sérieux de vrais professionnels. Quelle sûreté d’analyse quand David Biraud, meilleur sommelier de France raconte ce qu’il entrevoit. Que de cavistes et de sommeliers sérieux viennent juger ces trésors !
Un dîner avec Château Chalon Jean Marie Courbet 1982. Un merveilleux nez de noix, mais aussi de cognac, tant ce vin fait apparaître son alcool. En bouche, un goût de vin vieux madérisé qui rebuterait plus d’un amateur. Sur des morilles fourrées au foie gras, le mariage est évidemment parfait. Mais sur un magnifique ris de veau très pur, ce n’est pas du tout l’harmonie, que l’on ne retrouve que sur le fromage. Il faut avouer que ce vin pour tout un repas, c’est trop, ou ce n’est pas assez. Il faut avoir ce vin comme un épisode, mais pas comme la vedette unique d’un repas. Je me suis demandé si le propriétaire n’est pas un parent de Gustave Courbet, ce peintre réaliste qui fit scandale avec « l’origine du monde », ce tableau que perfidement Jacques Lacan, qui l’avait acquis, cachait à ses visiteurs ou clients derrière une autre toile !
Un repas avec l’héritière de Grand Marnier, Alexandra Marnier Lapostolle, propriétaire de Grand Marnier, du château de Sancerre, et de merveilleux vignobles au Chili plantés de vignes pré phylloxériques. Nous goûtons des vins de Sancerre, des blancs et des rouges du Chili, dont Casa Lapostolle Apalta 1999 et 2000. Il y a évidemment un immense travail qui est fait, notamment avec l’aide de Michel Rolland. Le Chili est un pays d’avenir pour les vins de qualité qui plairont à la Planète entière raffinée. Je ne suis peut-être pas le meilleur public pour ces vins, même si l’on doit reconnaître que leur tendance va s’imposer de plus en plus. Alexandra et Cyrille sont des entrepreneurs dynamiques et volontaires. Qui ne rêverait de les imiter. La démarche impose le respect.
Bien que je ne sois absolument pas compétent sur ces vins, je suis persuadé que pendant encore quatre ou cinq ans, on va continuer à produire des vins extrêmement travaillés, pour plaire au « golden boy de la Silicon Valley ». Mais dans peu d’années, on va revenir à une approche plus calme, en faisant respirer le terroir. Ce sera intéressant de voir si cette théorie se confirme. Je crois savoir que certaines régions du Monde prennent déjà le virage. A suivre…
A un congrès de l’ACAVE, cette association d’oenographes, je crois entrer dans un monde surréaliste. On ne peut pas imaginer la créativité qui a existé dans la composition des étiquettes de bouteilles de vin ou d’alcool. Et voir la frénésie échangiste de ces passionnés est émouvant. Si les étiquettes à thèmes ne m’intéressent pas, les étiquettes anciennes de vins du 19ème siècle dont j’ai bu certains évoquent de merveilleux souvenirs. Et les plus belles sont celles de Rhum ou de Cognac, à la richesse picturale infinie. Grâce à la gentillesse d’Olivier Decelle de Mas Amiel, nous goûtons un Maury Mas Amiel 10 ans d’âge et 15 ans d’âge. Le plus vieux est beaucoup plus alcoolique, et je préfère la rondeur du 10 ans d’âge. Des breuvages de rêve. Que de choses se marient avec ces vins généreux.
Chez le délicieux Apicius, Jean Pierre Vigato nous a proposé une terrine fondante qui sur un Rully 1er Cru Clos Saint-Jacques Domaine de la Folie M. Bouton 1998 glissait comme un véritable plaisir. Un gentil Saint-Véran Domaine des deux Roches Vieilles Vignes 2000 venait assouvir les soifs avant que n’apparaisse la majesté absolue. Le Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1991 est une légende, et un vrai plaisir. Le nez est si rassurant. On sait qu’on est en présence d’un grand vin. Quel bonheur que ce vin là. On a tout le talent de l’exactitude. Que de vins modernes feraient bien de s’inspirer de cette justesse là. J’ai un peu boudé le pied de porc, mais un gigot d’agneau voisin me semblait une petite merveille. Sur de la mandarine confite à la cardamome, un verre de Rivesaltes de 50 ans d’age se révélait l’exacte ponctuation : une dictée de Bernard Pivot sans aucune faute – le rêve – un accord absolu. Belle cuisine d’un chef que l’on sent en plein accomplissement de son talent, et des vins d’une liste intelligente (ils sont plusieurs amis restaurateurs à se concerter). Et, encore une fois, la confirmation du mythe Henri Jayer, ce grandiose talent de la Bourgogne.
Pour un dîner familial, après un Jerez fort agréable, un Cousino-Macul, Finis Terrae, D.O. Valle Del Maipo Chili 1997. C’est un vin de 12°8, assemblage de Cabernet Sauvignon provenant de vignes de plus de 60 ans, avec élevage en fûts neufs de chênes français. Nez très agréable, puis le vin se montre très salé, iodé, et très court. C’est intéressant, mais sans plus. En revanche, grosse apparition d’un Ridge California Zinfandel York Creek 1996 de Spring Mountain au Nord de la Napa Valley. C’est à 91% Zinfandel et 9% Petite Syrah, et ça titre 14°8. Ce sont des vignes de 39 ans pour 60% du Zinfandel, et il a été mis en bouteille en mars 1998. Nez magnifique, puissant, et une agréable combinaison entre le nez d’un puissant Bourgogne et la subtilité d’un grand Bordeaux, plus cette fin de bouche typiquement californienne. L’alcool aide, mais le vin est très grand. L’opposé d’un Cabernet Sauvignon Paul Masson 1979 de Saratoga Californie. Seulement 12°, et un goût de vin du Rhône, de Côtes de Provence, tout en légèreté. On finit sur un Saint-Raphaël des années 30, fabuleux et puissant.
Ce dîner inhabituel, voyage vers le Nouveau Monde était inspiré par cette soirée passée avec les propriétaires de Casa Lapostolle. Il fallait que j’y revienne, et j’y suis revenu avec plaisir. Si Sophie Fenouillet, dans son article de la Vie Financière, me demande des conseils sur des vins actuels, je ne vois pas pourquoi je n’irais pas aussi m’aventurer sur des vins de nouveaux pays où je n’ai pas de repères.
C’était la séquence : vins récents et vins modernes. Mes vins, ceux d’avant 1945, j’y reviendrai dans le prochain numéro.
Et j'y suis revenu, après ces escapades. il s'agit du bulletin 49. Je publie lundi le 157. De l'eau a coulé sous le pont !