Bonjour,
Le sujet traité par XTOF, dans Accords mets/vins autour des Vins Jaunes, et en particulier, sa conclusion que je cite « Les vins jaunes sont assurément de très grands vins et j'espère que les comptes rendus à venir vous donneront envie de renouveler cette expérience. », m’invite à vous révéler le jeu auquel je me suis livrée ce dimanche 25 mars. J’ai subitement eu l’envie de concevoir un repas entier autour d’un même vin jaune.
Le menu ne m’a pas gênée quant à sa conception : foie gras aux écorces de clémentines confites, des noix de Saint-Jacques rôties sur une brunoise de chou-fleur, et brocolis croquants, sauté de homard agrémenté de curry, fromages du Jura (morbier, Mont d’Or, et comté), progrès aux marrons glacés, crème de marrons, glaçage de crème au café.
Mais ce qui m’a fortement ennuyée, en revanche, a été le choix du vin. Je disposais d’un Jean Macle 97, d’un Tissot 99, et d’un Lornet 90. Après moult déambulations devant les dives bouteilles, moult monologues tragiques et pathétiques du mauvais choix que je ne pouvais que faire, (Corneille et son Don Diègue n’avaient plus qu’à bien se tenir), j’ai pris la sage résolution de les ouvrir toutes trois.
Ce qui a rendu l’expérience de l’accord mets/vins plutôt intéressante puisqu’il s’est agi de trouver quel était le vin qui correspondait le mieux au plat, sachant que chacun séparément ne pouvait que convenir.
Descriptions préliminaires des vins :
Le Vin Jaune, de Frédéric Lornet, millésime 1990, fait couler une robe cuivrée, un peu ternie et trouble, répand un nez particulièrement vif, voire agressif, qui dégage de prime abord une odeur d’éther, et d’acétone. Une puissance olfactive déconcertante, en perpétuelle évolution, rassurante finalement, quand elle livre des notes de vanille et d’herbes de Provence grillées, - pour autant, rien d’empyreumatique -. Progressivement ressortent le goudron, et le tabac. Assez saisissant donc, mais en conclusion, le nez fait beaucoup penser à un single malt.
La bouche retient la noix amère trop fraîche, avec une certaine âcreté. Elle n’est pas déplaisante, mais plutôt inattendue elle aussi. Elle rappelle en substance le lait caillé. Elle est extraordinairement puissante et met en exergue la réglisse et le bâton de cannelle, évoque une impression de goudron, soumet le palais aux goûts du curry et du cumin. Dans sa longueur, l’endive puis le cacao marquent à leur tour leur emprise.
Ce vin jaune plaît beaucoup à la condition d’aimer le whisky ! et plus généralement d’être adepte des vins de voile et de l’oxydatif. Celui-ci est remarquable, mais très inattendu. A ne pas mettre entre toutes les bouches. Lornet Vin Jaune 90 est l’enfant prodigue qui exprime avec exubérance la typicité du voile et de la piqûre acétique quand elle est tendre.
Tissot, vin jaune 1999
La robe est lumineuse, couleur vieil or. Le nez ressemblerait presque à celui du vin de Lornet, en raison de la perception du malt, mais s’ajoute cependant l’arôme de la muscade, du clou de girofle, et de la badiane. Les senteurs du vin sont effectivement plus anisées, et confinent les arômes vers les fragrances végétales de betterave à sucre, de coing, de citron vert.
La bouche offre le sirop d’orgeat, la muscade et l’acidulé de la pomme granny smith, des saveurs sucrées grâce auxquelles elle s’assouplit, notamment sur le velouté de la crème fraîche épaisse et presque beurrée. L’acidité est parfaite, émoustille le vin, lui allonge les caudalies devenues délicates sur l’anis, la noisette fraîche, et les agrumes. Le verre vide exhale la noix mûre, vieillie, tout en sucre.
C’est un vin certainement plus consensuel, moins atypique. A la fois juvénile et consistant, il offre les satisfactions de l’oxydatif aux plaisirs sucrés des épices et des amandes.
Château-Chalon, Jean Macle 1997
La robe est translucide, jaune topaze, brillante. Elle imprime déjà des arcs dans le verre, et ne laisse présager que peu de fluidité en bouche. Le nez est divin. Il introduit dans le verre après une légère pointe pétrolifère les saveurs du brou de noix, du zeste d’orange, de l’orange cuite, signale une discrète présence de feuilles, de laurier-sauce, de romarin et de feuille de sureau, et plus le vin tourne, plus il embaume et enivre complètement de son parfum. La bouche est soyeuse, fine, exaltante, magnifique, fait revivre l’aura nuciculteur, prouve qu’elle est la fresque sur l’intonaco du nez. Le vin est accompli en dépit de son extrême jeunesse. L’acidité équilibre le vin et le tend sur des impressions de pommes vertes, la réglisse, et le bâton d’angélique. La finale s’oriente vers le caramel et le pralin.
Pour chaque plat, j’ai dégusté en parallèle les trois vins.
Verdict :
Sur le foie gras, c’est la suavité du Tissot qui a correspondu le mieux. Les écorces de clémentine n’ont pas été cuites en même temps que le foie ; elles ont été rajoutées en fin de cuisson, sur un mi-cuit. Par conséquent l’agrume se fait très discret. Je précise, et c’est fondamental, qu’il s’agit d’un foie de canard, plus rustique. La finesse du Macle convenait à merveille, certes, mais la réponse en bouche de ce vin était par trop évidente.
La correspondance, en revanche, avec le vin de Tissot, exprimant davantage d’acidité et d’onctuosité ( l’un n’exclut pas l’autre, loin s’en faut !) surtout lorsqu’il s’appuie sur les épices, n’a permis que de justes accointances et superpositions de toutes ces saveurs.
Les noix de Saint-Jacques rôties se sont trouvées délicatement enrobées des saveurs aigres-douces du chou-fleur et du brocolis, encore très piquant, du fait qu’il était juste blanchi et croquant. Elles étaient disposées sur des corolles de chou confit ( cette idée m’est venue suite aux écrits de J Ph Durand, le 9 février dernier au sujet d’un post Araignée au grill )
Il fallait dompter ces saveurs maritimes, acidulées et relevées. Il lui fallait une autorité ; Macle a fait merveille.
Homard sauté au curry ( juste une pincée de curry …) accompagné de morilles, cèpes et bolets, juste poêlés. Un accord pour le moins détonnant, voire hasardeux au départ.
Le seul vin ayant permis une cohésion entre le crustacé et les champignons a été celui de Lornet. Retour de l’enfant prodigue donc, émouvante coordination du mets marin et du forestier, tous deux dans l’exubérance. Etonnante alliance, mais la conciliation pure, juste, droite, de la rectitude du vin avec le plat.
Pour les fromages, bien qu’étant très différents – et hâtivement j’ai cru que le morbier, en raison de sa raie cendrée allait convenir au vin de Lornet – un seul vin s’est prononcé, celui de Macle. Peut-être parce qu’il est le seul à ne pas soutenir d’arômes lactés.
Donc, - comme une évidence - , le dessert appelle lui aussi le vin de Macle, le seul qui réponde aux marrons glacés, aux amandes ( le progrès), à la crème au beurre.
Conclusion :
Chaque vin pris séparément aurait convenu pour tout le repas. D’ailleurs, il est très probable que mes choix n’aient pas été toujours justifiés, et que là où j’ai davantage apprécié un Lornet, un Macle ou un Tissot eût pu maîtriser l’assiette tout aussi bien.
Mon repas n’est pas non plus aussi prestigieux que celui que propose J Ph Durand.
Enfin, pour finir, les vins, bien que très respectables, sont simplement honnêtes. D’ailleurs c’était la première fois que je goûtais si jeune le vin jaune.
Mais mon plaisir s’est triplé des triples possibilités d’accords que je me suis offertes. Me permettant de m’interroger, (quadruple plaisir, le plaisir cérébral !), sur la valeur de l’accord. Il ne m’a pas paru déterminant de me positionner systématiquement pour ou contre le syncrétisme mets/vins. Si j’ai eu l’instinct d’une nécessaire scission aromatique avec le vin de Macle et de Lornet, ce dernier ayant eu, en plus, l’avantage d’être un appontement pour passer du homard au champignon, le vin de Tissot, a contrario, m’a semblé maintenir son éclat en communion avec le plat.
Isabelle