Comme prévu, la présence de David (alias Pignolo sur DC) à Paris fut l'occasion d'un dîner dégustation tel que je les affectionne : de nouveaux plats en essayant de réussir des accords pertinents, des vins qui sortent de l'ordinaire, apportés par chacun dans un désir de partage de la passion, et surtout rassembler d'authentiques amateurs, ceux qui aiment plus qu'ils ne jugent, qui choisissent de comprendre plutôt que de classer. Le niveau de connaissances gastronomiques est très varié et j'apprécie cet esprit de découverte à tout niveau. Le menu fut le suivant :
Chantilly imaginaire de tomate verte au sumac, petite carotte glacée
Sojotto au parmesan, façon phô
Champagne Blanc de Noirs Vieilles Vignes Grand Cru, Egly-Ouriet, dégorgé en Sept. 2004
Langoustine juste saisie, asperges vertes, sauce mousseline au citron vert, toast de poireau
Brauneberger Juffer-Sonnenuhr Riesling Auslese, Fritz Haag, 1993
Ris de veau, coulis de pêche blanche retour des indes, oignon rouge
Pessac-Leognan Blanc, Domaine de Chevalier, 1995
Filet de bar à l'unilatéral, jus végétal au fenouil, mousseline de chou-fleur à l'anis étoilé
Hermitage Blanc, Domaine Jean-Louis Chave, 1991
Côte de boeuf, sauce chocolat garrigue, tomates confites à la provençale
Châteauneuf du Pape Cuvée Réservée, Domaine du Pegau, 1995
Suprême de pigeon à la goutte de sang, poêlée de fèves
Château Gruaud-Larose, 1986
Filet mignon de porc, arômes de rose et d'hibiscus
Chambertin Clos de Bèze, Domaine Clair-Daü, 1970
Epoisses
Sorbet à l'abricot et Raz el Nout
Tarte aux abricots
Montbazillac, Château Tirecul la Gravière, 2000
Avec cet Auslese, on retrouve l'étonnant équilibre des riesling allemands entre sucrosité et fraîcheur. La définition du vin est peut-être un peu simple, sur des notes citronnées. L'Hermitage Blanc de JL Chave 1991 se goûte merveilleusement ce soir là ; complexité, équilibre, gras, longueur sont au rendez-vous. Le Tirecul la Gravière me paraît très décevant ; beau fruit sur l'abricot mais structure dopée qui retire, pour moi, tout intérêt au vin.
La série de rouges est passionnante tant pour les vins par eux-mêmes que pour les accords.
Le Pegau 1995 a été "audouzé" 16 heures et cette micro-oxygénation lui a fait le plus grand bien : il n'est pas aussi fermé qu'on pouvait le craindre sur un millésime comme 95. Le matin, à 06h00, j'avais goûté le vin pour créer la sauce : arômes cacaotés et mentholés m'étaient apparus évidents. La structure massive appelait une viande robuste. Le soir, le fruit est plus présent, la structure s'est un peu assouplie ; je rajoute une cuillère de jus de cassis frais à la base de chocolat amer et d'herbes de la garrigue. Le vin est puissant, austère, mais la finale ne manque pas de finesse. Plat et vin fonctionnent vraiment bien ensemble.
Gruaud-Larose 1986 est un vin que j'avais goûté récemment avec beaucoup de plaisir mais qui avait été éclipsé par Ausone 1983. 1986 est un millésime que j'affectionne particulièrement et qui tiendra, me semble-t-il, toutes ses promesses. Afin de mettre le vin en valeur, je choisis de ne réaliser aucune sauce et de présenter un plat très épuré où la seule saveur du pigeon suffit. La cuisson à la goutte de sang permet à la chair de s'exprimer pleinement et l'accord se fait tout seul.
Le Chambertin Clos de Bèze 1970 du feu domaine Clair Daü est assurément le vin de cette soirée. Il a le charme ineffable de ces grands bourgognes à maturité ; son nez sur la rose fanée est comme un parfum envoûtant. La bouche est splendide avec une tenue parfaite, une texture délicate et une longueur folle.
Nous finissons cette dégustation, trois heures après minuit, autour d'un Bas Armagnac Cépages Nobles, Domaine Boignières, 1972. Calme et volupté. Whisper Not.
Jean-Philippe Durand