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sur la cuisine de Christian Le Squer un Chambertin 1949 et Haut-Bailly 1918...

  • François Audouze
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Après des repas réussis racontés dans de précédents bulletins, la tentation était grande de faire un dîner au restaurant Ledoyen. La cérémonie d’ouverture des vins s’est faite avec une facilité particulière, en un temps très court : de l’ordre d’une heure pour les dix bouteilles. Aucune mauvaise surprise. Les bouteilles de secours restèrent sur le banc de touche. L’odeur merveilleuse du Haut-Bailly 1918, de fruits rouges sucrés, était si belle que je préférai mettre un bouchon neutre pour emprisonner ce charme et éviter son déclin. Le lieu bruissait d’une folle activité car environ 500 personnes se rendaient qui à un cocktail, qui à un dîner. Le rassemblement de mes convives se fit sur le parking entouré de beaux et grands arbres, en un des plus beaux sites de Paris caressé par la bonne humeur d’un printemps qui s’affirme.
La table est dressée dans le restaurant gastronomique et Frédéric sommelier attentif, qui m’avait aidé à ouvrir les vins, a réalisé un service de très grande qualité. Le menu, mis au point avec le talentueux chef Christian Le Squer et avec le perfectionniste Patrick Simiand est d’un bel équilibre : Huîtres de Belons / Oursins de Roche en coque à l'avocat, soufflé de corail rafraîchi / Blanc de turbot de ligne juste braisé, pommes rattes truffées / Asperges vertes cuisinées dans leurs sucs truffés / Grosses langoustines bretonnes poêlées au naturel / Jambon blanc, morilles, parmesan aux spaghettis / Fourme d'Ambert / Croquant de pamplemousse cuit et cru au citron vert.
Le contingent de cadres dynamiques et motivés qui se regroupe à la table est attentif, à l’écoute des accords raffinés mais aussi enjoué, souriant, pour composer une atmosphère chaudement participative et décontractée. J’avais demandé que l’on commence par des huîtres toutes simples, mais nous recevons les délicieux petits amuse-bouche qui font danser la java à nos papilles. C’est particulièrement bon, heureusement passager, car ça ne gênera pas l’accord désiré de l’iode de belons goûteuses avec le champagne Montcuit 1995, blanc de blancs de Mesnil-sur-Oger d’une définition précise, d’une fraîcheur raffinée, et d’une expressivité plaisante. L’accord se fait fort bien.
L’oursin est d’une délicatesse rare, tout en suggestion. Il met en valeur le champagne Krug 1988 de façon éblouissante. On mesure la densité de cet immense champagne. Quel charme ! J’ai souvent bu ce 1988. Je crois que ce soir c’est le plus grand. Il a gagné en maturité. Un agréable fumé signe les champagnes épanouis. Nous nous sentons de mieux en mieux.
Le turbot à la chair lourde de sens permet au Château Haut-Brion blanc 1998 d’étaler la palette invraisemblable de sa complexité. C’est un kaléidoscope de saveurs. Et c’est la pomme de terre qui donne une longueur supplémentaire au vin blanc de grande race. Après trois accords de ce calibre, mes convives comprennent que ces emboîtements de saveurs ne sont pas l’effet du hasard. Tout ceci est voulu et fonctionne.
Le Côtes du Jura rouge Jean Bourdy 1947 est un vin très compliqué à comprendre. Aussi ai-je longuement expliqué comment l’aborder. Car si l’on a en mémoire un référentiel de bordeaux rouges, on va passer à côté du message. A mon agréable surprise, je suis bien suivi dans la découverte de ce vin qui reçoit de merveilleuses asperges vertes un étai idéal. Le vin est étonnamment jeune pour un 1947, d’un rebouchage récent à la cave Bourdy. Il est austère comme la région, brut de forme, bourru. Mais quand on a compris sa rudesse autochtone, on profite d’un vin très typé, très fruité, ascète cependant, croquant sur les asperges.
Le Château de Cadillac en Fronsadais 1964 est une découverte totale. Le nez est chaud, joyeux. Mais la bouche est un peu voilée. C’est un vin plutôt agréable qui eut même l’honneur d’un vote dans nos quartés finaux. Il va servir de faire-valoir à un Château Lafite-Rothschild 1934 particulièrement charmant. Ce vin est élégant, courtois, bien né. Bouteille au bouchage d’origine, il a un goût authentique de vrai Lafite à la longueur encourageante. Mais, convenons-en, la vedette est dans l’assiette. La langoustine juste poêlée, expression pure de ce précieux crustacé, est saisie, et dégage une émotion rare. C’est un plat dont la pureté est éblouissante. Inutile de dire que les vins s’en sont complus.
Alors qu’on avait profité des deux vins ensemble sur le plat précédent, j’ai demandé qu’on serve séparément les vins de ce plat, pour en profiter pleinement. Ce fut un bon choix. Le Château Haut-Bailly 1918 a le nez de confiture de framboise qui m’avait tant ému en ce Cros Parantoux Henri Jayer 1992 bu chez Michel Bras. On a la même sensation odorante, malgré l’écart d’âge. La couleur de ce vin est du rubis le plus exalté. En bouche, la jeunesse de ce vin sensuel éblouit. C’est assez inimaginable de voir à quel point ce Haut-Bailly explose de générosité. Il est aidé par le plat fort juste, mais il saurait se débrouiller tout seul tant il a de la force tranquille. Je rappelle juste ce que je disais de ce vin dans le bulletin n° 111 : « sur le pigeon d'un classicisme de bon aloi, on commence par le Haut-Bailly 1918. Le nez absolument exceptionnel me chavire. C'est beau, raffiné, riche, opulent, rassurant, envoûtant. Alors qu'à l'ouverture Mission 1918 avait été aussi brillant, il avait ensuite un peu faibli au service. Là, le Haut-Bailly est époustouflant de panache, d'excellence. Un immense vin aussi bien au nez qu'en bouche où il est juteux, rond, accompli, serein. Quand on atteint des niveaux de cette altitude, j'ai comme un choc. Je suis groggy de sa perfection. ». C’est assez intéressant de constater cette similitude de performance. J’en avais dit autant de bien dans le bulletin 18 il ya maintenant cinq ans. Voilà un vin éblouissant de conservation et de jeunesse.
Mais attendez un peu ! Car sur la deuxième partie du plat que nous avions tous conservée sauf un convive, le Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949 est le chant d’amour de la Bourgogne dans son expression la plus aboutie. Dans des villages, il y a toujours un grand panneau portant une immense carte détaillée et imagée qui vous explique pourquoi vous êtes perdu. Ce chambertin est cette carte pour expliquer le charme inouï des vins de Bourgogne. C’est pur, charmant, joyeux, coloré, expressif, sensible. Et c’est long en bouche. Je me sens bien avec des vins aussi chantants et réussis.
A l’ouverture, le Château Terfort Sainte Croix du Mont 1927 était assez discret. Au moment où on le sert, il s’est agaillardi. D’une jolie couleur de thé léger où l’on a trempé du miel, il est élégant, bien élevé, et forme avec la fourme extrêmement appropriée un accord qui nous surprend tous : il n’y a aucune rupture gustative entre le fromage et le vin qui semblent se prolonger d’une façon irréelle, comme ces patineurs qui épousent la même trace de glisse. C’est magnifiquement beau de plaisir distillé. A l’inverse, le Château de Fargues 1989 montre tout de suite ses biscotos. C’est le cousin d’Yquem, mais il ne se sent pas inférieur, et il a raison. Sauternes magique, puissant, équilibré, chaud en bouche, aux évocations infinies, il a été incroyablement magnifié par un dessert absolument parfait. Quel accord ! Toute la table était bouche bée devant cette perfection gustative.
Christian le Squer est venu nous expliquer certains de ses choix et j’ai trouvé son propos particulièrement émouvant. Je le sens animé par une volonté de perfection qui trouve une application excitante dans ce type de dîners. C’était beau qu’il vienne confier ainsi les pistes de sa recherche. Il a eu l’intelligence de simplifier des recettes pour que le vin se magnifie. Et tout a été réussi. Les accords étaient aussi beaux que de la natation synchronisée, sans aucune fausse note.
Comme chaque fois les votes furent tous différents mais avec des tendances. Neuf vins sur dix ont eu droit à un vote ce qui me plait toujours. Le Chambertin a reçu huit votes dont deux de premier, le Haut-Brion blanc a reçu sept votes dont trois de premier, le Lafite 1934 a reçu six votes dont quatre de premier, et le Terfort 1927 a reçu plus de votes que le Fargues, dont un vote de premier. Mon vote a été le suivant : 1- Chambertin 1949, 2- Haut-Bailly 1918, 3- Lafite-Rothschild 1934, 4- Krug 1988.
Bonne humeur, service des plats absolument parfait, travail de sommellerie de Frédéric de grande précision, équilibre du menu et accords mémorables, vins au sommet de leur forme. En ce soir d’un joli printemps l’ordre était à la joie de vivre et à la gastronomie parfaite.


Cordialement,
François Audouze
26 Avr 2006 15:55 #1

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Bonjour à tout le monde.

Eh bé quel beau tableau encore! Splendide! C’est comme si on y était, avec le regret hélas, … de ne pas en avoir été.

Si vous me permettez M. Audouze.
Je ne sais plus si vous « cadrez » les dégustations a priori. Je veux dire par là, faîtes vous un bref commentaire des crus que vous vous apprêtez à savourer, ou au contraire laissez vous vos convives les découvrir spontanément par eux-mêmes? Sans doute la plupart d’entre eux n’ont-ils pas votre même culture gustative et seraient bien inspirés de vous entendre avant ces pérégrinations. Je vous crois capable de les aider, ...avec tact il va sans dire.

M Le Squer s’est montré particulièrement avisé en venant expliquer ses choix. Il n’a pas craint de quelconques réserves quant à ses réalisations, c’est donc qu’il était sûr de son travail et de sa qualité. Si en plus il a transmis une jolie émotion…chapeau.

Le moment du vote m’apparaît cornélien car chaque cru ici mérite le piédestal. C’est un art bien difficile que d’élire des trésors.

Toujours pas lassé de ces agapes ?

Bien à vous.

Loup.

PR
27 Avr 2006 08:56 #2

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A chaque plat, à chaque vin, je donne des suggestions sur la façon d'aborder le vin, pour éviter un contresens. Ce n'est pas technique mais gustatif.
J'essaie au contraire de ne jamais paraître docte (ce dont je serais bien incapable), car un discours docte va effrayer ceux qui n'ont pas d'expérience des vins anciens (la majorité). Qui a bu des 1918 ? J'ai la chance d'en avoir bu beaucoup.
Sans mes explications, on passerait à côté du Jura rouge d'une délicatesse folle.

Je ne suis pas blasé. Ce qui me lasse un peu c'est de répéter les consignes de début de repas. Parce que c'est toujours le même discours.

Si je peux me permettre, on ne se lasse pas de faire l'amour. Wine and love, same positive attitude, comme dirait celle qui a été pécho par Jamel.


Cordialement,
François Audouze
27 Avr 2006 11:56 #3

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Merci Monsieur Audouze pour ce fort beau compte rendu que vous avez su rendre très vivant. Les vins et les mets se succèdent et je suis à vrai dire un peu dérouté par la nature des accords. En particulier la Langoustine juste poêlée qui semble bien s'accomoder d'un vieux millésime de Lafite (à moins que ce ne soit l'inverse), est pour moi un accord plutôt atypique.

Laurent
28 Avr 2006 16:42 #4

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C'est tout l'intérêt de ma démarche d'essayer de trouver des accords non pas pour le plaisir de heurter le palais mais parce qu'ils marchent.
En 2005, l'un de mes plus grands accords a été Duhart Milon 1962 avec un homard fait par Yannick Alléno. Le vin a grimpé de trois étages, et les deux se sont mariés de façon sublime.
Je suis assez fier que chaque fois que j'ai mis Pétrus à mes dîners, le chef a accepté de faire du rouget. Et la chair très expressive avec le merlot, c'était magique.
J'aime explorer ces directions inhabituelles, quand cela a un sens.
J'ai bu hier un Royal Kebir, vin algérien de 1945 sur des casserons, qui sont de jeunes calamars, plus goûteux. Et c'était merveilleux.
C'est un domaine qui me passionne.
Des palourdes juste poêlées. A peine aillées. Le jus avec Chateau Latour, c'est bluffant.
Il y a encore plein de pistes à explorer, avec sagesse, sans goût du clin d'oeil factice.
Hier, un violet (hideux animal !) avec un champagne brut. Délicieux.


Cordialement,
François Audouze
28 Avr 2006 19:33 #5

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Autant de nouvelles pistes à explorer pour moi...
Merci.

Laurent
02 Mai 2006 09:06 #6

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