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repas à la "Ferme de mon Père", avec des merveilleux vins du Rhône, du Nord au Sud.

  • François Audouze
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Jean Philippe : comme j'ai tout écrit de mémoire, si j'ai commis une erreur, dis-le moi.
Voici mon compte-rendu :

L’ami qui nous a initiés au monde culinaire de Marc Veyrat récidive. Un nouveau déjeuner à thème va se tenir à Megève cette fois. Nous logeons au chalet du Mont d’Arbois un Relais & Châteaux aux prix châtelains, mais à la décoration « chaletaine ». Une assimilation pourrait être faite : pourquoi, lorsque l’on tient un restaurant de poissons (heureusement pas tous), se croit-on obligé d’adopter une décoration hideuse ? Il faudrait m’expliquer l’émotion artistique du poulpe, de l’araignée de mer ou du filet de pêcheur. Ah ! Les lueurs d’intelligence de l’œil du grondin. Pourquoi, lorsque l’on tient un chalet, doit-on décorer avec du faux rustique ringard à pleurer ? Les lustres en bois de cerf, les chaises en ours poursuivis par de vilains chasseurs, le bois rustaud pour faire authentique, qui y croit vraiment ? La bonne surprise, c’est la table. Nous dinerons à l’eau, car demain ce sera brutal. Et les langoustines sont magnifiquement bien traitées (à la façon du restaurant Laurent), le turbot est expressif, et la côte d’agneau de pure cuisine bourgeoise est chaleureuse. Quand au soufflé flambé à l’armagnac, il rappelle les plus belles folies d’il y a cinquante ans, quand ces soufflés étaient à la mode et quand un grand-père, en cachette, nous enivrait de sucre et d’alcool flambé. On enlèverait deux ou trois scories, il y a de quoi faire de cette adresse une grande table. La carte des vins est abondante, et comporte des bouteilles anciennes et très rares des domaines Rothschild, puisque cet hôtel fait partie de leur groupe. Les prix annoncent la couleur : français s’abstenir. Car le Dom Pérignon rosé 1990 à 1900 €, sans fournir la dame pulpeuse qui irait avec, dans les endroits où ces prix se pratiquent, c’est assez contraire aux idéaux républicains de notre belle France déclinante. La table mérite vraiment qu’on s’y arrête, et les hôtesses d’accueil de l’hôtel sont parmi les plus efficaces que l’on puisse trouver.
Nous avions découvert le talent de Marc Veyrat à Annecy, nous allons connaître l’univers de Marc Veyrat à la Ferme de mon Père à Megève. C’est amusant de voir que tout est indiqué comme en un musée. Le panneau « étable » indique que l’on verra une étable et le panneau « établi » indique que l’on verra un établi, ce qui semble suggérer qu’il ne s’agit pas d’une étable. Un cheval de trait ne se repose pas dans un établi mais dans une étable. Einstein était farceur. Cela ne me dérange pas qu’un génie culinaire soit un grand enfant comme le fut le grand Albert. Il y a le portrait du père, il y a la maxime sur un mur de l’entrée, comme le fait Bruno à Lorgues. Il y a dans tout cela un intense besoin d’enfance. Il y a du Tintin dans ce grand fou. Je dis fou, car ce natif des Alpes vient de se briser le corps de dizaines de fractures et nous accueille sur une chaise roulante. Il n’y a que Marc Veyrat pour commettre cet accident inenvisageable. Je commis à ce sujet un horrible jeu de mots en disant à propos du maître : « il n’y a pas que le fromage qui nous est proposé en chariot ». Pendant le repas, une vache attentive regardera si je me tiens bien à table. Sous ma chaise des pieds de porc et des fromages s’affinent contrairement à mon tour de taille. C’est l’univers freudien d’un créateur en grand besoin d’affection.
La cohérence du lieu est plus grande que celle d’Annecy où l’on a transformé une maison bourgeoise bien implantée sur le lac en une évocation de ferme. C’est une tartiflette de ferme. Ici, tout respire la ferme. Au sens propre d’ailleurs, car je ne connais pas de trois étoiles où l’odeur de fumier est aussi entêtante. Dans le sol, de nombreux hublots découvrent les entrailles de la « machine » comme s’il s’agissait du Nautilus du capitaine Némo. Jules Verne, Freud, Tintin, facettes d’une personnalité attachante où la recherche de soi est évidente.
Le seul point qui me choque : si le chapeau est un logo, une signature, une lettre à en-tête, on ne doit pas le vendre. Il doit rester unique et non objet de commerce.
Nous passons à table sous le commandement de Jean-Philippe Durand, initiateur de l’événement et de Samuel Ingelaere sommelier souriant et d’une compétence extrême qui a conçu avec Jean-Philippe ce voyage en vins du Rhône au sens extensif.
Le menu est écrit par le maître et se présente comme une aquarelle, comme s’il fallait suggérer les définitions comme on recrée les goûts. On ne trouvera pas en le lisant la définition précise de ce que nous avons mangé, mais le charme et la création qui en font une œuvre d’art.
Scampi, l’environnement des sous-bois dans l’assiette / foie gras, yaourt de foie gras, sans foie, cubes et mikados / pois gourmands, cosses, pois gourmands, reconstitués / courge, les deux verres inversés, souffle de porc fumé et truffes / Saint-Jacques, froide et tiède, lentilles, souffle de sauge, ananas / turbot, glaçon de citronnelle sous film, épices / homard, bonbon de verveine sans sucre / gnocchis de crustacés, coulis de Tonka / tartiflette, elle est vraiment virtuelle / purée de rattes aux truffes, cacao / bœuf charolais cuit en écorce d’épicéa / Agneau, serpolet, le métissage d’ici et d’ailleurs / Truffes, les truffes comme on les aime / Ercheu, les fromages de nos talentueux paysans / desserts, les trois gourmandises de Carine, ma fille…
Il convient de remarquer que l’on se sent immédiatement à l’aise dans l’univers du chef. On pourrait imaginer un goût de « déjà vu ». Pas du tout. Le charme agit de la même façon. Chaque excès est approuvé, chaque présentation ludique est cautionnée. On marche à fond. Je trouve cela extrêmement important. Car si l’on adhère à cette logique nouvelle, c’est la preuve de sa pertinence.
Il y a un jeu de cache-cache, un numéro du prestidigitateur, mais surtout l’envie du créateur de recréer la nature et de proposer sous sa signature des goûts vrais. Ce fut irréellement bon.
Le choix des vins procède du même talent. Ne prenant pas de notes, sauf exception, j’aurai du mal à décrire la subtilité extrême des choix et les prodiges de complexité des associations. A chacun de les imaginer. Un « soda vera » est toujours un joli moyen de creuser l’appétit.
Nous commençons ce voyage en Rhône avec Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape (CdP) rouge 1978. Les vins sont servis à l’aveugle, aussi dès ce premier, je me trompe sur l’âge. Il est si jeune en bouche ! Il s’est assagi bien sûr mais a gagné en rondeur. Un CdP d’une rare élégance discrète. Sur un carpaccio, je ne vibre pas autant à l’accord que Jean-Philippe. Le scampi terre et mer est d’une évocation de pure rêverie. Et ce n’est pas seulement intellectuel. Il y a du primaire dans cet accord. Le vin de table (ô, coquetterie), Quintessence (ô, crânerie) François Villard 1999 est absolument subtil. Beaucoup plus raffiné qu’un jurançon, il brille de façon éclatante, et son discret fumé me trompe aussi sur son âge. C’est une sélection de grains surmaturés de Condrieu. C’est immense, car d’une pureté unique. Croquer le mikado aux évocations doucereuses transporte sur un petit nuage. L’Hermitage Chave blanc 1991 est d’une subtilité et d’une race qui imposent le respect. Sur la cosse de petit pois, une association magique. Mais aussi sur le lard de la deuxième pipette qui catapulte le Chave. Les deux pipettes aux ingrédients inversés produisent des sensations opposées, la truffe pour l’un, le lard pour l’autre et le Chave s’y complait. Le Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape (CdP) Vieilles Vignes Roussanne blanc 2002 est éblouissant. Je l’avais déjà bu avec Jean-Pierre Perrin. Il a pris ici du coffre et chante à pleine voix.
Le Châteauneuf du Pape Vieilles Vignes La Gardine 1993 est un grand vin, et son association à la capsule du bonbon de verveine est absolument magique. Comme lors de l’accord de la quintessence avec le mikado, j’adore quand c’est un instant précis qui crée l’émotion. Le homard récite son texte, bien sûr. Mais c’est le grain de verveine qui épouse La Gardine. Les gnocchis sont plongés dans l’azote liquide, ou du moins quelque chose de froid, comme le gladiateur plongé dans l’arène et sauvé par un pouce impérial vertical dans le bon sens. Le Châteauneuf du Pape Cuvée Laurence Domaine du Pégau 1995 est un vin entouré d’une solide réputation. C’est un « must ». Il confirme que c’est justifié. Comme il accompagne une tartiflette virtuelle du 21ème siècle (référence constante de Marc Veyrat qui se situe par rapport à cette poussière d’éternité), souffle de lardon, souffle de reblochon, écume d’oignon et de vin blanc, que l’on goûte séparément, puis ensemble, on nage dans un pur bonheur de saveurs simples, assurées, solides.
A ce stade de profusion, je ne suis plus très sûr de quel vin accompagne quel plat. Les truffes qui vont suivre sont divines. Les vins sont immenses. Le Bandol, Château Vannières 1983 est éblouissant de beauté. Sur la truffe et les rattes, il est tout simplement brillant. C’est le Bandol qui se hisse au niveau des grands bourgognes. L’Hermitage La Chapelle P. Jaboulet Ainé 1988 ne me parle pas beaucoup. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne mords pas beaucoup à ce vin, malgré le charolais présenté entre deux écorces comme le gnou égaré entre les mâchoires d’un crocodile. Le Côteaux d’Aix, Les Baux, Trevallon E. Durrbach 1990 est un grand vin qui convient parfaitement à l’agneau au serpolet.
Nous allons faire une pause en prenant le frais dans la cour de la ferme, méditant les aphorismes du maître, et allons reprendre sur un immense vin.
La Côte Rôtie Guigal La Landonne 1986 est d’un niveau exceptionnel. Avec la truffe, La Landonne paraît facile, juteuse, gouleyante, joyeuse. Un vin qui impose le respect.
Le Châteauneuf du Pape Réserve des Célestins H. Bonneau 1999 est magnifique mais je n’ai plus de mots à ce stade du repas. Le préposé aux fromages nous a parlé de fromages comme peu de personnes ne l’ont fait. J’ai été touché par son discours emprunt de science, d’intelligence et d’émotion tant on sent les hommes qui les ont faits. Je me souviens que le Bonneau s’alliait bien à ces succulentes pâtes.
Ma mémoire des trois desserts, que la fille de Marc aime, comme c’est dit dans le menu, est embrumée comme le souvenir du P.M.G du domaine Jamet 2003, PMG signifiant dans le langage vigneron « pour ma gueule », c'est-à-dire pour ma propre consommation. J’ai le souvenir de variations sur le thème du chocolat, de petits pots de crème et de délicats sorbets.
Une intense amitié réunissait notre groupe de neuf. Le fil conducteur est l’amitié et la vénération qui lie Jean-Philippe Durand à Marc Veyrat. La magie des accords vient du travail de Samuel qui a déniché des vins de grand talent. C’est un exercice gastronomique de grande envergure auquel nous avons participé. Alors que j’ai parfois peur des chefs qui versent dans l’intellectualisme, cet exercice de Marc Veyrat m’a de nouveau convaincu, car derrière la sophistication apparente, il y a la générosité d’un homme foncièrement bon et humain, qui réussit une cuisine qui n’atteindrait jamais ses objectifs s’il n’avait pas ces qualités essentielles. La subtilité de Samuel et la bonté de Marc, cela crée du génie culinaire.


Cordialement,
François Audouze
10 Avr 2006 21:28 #1

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Vannières 1983 est le plus beau Bandol qu'il m'ait été donné de goûter. On avait eu la gentillesse de nous le proposer en dégustation, lorsque Jérôme et moi étions passé à la propriété. Un immense vin !

cf www.lapassionduvin.c...

Cordialement

Yvs Zermatten

Yves Zermatten
10 Avr 2006 22:37 #2

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Avez-vous des souvenirs de dégustation plus précis sur le Célestins 99?
11 Avr 2006 12:37 #3

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• Villard Vin moelleux "Après tout". Notes : DS15 – PC16 – LG15,5 – PP16. Moyenne : 15,5.
Assemblage marsanne, viognier, syrah. On note la présence rare d'un cépage rouge dans l'élaboration de ce vin moelleux. Robe orangée, peu intense. Nez assez simple et peu intense exprimant l'abricot, la nèfle, le safran. La bouche donne un légère impression tannique. Des notes de vin passerillé (raisin sec, figue, …). On peut lui reprocher une relative mollesse. Un vin atypique, assez réussi, toutefois.

• Villard CONDRIEU "quintessence" 99 (fût). Notes : DS15 – PC15 – LG14,5 – PP15,5. Moyenne : 15.
110 g de sucre résiduel dans cette cuvée. Nez muet. La bouche, mieux équilibré par l'acidité n'est pour autant pas vraiment convaincante, à cause de son manque d'expression (pour le moment ?). Elle manque singulièrement de conversation.

--> la quintessence est en appellation Condrieu (et la cuvée après tout en vin de table)

• Cuilleron CONDRIEU "les Ayguets" 1999 (100 g de sucre résiduel) . Notes : DS15,5 – PC16/15,5 – LG15 – PP15,5. Moyenne : 15,5.
Robe très dorée, presque cuivrée. Nez intense, bien défini, nèfle épicée de curry et de safran. Importante liqueur qui tapisse le palais, saveurs puissantes de nèfle, de coing épicé, un vin au panache assez décadent, équilibré jusqu'à la finale un peu mollassonne.

• Cuilleron CONDRIEU "Essence d'Automne" 1999 (sur fût, 300 g de sucre résiduel) . Notes : DS15,5 – PC17 – LG16 – PP16,5. Moyenne : 16.
Aspect visqueux, trouble, couleur abricot. Nez d'une grande puissance mais très incisif et pur : nèfle, abricot sec, curry, safran. Matière onctueuse, comme un Pedro Ximenez blanc, presque écrasante de liqueur mais qui parvient à garder équilibre et pureté aromatique, vin hors norme.

Il existe des Jurançons très raffinés (Clos Joliette en tête).

Au domaine en nov 2001 :
Châteauneuf-du-Pape VV 1993. Notes : DS15,5 – PC15 - PP15,5 – LG14,5-15. Moyenne : 15
Joli nez évolué, complexe, réunissant toutes les notes classiques citées précédemment, avec des notes complémentaires d'œuf. Le millésime a produit ici un vin plus léger, mais aussi plus frais, au boisé bien intégré. Un vin certes moins démonstratif, moins "m'as-tu-vu", mais charmeur.
11 Avr 2006 16:44 #4

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Frédéric,
Il faut penser que je ne prends pas de notes.
Tout ce que j'ai écrit est de mémoire, ou aidé un peu par des photos, qui me remémorent des aspects.
Il y avait tellement de plats et de vins que je ne peux pas me souvenir de tout.
D'ailleurs, alors que d'habitude je me fais un petit quarté, je serais bien incapable de le faire, tant l'instant fut chargé de sensations, toutes plus extrêmes les unes que les autres.

Laurent,
Si j'ai mis pour quintessence "ô crânerie", c'est parce que je n'aime pas les vins qui s'appellent par des professions de foi. C'est un goût personnel. Aussi, tous les plénitudes, hommage à x ou y ou à mon père, tout ça, je n'aime pas. Un vin se définit autrement que par ces termes comme ce champagne qui a appelé une cuvée "femme".

Si je devais appeler un vin que je ferais, je l'appellerais par dérision :
"la prise de la smala d'Abdel Kader par le duc d'Aumale", pour signifier que c'est un vin qui met dans de bonnes dispositions.


Cordialement,
François Audouze
11 Avr 2006 17:06 #5

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François,

A ma connaissance, Quintessence 99 n'est pas un vin de table mais un Condrieu (revendiqué).
11 Avr 2006 17:13 #6

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L'étiquette porte :
"Vin de table français"
en gros, sous les initiales FV et sous le nom en gras "Quintessence"
et il n'y a aucune mention de Condrieu


Cordialement,
François Audouze
11 Avr 2006 22:05 #7

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Merci, François pour cette précision

L'intitulé que j'ai mis lors de notre visite au domaine ne correspond pas à cela ...

Je me suis peut-être trompé ...
12 Avr 2006 09:41 #8

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